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Je suis folle. Ce diagnostic, ils le partagent tous. Folle à lier, folle à craquer, folle à interner, je suis folle folle folle.
La cellule est petite, si petite…
Ils sont plus précis parfois; bipolaire, schizophrène paranoïaque, paraphrénique. Trouble obsessionnel compulsif, dénie chronique, manie aigüe, agitation psychomotrice, mégalomane… je les ai tous entendu parce que je suis folle. Folle. Folle.
Elle semblait plus grande au début, les murs se sont rapprochés. Je dois sortir, je veux sortir, je ne peux pas sortir. Je ne peux pas rester, je dois partir, qu’il me laisse sortir! Les murs se rapprochent, la cellule, petite cellule, minuscule cellule, micro cellule…
Ils ont essayé de me soigner, me traiter, me débiliter! Venlafaxine, aripiprazole, propallylonal. Rispéridone, olanzapine, quétiapine. Sulpiride, escitalopram, benzodiazépine. Insomnie, fatigue, maux de tête. Étourdissement, vomissements, vertige. Nausée, constipation, colon irrité. Tremblements, fièvre, convulsions. Perte de mémoire, perte de cheveux, perte d’appétit. Apathie, akathisie, dyskinésie tardive. Anxiété, hallucinations visuelles, psychose. Transpiration excessive, réaction allergique cutanée, acouphène. Maux d’estomac, arythmie cardiaque, saignement extrême… Tout cela ne sert à rien! Rien. Rien. Rien!
Je frappe les murs de mes poings. Sortir! Laisser moi sortir. Sortir. Sortir !
La cellule est si petite, la membrane cellulaire se rapproche, je manque… d’air… je me noie dans le cytoplasme!
Et il y a des fourmis… des fourmis dans mes jambes, des fourmis partout! Leurs pattes et leurs mandibules me démangent et me rendent folle. Faites les arrêter quelqu’un! Je n’en peux plus. Je n’en peux plus. Je n’en peux plus!
Catatonique… oh oui ils disent ça aussi. Catatonique, cata, catin tonique. Qu’est-ce qu’ils en savent? Rien, ils ne savent rien. Rien. Rien.
Qu’est-ce qu’ils savent eux, hein? Je ne suis pas ce qu’ils disent! Je ne suis pas folle et dangereuse. Peut-être dangereuse pour eux. Pourtant, si vous étiez enfermé dans une prison pour aucune raison vous voudriez fourrez un coup de machette au visage de vos geôlier vous aussi! Dangereuse pour eux oui, mais pas pour elle, pas pour ma petite fille. Je ne suis pas dangereuse pour elle et je dois la voir. Voir. Voir. Voir. Tout de suite. Maintenant. Maintenant. Maintenant.
Oh mon dieu! J’étouffe, j’étouffe, j’étouffe! Je sens des fourmis partout! Elles couvrent mes jambes, mes jambes sont noires, brunes, rouge fourmi, couvertes de fourmis, remplies de fourmis. FAITES PARTIR LES FOURMIS QUELQU’UN BON DIEU!
La cellule… parfaite cellule, ronde cellule, minuscule cellule… je suis prise. Prise. Prise. Prise.
Je dois sortir. Sortir. Sortir. Sortir.
Ils sont tellement cons! Ils ne savent rien! Rien je vous dis. Qu’ils se la ferment, qu’ils me laissent tranquille, qu’ils me laissent allez voir ma fille. C’est eux qui me rendent folle! Folle. Folle. Folle.
Les fourmis… elles ne sont pas parties… PARTEZ BON DIEU!
Je compte les tuiles, les fourmis vont partir. Un deux trois, trois fois trois, en long. Je compte en large, un deux trois, quatre fois trois, neuf fois douze, tous des multiples de trois qui font cent huit. Non, non, cent huit ce n’est pas un beau chiffre, même pas une racine carrée parfaite, non, non, les fourmis ne partiront pas. Non. Non. Non.
Les murs se referment, les murs m’enferment, les murs m’étouffent. L’air a été siphonné. Étanche cellule, microscopique cellule…
Respirer, oui je dois respirer, trois fois et je retiens mon souffle. Tout va bien aller, les murs ne m’écraseront pas, ça va bien aller… respire. Respire. Respire.
Ils disent que je délire, ils disent qu’il n’y a personne qui m’attend mais ils sont fous, tous fous! Ce sont eux les fous! Fous. Fous. FOUS! Ils disent que c’est du passé tout cela! Qu’ils se la ferment bon dieu! Ce n’est pas parce qu’ils me disent folle qu’ils peuvent m’enlever ma fille! Ce n’est pas parce qu’ils me disent folle, qu’ils m’enferment ici, que je ne suis plus une mère.
Je veux sortir! Je ne peux pas rester ici! Mes sanglots m’étouffent.
J’étais quelqu’un avant, avant qu’ils m’internent, qu’ils m’enferment ici. Je me réveille et je suis dans un hôpital, je suis dans un hôpital et ils ne me laissent plus sortir. J’étais une mère, une bonne mère avant d’être ici. C’est eux qui me gardent sans raison ici parce qu’ils n’ont rien de mieux à faire, parce qu’ils veulent m’enlever ma fille! Les salauds! Ma fille c’est ma chair de ma chair, ma cellule, mon ovule.
Je serre mes jambes contre mon torse, mes mains prises entre, dans la camisole de force, et je me berce d’avant en arrière. Berce en avant, berce en arrière, berce en avant, j’arrête. Et je recommence. Ça va passer.
Je suis dans une cellule, un ovule…
Je ferme mes yeux, j’imagine la mer, j’imagine une petite maison au bord de la mer où tout est calme, où tout est beau…
Ils disent que c’est dans ma tête tout cela, ils disent que j’avais besoin de me déconnecter de la réalité pour vivre avec ce qui s’est passé pour acceptr ce qui s’est passé, mais il ne s’est rien passé bon Dieu! Normal. Normal. Normal. Ce n’est pas normal, il n’y a rien de normal ici. Ils me disent de me calmer, ils me disent de répéter mon nom, son nom, ils disent que ça va m’aider à l’accepter mais il n’y a rien à accepter bon Dieu! Je ne suis pas folle et j’ai raison. Et je ne leur ferais pas le plaisir, le vicieux plaisir de dire le nom de ma petite fille en leur présence!
Je chante doucement, tout doucement. Au clair de la Lune, mon ami Pierrot, prête-moi ta plume pour écrire un mot. Ma chandelle est morte, je n’ai plus de feu, ouvre-moi la porte, pour l’amour de Dieu.
Ils disent que je dois les croire, ils disent que j’ai eu un accident, un accident d’auto. J’étais au volant ils disent, au volant, c’est moi qui conduisais et j’ai eu un accident!
Oui chanter, c’est bien chanter, une comptine, une petite comptine. À la claire fontaine m’en allant promener…
Tomber dans un lac qu’ils disent, et j’étais dans l’auto et je conduisais, c’était moi au volant. Mais ils sont fous, je ne me rappelle pas de ça, de rien, rien, rien de ça!
Petite cellule, microscopique cellule, ovule, mon ovule, ma petite ovule, devenu grande cellule…
Je chante une comptine, comme celle pour s’endormir. Je veux dormir… J’ai trouvé l’eau si belle que je m’y suis baignée
Ils disent, mademoiselle, vous conduisiez, et votre fille, votre belle petite fille, elle était dans l’auto, dans l’auto avec vous elle aussi… Mais elle, elle n’est pas sortie… non elle n’est pas sortie… Elle est morte ils disent…
Oui chante une comptine, comme tu chantais à ta petite fille pour qu’elle s’endorme et ne pleure pas, ne pleure surtout pas… Il y a longtemps que je t’aime, jamais je ne t’oublierai.
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Très beau texte, bravo! Il est intriguant, tout au long du texte on se questionne sur ce qui va se passer, pour ensuite arriver à la chute de la fin. Malgré la tristesse de la situation, les répétitions pour mettre l’accent sur certains mots et la raison pour laquelle la femme est «folle» font justement que je trouve ce texte beau.
Wow! Superbe! C’est très bien écrit, les énumérations et les répétions amplifient l’impression de désespoir et de perte du lien avec la réalité. Tous les noms de maladies, de médicaments et d’effets secondaires nous donnent l’impression qu’elle se perd dans tout cela et que c’est cela qui la rend folle alors que c’est la perte de sa fille. Bravo!
C’est l’histoire d’une mère qui, à la suite d’un accident d’automobile causant la mort de sa petite fille, perd la raison. Ce texte est mon coup de cœur, car le déroulement anarchique de l’histoire nous permet vraiment de croire en la folie du personnage qui est d’ailleurs magnifiquement construit. Bien que la logique semble absente, l’évolution, qui est subtilement présente, supporte d’autant plus la crédibilité de l’histoire. Par-dessus tout, j’ai aimé l’absence de clichés évidents. C’est du travail superbement bien réfléchi.
Lire, lire, lire ton texte. Non je ne suis pas folle, non. J’ai seulement une boule dans la gorge. Je suis touchée, ébranlée, fracassée. Toutes ces merveilleuses figures de style à rendre dément sont parfaites. La folie est un sujet bien délicat, presque incompréhensible. Tu nous le livres de manière perturbante, comme si j’étais cette pauvre mère perdue dans sa tête… Un monde de fou dans un texte si lucide, bravo.
Félicitations, très beau texte. J’ai adoré! Il y a beaucoup d’énumérations qui semblent donner une certaine intensité. Les mots en majuscules nous donnent l’impression de pouvoir l’entendre crier, les répétitions ressemblent à un écho de sa détresse. C’est un thème qu’on ne voit pas souvent qui décrit la détresse et la douleur d’une personne après une perte importante; on peut aller jusqu’à ressentir ce que ressent cette femme qui a perdu sa petite fille. Bref, wow!