Les sacrés français

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Non, mais je rêve? Après des semaines, voire des mois de débats, de manifestations, de critiques assez épouvantables, la France devient, enfin, le 14^e pays à légaliser le mariage entre deux personnes du même sexe, leur donnant du même coup le droit à l’adoption. Comme plusieurs, j’ai suivi cette saga un peu partout dans les médias. J’ai vu des types manifester dans Paris furieusement en clamant que les enfants ne peuvent être équilibrés que lorsqu’ils ont un papa et une maman. J’ai lu des slogans sur Dieu, sur la nature, sur le danger même d’accepter le mariage gay dans une société. J’ai rigolé devant des gens dans les journaux qui affirmaient des trucs comme «Le mariage pour tous? Et puis quoi encore? Le mariage des frères et sœurs?». Parce que oui, au début, ça m’amusait un peu. «Ah, les sacrés français», que je me disais. Au Québec, on n’est pas comme ça. Ici, les homosexuels sont libres de vivre leur vie, de s’afficher, de s’aimer. Je le croyais vraiment. Il est vrai que je ne me rappelle pas que la légalisation du mariage gay au Québec ait soulevé, il y a des années, la colère de mes concitoyens…

Et puis est débarquée dans ma télé la publicité du gouvernement québécois pour contrer l’homophobie. Les pubs sont mignonnes, toutes en simplicité. En gros, on y montre ni plus ni moins que des gens du même sexe qui s’aiment : Un type attend son amoureux à l’aéroport et l’embrasse. Une femme se fait surprendre par sa blonde pour son anniversaire et l’appelle «mon amour». Rien de bien choquant pour qui que ce soit, non? Encore une fois, j’avais cette conviction profonde que le Québec est tellement ouvert. Que pendant que des milliers de gens manifestent à Paris, les Québécois accueillent les gens différents avec tolérance et que personne ne s’offusque qu’un enfant puisse avoir deux mamans. À la limite, j’avais le sentiment que cette pub était un peu inutile et que l’ouverture d’esprit était déjà au cœur de bien des familles plantées devant leur télé.

C’était, de ma part, faire preuve d’une bien grande naïveté.

Peu de temps après la diffusion des pubs, les réactions ont déferlé sur les médias sociaux. Et je suis tombée en bas de ma chaise. Bien des gens, pas tous, mais plusieurs d’entre eux, étaient choqués noir. Deux gars qui s’embrassent! À heure de grande écoute! De l’argent gaspillé à «promouvoir» l’homosexualité dans notre société! J’ai lu plusieurs dizaines de commentaires le souffle coupé. Des gens s’offusquaient que leurs enfants puissent voir deux gays s’embrasser et que ce soit pour eux une mauvaise influence. Certains avançaient ne pas être homophobes, mais ressentir un malaise devant ces images à la télé. D’autres déliraient carrément, faisant un parallèle entre la tolérance envers les gays et les droits des pédophiles et des zoophiles. J’aurais ri, peut-être, si je n’avais pas été aussi consternée. Le Québec, mon pays chéri que je pensais ouvert, tolérant, libre, mon Québec abritait des gens au discours aussi homophobe que ce que j’avais pu lire dans les journaux français!

Alors non, je n’ai pas sauté de joie en apprenant récemment que François Hollande avait, au-delà des manifestations de milliers de Français, légalisé le mariage et l’adoption de conjoints du même sexe dans son pays. Je n’ai pas dit «Enfin, les français sont ouverts d’esprit». Parce que ce n’est pas vrai. Ce n’est pas parce que le gouvernement prend une décision ouverte que monsieur et madame tout le monde adoptent systématiquement la même tolérance.

Je ne mettrai plus jamais les «méchants français homophobes» à part des «gentils québécois ouverts» dans ma tête de jeune fille idéaliste. Des gens homophobes, intolérants, fermés, méchants, il y en a partout. Ici aussi, et beaucoup.

Et c’est exactement pour ça que les publicités contre l’homophobie sont aussi indispensables. Montrez-les, faites-les tourner partout. Et laissez les gens chialer. Un jour, peut-être, ils se rendront compte que tout ce qu’ils voient dans leur télé, ce sont deux personnes qui, contrairement à eux, ont de l’amour à donner.

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