Partager
À l’ombre d’un grand nom
C’est en fêtant ses 30 années d’existence que le Périscope introduit à nouveau sur les planches la pièce modernisée Vinci basée sur le texte de Robert Lepage qui a été présentée pour la première fois en 1985. C’est au théâtre que ce dernier présente quelques réflexions sur les difficultés de la vie d’artiste.
Frédéric Dubois, metteur en scène québécois, reprend avec doigté le texte qui a lancé la carrière internationale de Robert Lepage dans une mise en scène moderne représentant l’évolution du théâtre. Tout en respect, Dubois expose dans Vinci les réflexions et les remises en question qui font partie intégrante de la vie d’un artiste. De grandes attentes ont guetté impatiemment la sortie de cette première réinterprétation de cette pièce à succès qui correspond avec le 30e anniversaire à la fois de Vinci (en 2016) et du Périscope (en 2015) où la pièce a fait ses premiers pas. Surmontant la pression écrasante et malgré quelques accros lors de la première, l’œuvre conquit de nouveau les scènes québécoises et figure une fois de plus dans le grand livre de l’histoire du théâtre.
L’introduction singulière n’est pas sans rappeler le cinéma où un narrateur en voix off met en place l’atmosphère du film. Ici, cependant, le public a droit à un guide italien (Pierre-Philippe Guay) en chair et en os qui présente l’essence de l’art principalement dans sa langue natale heureusement sous-titrée en français. Les accents étrangers flottaient dans l’air et emportaient tous les volontaires dans un voyage court, mais révélateur. Les spectateurs deviennent ainsi les témoins des tourments de Philippe, photographe en questionnement, qui est joué magnifiquement par le comédien Olivier Normand. Le jeune artiste s’embarque dans un voyage en Europe. Le public apprend dans quelques analepses qui mettent en scène un Philippe bouleversé parlant à son psychologue qu’il est déprimé par l’échec de sa dernière exposition (des photos de salles de bain vides et aseptisées) et la mort d’un ami auquel il s’identifiait et qu’il admirait. Sous le conseil d’amis, le photographe s’engage à faire de l’ordre dans sa tête et dans son cœur. C’est la grande quête du sens de la vie. Entreprise longue et éprouvante, Vinci s’entrecoupe néanmoins de plusieurs ellipses qui allègent le récit.
Premier arrêt : l’Angleterre. Entre en scène un guide quelque peu excessif qui dirige subtilement Philippe vers un grand artiste de la Renaissance : Léonard de Vinci. Le voyage peinard du photographe se transforme en périple hanté par la présence imposante de cet homme qui a su laisser sa marque dans l’histoire de l’art et de la science.
Deuxième arrêt : la France. Vinci, devenu une ombre omniprésente, une obsession, est poursuivi par Philipe jusque dans un Burger King. Après une discussion particulière avec un travesti, il rencontre enfin la Mona Lisa dans le fameux musée du Louvre. Admiratif, contemplatif et un peu jaloux, le photographe continue son voyage initiatique vers la seule destination logique.
Troisième et dernier arrêt : l’Italie. Voilà donc l’origine du guide italien de l’introduction. L’ombre de Vinci grandit et Philippe se rapproche de la fin de son périple. Tout prend enfin son sens.
Le modernisme de Vinci pullule partout dans la pièce. L’introduction en italien et sous-titrée emporte le public dans une ère de partage culturel et international. L’anglais apparaît plus loin en le transportant cette fois-ci en Angleterre incorporant brillamment cette ouverture sur le monde européen. Les trames sonores amplifient à la fois les émotions et l’atmosphère prudemment construite de touristes en voyage : l’impression d’être des étrangers face à l’inconnu. De plus, le texte de Robert Lepage contribue à la sympathie voire à l’empathie des spectateurs envers Philippe par sa relative simplicité.
Toutefois, il est à noter qu’une connaissance minimale de l’art participera grandement à son appréciation. La pièce est cependant déconseillée à toute personne détestant la réflexion et la concentration nécessaires à la compréhension du récit puisque celui-ci commence en donnant quelques bribes d’informations qui s’imbriquent superbement lors du dénouement final. Frédéric Dubois peut ainsi fièrement signer son nom sur une mise en scène esthétiquement magnifique et réfléchie.
Le décor est constitué de quelques murs tantôt transparents tantôt réfléchissants qui prennent une grande part dans le déroulement de l’histoire et projette le public dans les méandres des pensées de Philippe. L’éclairage splendidement utilisé crée des effets spéciaux qui, comme les sous-titres, rappellent le cinéma. On peut remercier Renée Bourget-Harvey pour cette excellente idée.
Pour ce qui est du jeu d’acteur, Olivier Normand interprète Philippe, le guide britannique, le travesti français et la Mona Lisa dans une subtilité et une diversité impressionnante. Les costumes simples (une veste, une perruque ou une robe) l’aident à se glisser avec succès dans la peau de différentes personnes avec une remarquable habileté.
En somme, Vinci est un chef-d’œuvre, que dis-je, un hors d’œuvre à savourer. L’histoire transporte le public à travers le monde de l’art. Un tour rapide de l’Europe et de la carrière inimitable de Léonard de Vinci en une heure. Les spectateurs nagent dans une atmosphère grandiose qui mêle l’art visuel, l’art de la scène et l’art du cinéma où l’âme des artistes est sustentée pleinement. Les esprits analytiques sont également bien servis puisque les tourments psychologiques et philosophiques de Philippe occupent le devant de la scène. L’identification à une personne de renom et la comparaison inévitable avec des individus célèbres surplombent toujours la tête des artistes et parfois à la façon d’une épée de Damoclès.
Heureusement, Frédéric Dubois, tout comme Philippe, évolue à l’ombre d’un grand nom avec un talent qui est bien à lui.
Suivez-nousPartager