Je suis musique… point d’orgue d’Olivier Bellemare

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Café à la main et tranche de pain grillée dans l’autre, je m’assoie sur le coussin rembourré de ma chaise de bois favorite. J’aime les matins comme ceux-ci : chauds, enveloppants, calmes et relaxants. C’est la bonne façon de commencer une journée productive. J’ai une routine et je la respecte. Chaque matin, mon cadran sonne à 6 h 20, mais je ne me lève qu’ à 6 h 40. Je laisse le temps à ma tête de convaincre mon corps de se lever. Lentement mais sûrement. D’ailleurs, je triche avec l’heure : mon cadran a dix minutes d’avance sur l’heure normale. De cette façon, quand ma conscience s’éveille le matin, elle n’a pas le temps de se souvenir de ces dix minutes d’avance. Je suis donc pressé et je me prépare rapidement, jusqu’au moment où je me rappelle que j’ai dix minutes d’avance. Je me trouve hilarant et ingénieux d’avoir trouvé ce truc qui au premier œil parait idiot, mais qui fonctionne si bien. Je m’assure ainsi d’avoir assez de temps pour me remettre de ma course matinale contre le temps, et de siroter un café bien sucré, bien sucré. J’allume la radio sur mon poste favori : le 114,6. C’est l’émission du matin. Chansons à profusion, elles éveillent mes sens. Je regarde par la fenêtre, le soleil continue sa montée dans le ciel, propageant sa chaleur dans ma cuisine. Cette journée commence bien, cette journée me semble si savoureuse. Je me laisse emporter par ces douces mélodies.

Je m’infiltre dans un autre univers. Je suis porté par mes pensées et ces sons qui conduisent mon esprit et mon corps. Je suis ailleurs. Au cas où il me serait impossible d’écouter de la musique, ni avec mes oreilles, ni avec mon cœur, j’abuse aujourd’hui de la tendresse du son. Je me laisse emporter par ces vibrations. Elles animent les tambours de ma circulation, mon sang s’ajuste au tempo de la musique. Je profite de la chaleur du rythme, de l’enveloppante mélodie, des voix réconfortantes : frénésie assurée. Chaque fois que j’entame l’écoute active des différentes  tonalités, je me sens revivre, je me sens neuf, je me sens mieux que seulement bien. Je suis. Je crois vivre aux travers des mesures, parmi les portées, parmi les croches et les blanches. Je me transforme en silence, je deviens musique. Ma vie est accompagnée d’une trame sonore qui jamais ne cesse. Un battement régulier, qui s’accélère aux différents évènements, aux différentes émotions, comme une chanson éternelle, infinie. Ma musique est si douce, ma musique est si forte, ma musique est le cœur de mon univers. Je ne pourrai jamais être complètement nu, ni dépourvu. Ma musique m’accompagnera toujours, battant à tout rompre pour m’assurer vitalité et santé.

L’heure file, mais je ne peux échapper au pouvoir que la musique a sur moi. Je suis drogué, je suis dans un autre monde, je ne me possède plus. J’ouvre enfin les yeux, mais je ne suis plus chez moi. La table de la cuisine a disparu, mon café et mon pain grillé aussi. Je ne suis pas dans ma cuisine. Je suis ailleurs où il fait chaud, où l’odeur s’écoute, le toucher s’entend, le goûter se perçoit grâce à mes oreilles. Je vois à travers les sons. Je suis, moi aussi, un son. Je suis… je suis… mais où suis-je? Le ciel orangé s’amuse à changer de tons au gré des sons. Un ciel dynamique comme jamais je n’en ai vu. Je fais maintenant partie de cet univers. Je suis musique. Je marche sur la portée, tout près de la clé de sol. Je traverse l’avenue Sol vers l’avenue Ré. Sol, la, si, do, ré. Mes pas sonnent drôlement bien, chaque pas produit un son qui retentit terriblement bien sur ces avenues. Mes pieds veulent participer à la construction de chansons et de comptines. Je tape dans mes mains un rythme rapide et énergique, tandis que mes pieds m’accompagnent dans cette mesure improvisée. Ils s’efforcent à produire un son franc, un son si juste, que j’en suis moi-même surpris. Note à moi-même : demander plus souvent à mes pieds de jouer de la musique. Le son est fort et entrainant. Je me laisse envahir par la musique, une fois de plus. Le ciel orangé m’accompagne dans mon délire musical.

Je suis vite dérangé par une double-croche sur pattes qui court vers moi, qui me fait des gestes que je ne comprends pas. Elle va si vite cette double-croche. M’accusant de produire une cacophonie insupportable, elle m’exige de cesser ce boucan sur le champ. Apparemment, je dérange l’orchestre de notes qui fait concert aux silences. À cet instant, mon expression faciale est facile à comprendre. Absurdité, étrangeté, non pas horreur. Ce monde ne me répugne pas, il n’est qu’inconnu. Je me trouve dans une autre dimension, un exceptionnel instrument à décibels. Il est peu commun et peu recommandable, mais j’y suis bien. Je cesse mon délire harmonieux et j’insiste pour que la double-croche m’amène au concert. J’entre dans un énorme amphithéâtre de style grec. Le son m’étonne tellement il est fantastique. Je suis le seul être humain parmi la foule. Je me faufile entre les rangées, de silence en silence, à la recherche d’un endroit pour m’assoir, pour écouter attentivement cette formation. Les autres notes ne remarquent pas ma venue, elles sont indifférentes à mon intrusion dans leur monde. J’ai tout juste le temps de m’installer que l’orchestre continue son concert. Les croches, les doubles croches s’animent rapidement. Les noires s’exercent à propager leur soul, tandis que les blanches s’époumonent pour égaler la force des noires. Les rondes sont gracieuses et voluptueuses. D’elles émane un son fier et assumé, détaché de toute tristesse et honte. C’est étonnant comment les figures de notes peuvent générer un son si exquis, si agréable à entendre! La double-croche qui était venue m’avertir plus tôt vient me rejoindre dans les estrades. Elle s’assoit près de moi, comme une femme viendrait aborder un homme. Délicatement, elle s’assoit, allonge ses jambes et les croise. Je suis sous le choc. Est-ce que je me fais réellement séduire par une double-croche? Le son produit par l’orchestre établit une atmosphère de sérénité palpable dans l’air. Je vois les vapes, les nuages de paix, de repos, de calme se déposer sur l’audience. Lorsque que ceux-ci touchent ma peau, j’en ressens des frissons. Mes sens s’éveillent, je suis mille fois plus vif. L’énergie déborde par mes oreilles, comme les chutes Niagara le font si bien dans ma planète natale. Je sens monter en moi une volonté nouvelle. La double-croche me regarde avec émerveillement. Brusquement, le ciel orangé s’assombrit. Mes jambes s’agitent, comme un tremblement de terre ferait craquer toute la surface d’une montagne. Mes veines s’emplissent dangereusement de sang, je les sens bien se gonfler, enfler jusqu’à éclater. Je n’ai pas le temps de réagir, je me sens pris au piège d’un malaise que je ne peux pas contrôler. Le tremblement se transmet dans mes cuisses, sur mon ventre, mon thorax et jusqu’à mes bras. La double-croche semble se retenir pour ne pas éclater d’extase. C’est au tour du reste de mes membres. Les veines s’emplissent de sang, elles gonflent, elles enflent sérieusement. Je me sens pourtant bien. Je ne ressens aucun mal. Peut-être suis-je saoul, drogué par cette chanson. La mélodie de l’orchestre accélère son rythme, je sens que ma tête gonfle à son tour. À ce moment, je vois dans mes veines circuler un liquide noir, épais et opaque. Je ressens une sorte de frénésie à l’intérieur de moi. La double-croche ne se peut plus. Elle saute sur place, elle cache sa bouche avec ses mains pour éviter de crier d’excitation. Ma peau semble elle aussi devenir noire et ferme. Mes jambes et tous mes membres tremblent encore davantage. Dans un temps qui ne pourrait être calculé sur un métronome, mon corps se contracte sur lui-même. Dans un élan symphonique, marqué par un nuage puissant de son, je me transforme en une croche. La double-croche ne peut pas résister, elle crie comme une corneille le ferait, mais avec la détermination d’un pic-bois. Ma compagne n’est pas une double-croche pour rien, les sons qu’elle produit sont aussi saccadés qu’un tempo à cent-cinquante-trois pulsations par minute. Je me fonds maintenant dans cette foule de figures musicales. Je ne peux pas y croire. Dans ce monde de musique où tout est possible, je suis maintenant mélodie à part entière. J’oublie lentement le monde d’où je viens et je me concentre sur la fin de ce concert. J’oublie la journée qui commençait et je prends conscience de mon nouveau corps. Le ciel orangé se dégage pour laisser place à une couleur vive et invitante. Je vais me plaire dans mon nouveau monde…

S’il vous plait, laissez-moi rêver et ne me réveillez pas avant que je sois vraiment en retard.

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1 thought on “Je suis musique… point d’orgue d’Olivier Bellemare”

  • Ce texte est aussi doux qu’une sonate de Mozart. Sérieux ! La mélodie s’anime merveilleusement à travers tes mots, les images défilent dans mon esprit et me donnent envie de me plonger dans ton univers. Faire vivre les notes par un matin banal et se retrouver ailleurs, voilà une idée qui me plait.

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