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C’est d’un coup de vent que ma belle est partie, laissant mon cœur meurtri par des mots trop vrais. De ses longs cheveux elle m’a salué, d’un sourire moqueur elle m’a nargué, d’un regard lourd de sens elle m’a jugé. Tout en s’en allant, elle a fait apparaître des cicatrices sur mon cœur. Elles étaient encore plus profondes que mon amour. En les recouvrant d’une main tremblante, je songeais à ce qu’elles ne guériraient jamais… du moins, pas complètement.
C’est sur mon lit de mort qu’elle est revenue, ses longs cheveux blonds transformés en de légers fils blancs. Elle les avait coupés, aussi courts et asymétriques que notre relation…
De l’autre côté de la lumière, elle est revenue à moi. Elle est jeune et brune, mais je sais que c’est elle. Douce, calme et d’un caractère sans mots, ce sont ses yeux qui me l’ont dit. Chaque soir, je la rejoins dans son lit et je m’assois au pied de ce dernier, guettant chaque ombre, chaque mouvement de ma merveille. Je suis si heureux de la retrouver, mais malheureux de ne pas être à ses côtés en chair et en os. Je n’ose pas la toucher, ma merveille. Elle est trop belle lorsqu’elle dort ; je n’oserais pas la réveiller.
Elle croit que je suis dangereux, je le sens bien, alors je lui parle lorsqu’elle ne le sait pas. J’essaie de la calmer, de lui démontrer que l’ombre qui bouge le long des murs à ses côtés n’est pas mauvaise. Elle me regarde souvent, la peur se ressent dans ses yeux. Je l’aime tant, ma belle. Je ne veux pas qu’elle me quitte à nouveau! Je lui cherche quelqu’un à mon image, mais elle les ignore toujours. Elle ne sait pas ce qui l’attend, c’est bien ce qui est drôle. Au moment même, elle boit mes paroles.
Elle est si jolie, en transe, ma merveille. Si elle m’a quitté la première fois, c’était de ma faute, j’en consens. Elle est si timide, ma belle, qu’elle n’ose jamais approcher ceux qui la regarde comme je le faisais. Elle les évite, à vrai dire. Ce soir, je vais encore lui parler. Lui dire que le prochain pour qui elle ressentira une certaine attirance, ce sera le bon. Pas un gêné, pas un de ces charmeurs. Un homme normal, qu’elle rencontrera dans un lieu où elle connaitra peu de gens. Le rouge de ses vêtements attirera son attention…
***
22 décembre
C’est cette nuit que j’ai déclaré son destin à Emma. Ma belle se lève de son lit, les cheveux encore en bataille après son rêve étrange. Je suis debout à ses côtés, les mains dans les poches de mes éternels jeans noirs trop grands et troués sur le côté droit. (Parfois, je me dis qu’il est mieux d’avoir ceux-ci que d’être mort dans une des chambres où je devais me promener en jaquette d’hôpital.) Je sais qu’elle ne me voit pas en ce moment même, mais je me plais à penser qu’elle pourrait un jour se réveiller et me parler, me regarder à nouveau comme elle faisait dans son autre vie.
Alors que je m’amuse ce matin-là pour le quatre cent troisième jour à définir les traits féminins de la femme qui se tient devant moi, cette dernière se lève rapidement et accoure à la salle de bain. « Des nausées matinales? », demandai-je à voix haute, espérant presque une réponse de sa part, comme si elle ne venait pas de passer à travers mon âme dans une violence qui m’était jusqu’alors étrangère.
Elle sort de la salle de bain, s’habille rapidement après s’être brossé les dents et quitte son appartement en vitesse. Je regarde instantanément l’heure : dix heures et demie. Pour la première fois, je voyais Emma être en retard, ce qui explique la nausée en se levant. De plus, c’est la dernière journée avant les vacances, ce qui veut dire qu’elle est en retard aux derniers examens de la session.
Je m’assois sur son lit, la tête entre les mains. Peut-être n’aurai-je pas dû lui confier un passage de sa vie tout de suite? Non, sûrement pas. On m’a livré cette mission, ce qui s’était passé précédemment était simplement inévitable. Je ne peux pas me tromper, mon devoir était bien de lui indiquer le chemin à prendre à cette date précise!
23 décembre
Durant la nuit, ma merveille a parlé à sa meilleure amie au téléphone; elle est au courant du moment où tout se déroulera. J’ai pu constater le stress et l’impatience sur son visage. Elle n’arrêtait pas de sourire, mais se mordait aussi les lèvres plus fortement qu’à son habitude. Depuis cet instant-là, je suis persuadé qu’Emma est prête à affronter ce qui l’attend. Ma merveille semble enfin préparée à la rencontre de l’homme qui lui est prédestiné.
La journée avance à tâtons et ma douce se lève tard, très tard. Elle est en congé et doit se rendre chez ses parents pour les vacances. Elle avait le sourire aux lèvres et la larme à l’œil en quittant son appartement, songeant avec nostalgie qu’elle reviendrait à cet endroit, sa maison, son cocon, complètement transformée.
24 décembre
Le temps passe rapidement à partir de l’heure où elle est invitée chez une de ses copines. « Une soirée entre amis », lui a déblatéré son amie d’enfance au téléphone. Emma a ri, car son amie ne savait pas ce qui allait se tramer, et elle non plus d’ailleurs. Elle avait un grand sourire aux lèvres et les yeux brillants. Elle était si jolie, à ce moment-là, que je ne pouvais pas croire qu’elle était réelle. Je me suis dit que l’homme qui la verrait plus tard devrait avoir la même réaction que moi, si pas plus. J’ai pensé avec les larmes aux yeux que j’espérais toujours le meilleur pour ma belle; une pensée qui fut semblable au moment où je la vis arriver dans ma chambre d’hôpital, lorsque j’étais encore vivant. Les rides tranchaient son visage angélique, mais elle était toujours aussi belle et énergique qu’à notre séparation.
25 décembre
Nous sommes déjà à la veille de l’évènement. Ma merveille est tremblante et de plus en plus impatiente, et son sommeil ainsi que son alimentation en sont touchés. Elle déballe les cadeaux de ses parents et leur offre les siens sans vraiment paraître se trouver dans le présent, un silence de sa part coupant toujours les conversations que ses parents tiennent à faire. Ils la sentent distante, sûrement, intrigués par le comportement étrange de leur fille.
26 décembre
Il n’est que quatre heures et demie du matin et Emma n’arrive plus à dormir, roulant dans son lit d’un côté et de l’autre. Mon ange est si excitée à la venue des évènements de la journée qu’elle prend des heures à faire et refaire sa coiffure, s’habiller et se changer, se maquiller et recommencer. Tout n’est pas aussi parfait qu’elle le voudrait, mais elle décide de garder ses jeans rouges et un chandail qui lui va parfaitement, comme sa mère peine à lui dire à chaque fois qu’elle les essaye. Ma merveille est tellement belle avec ces vêtements, qui font ressortir ses joues rosies par le désir.
Il est 21 heures et il faut qu’elle s’y rende. Son amie devait venir la chercher, puisque ses parents veulent avoir une soirée entre amoureux, mais elle n’est même pas encore arrivée une demi-heure après l’heure prévue. Emma se décide donc de s’y rendre à pied, malgré la neige, malgré le froid. Deux kilomètres la sépare de sa destination, mais son destin lui coupe le passage après à peine la moitié du chemin de parcouru.
Un camion est passé à toute vitesse sur la rue juste avant de tourner sur celle de son amie. Le chauffeur était trop saoul, trop con, trop têtu, trop fatigué pour seulement baisser la tête et percevoir la jeune femme qui marchait au froid juste devant lui.
Je me place devant ma belle pour essayer de faire quelque chose, ce qui est impossible vu les circonstances. Je pleure devant tous ces efforts, devant toutes ces journées passées à attendre de pouvoir lui avouer son destin. Je n’ai même pas le temps de me rendre compte de ce qui est en train de se passer que je commence déjà à voir son âme sortir de son corps mutilé, les membres arrachés et les entrailles visibles, ce qui me rend d’autant plus triste que de la voir partir dans les bras de son futur amant, qui est manifestement absent de cette réalité.
Son âme sort lentement de son enveloppe corporelle, évènement devant lequel je ne peux rien faire. Elle se poste à mes côtés, me regarde tendrement et sourit devant cet homme d’environ le quadruple de son âge, malgré les apparences, et prend mes mains dans les siennes. C’est alors que je comprends. Je sais qu’elle ne voit pas celui que j’avais été lors de ma mort, mais plutôt celui que j’étais avant notre séparation, avant de ne l’avoir rejetée pour une autre. J’avais vingt ans lors de ce moment atroce.
J’avais vingt ans, toute ma vie devant moi… et un chandail rouge.
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