Ce jour où l’ours était en toi… un récit d’Anne-Marie Tardif

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Un jour. Le jour était venu. J’étais là, à peine reposée de ma nuit, et j’avais déjà hâte de retourner à la rencontre de mon matelas double où j’étais pourtant seule. Au déjeuner, mon repas était froid d’angoisse, chaud d’idées tourmentées. J’arrivais à peine à avaler une bouchée sans que les hauts le cœur me rappellent que c’était bien aujourd’hui.  Je n’étais pas inquiète, non. J’étais plutôt confuse. Moi qui avais l’habitude de tout prévoir d’avance, j’étais là, ignorante. J’étais assise confortablement sur mon divan moelleux à essayer de me convaincre que je serais capable d’avoir le contrôle de la situation.  Cette situation inhabituelle qui m’échappait. Ma figure, mes jambes, mes mains étaient figées. J’étais déjà confuse à l’idée de ne pas savoir ce qui m’attendait. La seule idée préconçue qui occupait mon intérieur, ma tête et mon âme était que je serais prisonnière de ma peur épouvantable des ours. Pourtant, j’aurais dû avoir bien plus peur de ce rendez-vous amoureux. Moi, une jeannette, une aventurière, qui avait une peur bleue des ours. Je ne pouvais pas m’empêcher de me rappeler à quel point j’étais ridicule de brûler autant d’énergie pour cette abominable bête noire quand, à la place, j’aurais plutôt dû être émoustillée à l’idée de rencontrer ce bel inconnu.

Dans ma tête, il y a toujours un ours qui rôde aux alentours.

C’était un jour d’été. Le jour d’été idéal pour une randonnée en forêt. Le vent doux et rafraichissant était au rendez-vous, accompagné d’un ciel parfaitement ensoleillé. Dans le stationnement, j’avais entre les mains son numéro. L’appeler ? Non, jamais de la vie, je préférais attendre. J’étais impatiente de le voir, mais rien ne pressait. Je ne voulais en aucun cas composer le numéro écrit sur ce papier griffonné. Je ne le connaissais pas, je n’avais jamais entendu sa voix, je n’avais jamais vu ses yeux, sa bouche, ses mains, je n’avais vu qu’une silhouette au loin. Comment savoir ? J’attendais toujours. Je voyais les minutes défiler, j’ai senti mon cœur se débobiner de tout son courage quand j’ai vu l’automobile de son ami arriver. Après une minute d’incertitude, je décide de sortir de la voiture afin de nourrir ma curiosité. Dès ma sortie, le vent soufflait sur moi. Pourtant, je ne me sentais plus respirer, j’étais pétrifiée, mais bien vivante.

Il était là, devant moi. J’avais réussi à le saluer sans trop laisser paraître mon immense nervosité.  Il me salua en retour, on parla peu. Sam, notre ami commun, proposa que j’embarque avec son ami.

On se mit en route vers le parc national, le paradis des ours.

Enfin! La journée commença. Tous les quatre. Deux hommes. Deux femmes. Un couple. Deux célibataires. C’est au moment où nous étions tous les quatre assis dans l’automobile, que j’ai pris conscience que cette journée était un coup monté. Une rencontre entre deux individus complètement libres et intéressés.

Mes pieds avançaient, mais mes yeux étaient figés sur la pancarte qui s’était dressée devant moi, elle indiquait : présence d’ours, veuillez ne pas jeter de nourriture durant votre randonnée. Mes yeux passaient sans arrêt de l’homme à la pancarte, de l’inconnu au danger, de l’attirance à la peur, du souhait au déplaisir, c’était insupportable. Ma journée était déjà gâchée. J’étais une véritable poule mouillée face à un garçon qui n’attendait qu’à me connaître. Plus j’avançais, plus je regrettais mon plan de névrosée, j’hallucinais des bruits qui devenaient trop lourds. Je devenais sensible à tous les frottements de branches, d’arbres, de feuilles écroulées au sol. J’enviais ces feuilles de ne pas être mortes de trouille comme moi. J’aurais voulu m’affaisser plutôt que de devoir avancer un pas de plus. Je passais mon temps à me retourner en regardant le sentier s’éloigner. Par chance, j’avais mon répulsif à ours avec moi prêt à intervenir au moindre mouvement brusque. Les garçons n’arrêtaient pas de se moquer de moi puisque je n’arrêtais pas de siffler à tue-tête pour distraire mon cerveau de tous les dangers potentiels. À travers mon angoisse, il était là, cet homme bronzé, à me regarder de ses yeux noisette, il essayait de me rassurer en posant sa main dans mon dos. Plutôt que de profiter de ce moment de rapprochement, j’ai préféré commencer à parler fort comme une débile sortie de l’asile. Je réalisais que je ne pouvais plus revenir sur mes pas, je n’avais pas pris connaissance du trajet que l’on avait parcouru depuis le début de la randonnée, on devait avoir une heure d’écoulée, 3600 secondes, 60 minutes, une heure épouvantablement longue. Je m’en suis fait pour rien puisque tout le reste de l’excursion a été profitable, j’ai appris à connaître ce séduisant jeune homme; à chaque difficulté que j’éprouvais lors de la montée de la montagne, il me donnait la main pour m’aider à venir à son niveau, c’était charmant.

Tout ce que je retiens de cette journée, c’est qu’elle m’a complètement glissée entre les doigts. Toute ma vie j’avais attendu ce jour, ce moment, cet instant déjà passé. J’étais tellement préoccupée par ma peur incontrôlable des ours que j’avais oublié ce pour quoi j’avais gardé espoir toute ma vie, lui. Cet homme, cette créature si invitante. C’est si irréel quand j’y repense.

Tout ce que je peux dire encore aujourd’hui, c’est que je suis toujours avec lui et que cet ours rôde encore dans ma tête.

 

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