Partager
Je suis conscient de mon énorme retard. Le Livre des illusions (The Book of Illusions dans son titre original) de l’auteur américain Paul Auster est sorti il y a douze ans déjà, soit en deux mille deux. Néanmoins, comme je n’avais que sept ans à l’époque et que l’œuvre reste très contemporaine, je me permets cette petite critique.
Le Livre des illusions est le douzième roman de l’auteur – et le seul que j’aie lu pour l’instant. Lors de l’écriture du bouquin, Paul Auster en est donc à un stade avancé de sa carrière d’écrivain qu’il a débutée dans les années quatre vingts et a déjà quelques classiques en devenir à son actif; par exemple, la trilogie de New York qui reçut un accueil critique très positif. L’histoire présentée dans le roman est racontée de façon totalement décousue et non-linéaire; signe, parmi tant d’autres dont je parlerai plus tard, de l’appartenance claire de l’auteur au post-modernisme.
On nous raconte un bout de la vie du professeur David Zimmer qui, suite à la mort de sa femme et de ses enfants dans un tragique accident d’avion, se met à l’écriture d’un livre portant sur une figure obscure du cinéma muet, Hector Mann. Mais il y a un détail important concernant Hector: il a disparu à la fin des années vingt, subitement, sans laisser aucune trace, et ce mystère ne fut jamais résolu. La vie de notre protagoniste se trouve bouleversée quand une femme le contacte et prétend qu’Hector est non seulement en vie, mais souhaite le rencontrer. Nous alternons ensuite entre de longs chapitres racontant la vie du mystérieux cinéaste et d’autres racontant celle de David Zimmer, jusqu’à ce que le tout se rejoigne majestueusement.
Ce qui est intéressant, c’est que même si ça nous semble décousu, des thèmes reviennent dans les deux trames narratives: la perte de l’identité, la création, l’amour, la mort, le futur incertain, le suicide, la vérité, entre autres.
L’une des choses les plus frappantes qui survient lors de la lecture du Livre des illusions, c’est la frontière extrêmement mince entre ce qui est réel et ce qui est fictif. Hector Mann est bien évidemment un personnage inventé par Paul Auster, mais à certaines occasions, il nous arrive de douter de ce fait. Un chapitre en particulier est tiré du bouquin fictif sur Hector Mann écrit par le personnage principal, et la description des films – eux aussi fictifs – qui y sont analysés est tellement riche et détaillée qu’il est très facile d’imaginer les films en question visuellement, tellement qu’on ne saurait dire si nous les avons déjà vus, ou simplement avons lu sur eux. Les faits racontés sur la vie du comédien sont aussi tellement précis et minutieux qu’il nous semble que Paul Auster n’a rien inventé, mais simplement fait qu’une recherche rigoureuse sur un sujet existant. D’où le titre, d’où les illusions.
Deux autres aspects intéressants qui témoignent du post-modernisme de l’oeuvre sont les multiples références culturelles et intertextuelles présentes dans le livre et le concept de métafiction. Celui-ci est principalement présent à travers l’idée, clairement émise à la fin du roman, voulant que David Zimmer soit l’auteur du Livre des illusions, ce qui vient renforcer le sentiment d’authenticité construit tout au long de l’histoire. Pour les références culturelles, il y en a des tonnes tout au long du récit, le narrateur étant un universitaire érudit. Ses réflexions profondes sur une foule de sujets ponctuent le déroulement de l’action et enrichissent l’oeuvre en faisant d’elle une oeuvre savante, mais pourraient rebuter une bonne portion du lectorat qui n’est pas intéressée à s’aventurer dans ce genre de pelletage de nuages.
Pour l’intertextualité, il y en a beaucoup aussi, mais ce qui est le plu intéressant, c’est qu’une bonne partie de celle-ci est en fait de la fausse intertextualité. Au sens où on nous rapporte un texte (ou autre création narrative) déjà écrit au moment de l’écriture fictive du Livre des illusions par David Zimmer, que celui-ci inclut dans son roman, mais qui n’existe que dans l’univers fictif du Livre des illusions de notre univers à nous, écrit par Paul Auster. Pour faire plus simple, il s’agit d’inventions d’Auster sur toute la ligne. Il y a, bien sûr, ce chapitre qui est un extrait du livre de Zimmer sur Hector Mann, ainsi que des descriptions extrêmement pointues des films d’Hector, mais ce que j’ai trouvé le plus fascinant, c’est une traduction anglaise du début des Mémoires d’Outre-tombe de Chateaubriand, faite par le protagoniste. Nous avons donc l’introduction du dernier livre du célèbre auteur romantique en plein milieu de notre livre à nous, dans une traduction exclusive faite par Paul Auster.
En somme, pour toutes ses raisons, pour la douce complexité née de toutes ses raisons mises ensemble, et parce que l’auteur sait nous tenir intéressés et curieux tout au long du roman malgré sa complexité narrative, je lui donne quatre bonnes étoiles sur cinq.
* * * *
Suivez-nousPartager