Il n’y avait pas d’étoiles

Suivez-nousFacebookby featherSuivez-nous
PartagerFacebooktwitterpinterestlinkedintumblrby featherPartager

Il n’y avait pas d’étoiles.

Le ciel d’encre et le manteau de neige étaient tout ce que je voyais alors que, morose, je marchais dehors en cette longue nuit du solstice d’hiver.

Quelques mois plus tôt, j’avais perdu l’être qui m’était le plus cher. Elle s’était éteinte au terme de trois jours de cruelles souffrances; elle avait accidentellement ingurgité un produit nettoyant d’une nature inconnue qu’on avait mesquinement dissimulé dans sa nourriture.  On l’avait portée aux soins, mais il était trop tard : comment peut-on soigner des organes fondus? Des entrailles dissoutes? Ses râles me hantent encore, alors qu’elle était prostrée au sous-sol, tentant en vain d’échapper aux griffes noires qui la lacéraient de l’intérieur.
Dans un geste qui se voulait compatissant, mais qui était aussi la seule manière de vaincre notre sentiment d’impuissance, on l’avait soulagée de ses douleurs.

Peu de gens comprennent vraiment le déchirement d’un deuil; le vide, le gouffre, le néant que laisse l’être aimé en partant. C’est encore plus vrai lorsqu’il s’agit d’un animal de compagnie; il est inadmissible qu’on puisse éprouver assez d’affection pour une créature autre qu’un humain pour la pleurer à sa mort. En ce qui me concerne, je n’ai jamais aimé quiconque autant que j’ai aimé ma chatte.
Oui, parce que je n’ai jamais trouvé chez personne les qualités qu’elle possédait. Évidemment, ici, on pourrait me reprocher que je triche, car comment peut-on s’attendre de quelqu’un qu’il rivalise avec un animal, côté perfection et innocence? Mais le fait est que je n’ai réellement côtoyé que de la malveillance dans l’aspect social, humain, de ma vie.
Elle était si bienveillante, si attentionnée, si affectueuse! Elle était dépourvue de malice et toujours en train de quérir mon attention.  Elle était ma lumière, mon ange-gardien; c’était comme si quelqu’un veillait sur moi à travers elle.
Et maintenant, plus rien. Elle était partie de la plus écœurante des façons, à croire que la grandeur de sa bonté n’aurait d’égale que l’horreur de la manière dont elle trépasserait! La justice n’existe pas, le karma n’existe pas.

Je suis maintenant seule dans la noirceur, plus amorphe que jamais.

Je ne demande à personne de comprendre. Il est déjà difficile de se mettre à la place d’un autre quand c’est un ami, auquel cas, pour préserver cette relation, il faut faire un effort. Alors pour ce qui est d’un étranger…

Qu’on se comprenne, les gens ne m’aiment pas; c’est comme ça depuis ma naissance, conséquence d’une aventure entre ma mère et un homme marié, père de famille, qui l’a fuie pour retourner vers sa cocue dès qu’il a appris la nouvelle.
Seule, abandonnée, ma mère m’a détestée à partir de ce moment; c’était de ma faute si son idylle s’était terminée, et à cause de moi, elle aurait un fardeau à traîner pendant au moins dix-huit ans.

N’ayant jamais vraiment supporté ma vue, elle a décroché un emploi comme préposée aux bénéficiaires dès que j’ai acquis ma première once d’indépendance, et, travaillant de nuit, elle a pratiquement été absente de ma vie pendant la plus grande partie de mon enfance.
Un jour, au début de mon adolescence, peut-être à cause d’un accès soudain et temporaire de culpabilité externe, j’avais, au retour de l’école, trouvé un chaton tabby, noir et blanc au poil long au milieu du minuscule appartement qu’elle et moi partagions (plus précisément, dont je faisais usage le jour et elle, la nuit).
Le chaton était sale, semblait avoir du sang dans les poils. Il était maigre, avait l’air complètement perdu, tournait en rond en piaillant et s’était échappé quelques fois déjà sur le plancher.
Mais c’était la plus belle chose qui m’était arrivée depuis ma naissance.
Je l’avais calmé, nourri avec ce que je pouvais, lui avais confectionné une litière, et l’avais lavé. J’avais alors constaté qu’il avait quelques ecchymoses, ainsi que quelques brûlures. Il –elle, comme je l’avais remarqué– s’était  peut-être coincée dans un endroit où la chaleur l’avait attirée, en cette saison froide. Puis, on -ma mère?- l’avait possiblement sortie de là –sous sa voiture? –et, en hâte, juste avant de partir au travail peut-être, on avait probablement eu un instant fugitif de bonté.
Duquel je serai toujours reconnaissante.

Toujours est-il que j’ai passé les années suivantes à prendre soin d’elle, à l’aimer de tout l’amour dont j’avais été privée et qu’elle me rendait au centuple, jusqu’à ce moment fatidique où j’avais bien été obligée de transmuer mes affections tendres en pensées aimantes et en prières bienveillantes, quoique encore très mouillées.

Et me voilà, aujourd’hui, les pieds dans une neige givrée, la tête, vide, dans une immensité d’ébène, dépourvue de ses brillants habituels. Un froid transperçant, qui pénétrait le tissu et la chair comme mille glaçons, un vent tel des vagues glacées, voilà ce à quoi ressemblait cette nuit du solstice d’hiver, au cours de laquelle je devais aller à une clairière isolée.

Quelques jours plus tôt, j’avais décidé que je n’en pouvais plus. Je m’étais enlisée dans un brouillard d’apathie; dans une boue fantomatique, grise de pensées focalisées sur une chose unique, qui me rendait amorphe. J’étais vide, désintéressée, absente. Cela jusqu’à ce que je tombe sur un passage traitant de résurrection dans un livre d’un de mes cours, un jour où j’étais moins aveugle de déprime que d’habitude. De résurrection, puis de sorcellerie.

Ce mot –résurrection– avait d’abord fait une étincelle en moi. Puis, obsédée, j’ai fait des recherches sur les rituels – voyage astral, purification, bannissement, divination, invocation. Maniaque, je me suis renseignée sur les coutumes, les mœurs, les matériaux, les fêtes, les saisons, les plantes. Compulsive, j’ai cherché puis trouvé un sort obscur. Qu’avais-je à perdre?

Après une trentaine de minutes supplémentaires de bise pénétrante, je mis enfin les pieds dans cette clairière où je fis tous les préparatifs, incluant symboles dans la neige, chandelles aux couleurs appropriées, plantes requises, encens demandé, autel construit avec les moyens du bord. Je prononçai les incantations –du latin– les répétai, les accompagnai des gestes et matériaux nécessaires. À la complétion du rituel, achevé après deux heures de discipline maladive, je repris mon souffle, essuyai la sueur. Remarquai la disparition du vent, les chandelles éteintes, l’air gelé, lourd et immobile. Un souffle chaud dans mon cou.

(Texte inspiré d’une histoire vraie. Repose en paix Muffin)

Suivez-nousFacebookby featherSuivez-nous
PartagerFacebooktwitterpinterestlinkedintumblrby featherPartager

2 thoughts on “Il n’y avait pas d’étoiles”

  • C’est un très beau texte. Je l’ai adoré. Il m’a beaucoup touchée. C’est toujours dur de perdre un être cher quand c’est lui qui garde en nous une flamme. Ton texte est très bien écrit et tu as choisi les bons mots, au point que nous ressentons exactement ce que le personnage ressent. J’ai eu les larmes aux yeux. Félicitations !

  • J’adore cette nouvelle car elle est très bien écrite, on comprend vraiment ce qu’elle veut nous faire ressentir et ça me touche parce que j’ai également des animaux de compagnie.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *