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Hiver 1962
C’est lors de cet hiver glacial que tout a débuté. Par une de ces traditionnelles froides journées de janvier, j’ai commencé à avoir mal à la gorge, à tousser, et faire beaucoup de fièvre. Maman et Papa semblaient très inquiets de mon état. J’imagine que c’est parce que j’étais leur seul et unique enfant. Maman s’occupait de moi avec sa douceur habituelle et veillait à ce que je ne manque de rien. Pendant ce temps, Papa travaillait pour gagner des sous. Je me souviens qu’un jour de février, mes parents m’ont amenée voir le docteur. Il avait l’air très soucieux de mon état. Je ne comprenais pas pourquoi tout le monde s’inquiétait tant.
Printemps 1962
J’allais mieux, mais Papa et Maman étaient toujours très occupés. Je leur parlais et ils ne portaient pas attention à ce que je disais. Je m’ennuyais. Je ne pouvais pas sortir dehors et je n’allais plus à l’école. Souvent, quand j’observais Maman, je la voyais pleurer. Je pensais qu’elle se tenait occupée pour ne pas penser à ce qui la bouleversait tant. Je n’aimais pas la voir pleurer. Papa, lui, ne pleurait pas, mais je voyais bien que quelque chose le tracassait. En mars, Maman est revenue du travail et n’y est plus jamais retournée. Les soirées n’étaient plus comme avant. Maman allait se coucher plus tôt en prétextant de ne pas avoir assez dormi la veille. Il n’y avait plus de contact humain entre mes parents et ça me rendait triste. Qu’est-ce qui s’est passé? Comment avais-je pu laisser passer quelque chose d’aussi dramatique juste sous mes yeux? C’était peut-être une affaire de grand comme mes parents disaient tout le temps avant qu’ils ne soient détruits par leur peine. Je ne comprenais pas.
Été 1962
Papa et Maman ont fait un voyage en Gaspésie. Je m’imaginais que c’était pour se changer les idées ou bien tout simplement pour changer le mal de place. J’étais contente pour eux, mais je me sentais triste parce qu’ils ne m’avaient pas amenée avec eux. Ils ont demandé à un couple d’amis de venir habiter dans notre maison. Je me doutais bien que c’était pour garder un œil sur moi. Lorsqu’ils sont arrivés, je constatai qu’ils avaient eux aussi une petite fille. Elle avait les cheveux blonds et elle avait également un petit visage de poupée. Je pense qu’elle avait environ mon âge. Malgré mon jeune âge, à chaque fois qu’elle me regardait, je pouvais lire la peur dans ses yeux. J’avais de la peine, car je croyais qu’elle me percevait comme une menace. Je ne lui voulais aucun mal, ni à elle, ni à personne. Les questions se multipliaient dans ma tête. J’étais perdue et je m’ennuyais de mes parents.
Automne 1962
Papa et Maman n’étaient toujours pas revenus. Je commençais à perdre espoir. La jeune fille avec qui je cohabitais s’appelait Camille. Elle me donnait l’impression d’être si fragile. Souvent, je la regardais et j’étais triste parce que je ne pouvais pas jouer avec elle. Un jour, je m’approchai d’elle et je lui ai dit :
-Pourquoi as-tu peur de moi? Je ne veux pas te faire de mal. Je veux juste jouer avec toi. Je me sens seule.
-Je je je m’appelle Cacamille et ttoi?
-Moi, c’est Auphélie. Tu veux bien jouer avec moi?
-D’accord.
C’est comme ça qu’est née une belle amitié entre moi et Camille.
Hiver 1963
Je n’avais plus aucun espoir de revoir mes parents un jour. Par une belle journée de janvier, le téléphone sonna. La mère de Camille répondit et je pris le deuxième téléphone, car j’aimais bien écouter les conversations. Ça me divertissait, ça comblait ma curiosité et ça chassait l’ennui. Pourtant, cette journée-là, j’aurais mieux fait de rester dans la salle de jeux avec Camille. C’était une madame au bout du fil :
-Bonjour, puis-je parler à madame Parker s’il vous plaît?
-Oui, c’est moi-même.
-C’est pour vous informer que votre amie Diane et son mari Jean ont eu un accident de voiture et malheureusement, ils n’ont pas survécu. Je suis désolée.
Je laissai tomber le téléphone de mes mains toutes moites. J’étais sous le choc. Mes parents … comment est-ce possible? Je me mis à pleurer et j’étais incapable d’arrêter. J’étais maintenant orpheline. Les jours et les mois défilaient devant mes yeux gorgés d’eau. Camille venait me trouver, mais je n’avais plus le cœur à jouer. J’étais incapable de faire autre chose que de rester assise et de fixer les quatre coins des murs.
Printemps 1963
Je commençais tout juste à m’en remettre. J’avais la sensation étrange d’être moins seule qu’avant. J’avais également l’impression que mes parents étaient toujours avec moi. Par une belle journée d’avril, Camille m’avoua qu’elle voyait souvent mes parents rentrer et sortir de la maison. Je commençai à penser qu’elle était complètement folle. Malgré tout, je restai très proche d’elle. Notre amitié ne cessa de prendre de l’ampleur. Bien souvent, nous avions la même idée de jeux au même moment. C’était comme si nous étions connectées. Plus les jours passaient, plus ce phénomène arrivait souvent. Ça me troublait, mais ça m’aidait à oublier mes parents.
Été 1963
Les parents de Camille ont eu un long congé pour l’été. Ils ont décidé d’aller passer l’été au Saguenay. J’étais triste parce que j’avais peur de perdre mon amie et je me demandais ce que j’allais faire toute seule. Lorsqu’ils sont partis, les larmes coulaient sur mes joues. Les jours défilaient devant mes yeux qui mouraient d’ennui. Pourtant, la présence qui me sécurisait depuis la mort de mes parents était de plus en plus évidente. Je n’avais pas peur, car avec elle, je me sentais moins seule. Je réfléchissais de plus en plus à ce que Camille m’avait dit (elle voyait mes parents), mais je n’y croyais pas plus. Quand je ne pensais pas aux problèmes irrésolus de la Terre, je sillonnais les murs et je passais mes petits doigts sur les tapisseries et les meubles poussiéreux. Je regardais les plafonds aux tuiles blanches et je les comptais et les recomptais jusqu’à ce que je sois fatiguée de le faire. Tout était d’un ennui mortellement long. Je comptais aussi les jours avant le retour de Camille et ses parents avec une impatience sans fin.
Automne 1963
C’était l’automne et les feuilles tombaient. Tout mourait dehors : les feuilles, le beau gazon de Papa… tout. Par une belle journée d’octobre, la petite famille est revenue de leur long voyage interminable. Camille me raconta chaque péripétie de ses vacances. Je l’écoutais d’une oreille attentive. J’étais heureuse de la revoir. Après son long récit, nous avons été jouées dans le salon ou Camille avait oublié, à son insu, une couverture sur la plinthe électrique. Au petit matin, Camille dormait paisiblement et je fus réveillée par une odeur de brûler. Lorsque j’ouvris les yeux, je vis le feu au bout de mon lit. La première idée qui m’est venue dans la tête à ce moment-là c’était : où est Camille? Je regardai par la fenêtre et je vis la mère et le père de Camille en larmes avec les policiers, les pompiers et les ambulanciers. Je me précipitai dans la chambre de cette dernière en faisant attention pour ne pas me brûler. Étonnamment, je ne sentais pas la chaleur et malgré celle-ci et la fumé dense, je réussis à me glisser dans la chambre de mon amie. Je la réveillai et je lui dis paniquée :
-Camille, réveille-toi, la maison est en feu!
-Auphélie, arrête! J’essaie de dormir. Va te recoucher.
-Non Camille. Réveille-toi, il faut qu’on sort d’ici, tout va s’effondrer.
Elle ouvrit les yeux toute étonnée. Je lui tendis la main, elle l’a prise et je nous frayai un chemin à travers notre maison enflammée. Je ne savais pas où j’allais, mais j’ai fini par trouver la sortie. Je fis passer Camille devant moi et quand ce fut mon tour, une lumière blanche apparut au moment où j’ai franchi le seuil de la porte. Le bruit autour de moi s’arrêta comme s’il était figé dans le temps. Puis, j’ai aperçu ma maman et mon papa. Ils m’ont pris les mains et nous avons continué à marcher en silence vers le fond de la lumière. Je ne me posais plus de questions. J’étais enfin libérée. C’est pendant ce moment de grâce que j’ai réalisé que depuis le printemps 1962, je n’étais déjà plus de ce monde.
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