Guérison en papier, par Alexa Bellerive

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Cela faisait deux semaines que je ne dormais plus. Cela faisait trois mois que j’avais perdu toutes les personnes que j’appréciais. Cela faisait six mois que je ne réussissais plus à l’école et que j’avais perdu toute ma concentration. Cela faisait un an que je pensais sérieusement à me suicider. La vie, pour moi, n’était qu’un prétexte pour me faire atrocement souffrir. Tous mes souffles las me rappelaient à quel point l’abattement me violait à grands coups de masse. Je ne désirais plus vivre cette vie de misère. Je ne désirais plus endurer cette chute dans ce gouffre noir rempli de tristesse sans fond. J’étais prête à donner mon corps et mon âme à ce que l’on appelle la mort pour enfin lâcher mon dernier soupir de désespoir tant attendu. Cette journée-là, le plan qui était pour être le précurseur de mon grand voyage au paradis était déjà établi dans ma tête. Le moindre geste, le moindre déplacement étaient planifiés et chronométrés pour que de mauvaises surprises ne me sautent pas au visage. J’étais donc partie de la maison avec le sac à dos de ma sœur que j’avais préalablement préparé pour l’occasion. J’y avais caché, dans la plus grosse pochette, la corde funeste qui allait me donner la mort. Une fois sur les lieux de ma mise à mort, près d’un gros chêne dans la forêt proche de chez moi, j’ai voulu attraper la corde, mais j’ai malheureusement ouvert la mauvaise section du sac. Par contre, je suis tombée sur la chose la plus extraordinaire au monde, la huitième merveille, le baume qui permettrait la guérison de l’anéantissement complet de l’être humain, l’objet soulageant tous mes orages. J’avais enfin trouvé ce que j’attendais depuis des lustres : la main qui pourrait enfin me tirer de ce trou immense, bref l’espoir couché sur papier.

Lorsque j’ai pris ce livre dans mes mains tremblotantes, sa couverture noire et luisante comme un miroir ainsi que son titre accrocheur aux couleurs de l’arc-en-ciel me sont apparus comme une illumination spirituelle. Puis, lorsque j’ai tourné les premières pages, j’ai enfin vu la lumière au bout du tunnel. Je me suis assise au pied de cet immense chêne et j’ai commencé à lire. Les branches et les feuilles de l’arbre se comportaient comme de grands bras protecteurs. À ce moment-là, plus rien ne pouvait m’atteindre. J’avais entre les mains un livre révélateur et rassurant : La vie est cool de Neil Pasricha. Celui-ci me faisait redécouvrir, pour la première fois depuis que j’étais tombée face première dans cet abîme infini qu’est la dépression, les petits plaisirs simples de la vie. Je prenais enfin conscience qu’il existait véritablement de petits bonheurs anodins et quotidiens dans ce monde de haine et de souffrances. Je suis restée assise sous cet arbre pendant des heures et des heures sans voir passer le temps. Étrangement, le tic tac incessant de mon horloge psychologique malfaisante, qui me faisait voir la vie de son côté le plus monotone, s’était déréglé et avait laissé place à une douce musique apaisante qui ne prenait plus compte du temps.

Cela faisait donc deux mois que la tristesse s’était évaporée dans ma vie et qu’un sourire se traçait sur mes lèvres à plusieurs reprises dans une même journée. Je prenais le temps de remarquer et d’apprécier les moindres petits détails des choses qui créent le bonheur dans une vie. J’avais été sauvée. Jamais! Au grand jamais je ne me séparais de mon livre réconfortant, ce qui provoquait des éclats de moqueries de la part de mes anciens amis qui me trouvaient vraiment bébé lala de traîner ce livre partout où j’allais. Cependant, il y eut cette journée monstrueuse d’automne où j’ai été consternée. Un midi, alors que je mangeais sur une des tables à pique-nique de mon école, mes copains d’autrefois se sont emparé de mon livre sacré pour y mettre le feu. Immédiatement, je me suis jetée sur celui-ci avec un verre d’eau pour éteindre les flammes, ce qui a provoqué un immense nuage de fumée. Lorsque j’ai constaté les dégâts, mon si beau livre s’était transformé en vieux livre noirci, souillé par le geste impardonnable de gens terriblement cruels. À cet instant, j’en ai voulu à la Terre entière et à tous les Dieux de l’univers d’avoir permis qu’on me détruise la dernière chose à laquelle je croyais. Je ne cessais de me répéter qu’ils n’étaient qu’une bande de salauds! J’ai alors quitté les lieux en larmes et le cœur en bouilli. Puis, j’ai couru, couru, couru jusqu’à mon grand chêne. Je m’y suis effondré et j’ai ouvert le livre souillé qui avait perdu toute sa brillance. À ma grande surprise, les pages étaient toutes blanches. Les petites joies de tous les jours que j’aimais tant lire avaient toutes disparu. À ce moment précis, j’ai revu le trou noir qui me hantait quelques mois plus tôt et je m’y suis faite aspirée fortement. Je suis donc restée assise sous ce chêne aux branches dénudées dans le mutisme le plus profond. Et j’ai patiemment attendu la mort qui me redonnerait la vie.

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