Douze

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C’est un jour comme les autres, vers la fin de l’automne. Les rayons du soleil percent les nuages grisâtres dans le ciel. Je suis allongée sur l’herbe et mon esprit vagabonde. J’aime être couchée et regarder cette vaste étendue de bleu.  Alors qu’une feuille morte me chatouille le visage, j’entends une voix au loin qui m’interpelle. Je me redresse et jette un coup d’œil derrière. Je ne vois personne. Perplexe, je me recouche sur l’herbe. Le vent secoue les arbres autour de moi et je ferme les yeux pour me laisser emporter par ce moment de silence et de solitude. Je pense que je suis ce genre de personne qui aimerait pouvoir courir après la lumière, voir le vent qui tourne et qui souhaiterait que les bulles de savon n’éclatent jamais. Vous devez vous dire que je suis bizarre, mais j’aime l’être. L’air est frais et tout est calme autour de moi jusqu’au moment où je sens quelqu’un s’asseoir brusquement sur mes hanches.

 Mon cœur cesse de battre, mes cheveux sont devant mes yeux et je me débats alors que j’entends un rire moqueur qui m’est très familier. Quand mon assaillant passe enfin la main sur mon visage pour dégager ma vue, je vois Peter assied à califourchon sur moi, le sourire aux lèvres. Sa chevelure de feu et ses yeux d’un vert éclatant brillent merveilleusement. Il est radieux. Il s’allonge de tout son long à mes côtés. Je le frappe amicalement sur l’épaule et nous rions. Il regarde l’infini et moi je le regarde lui. Il ferme les yeux. Ses taches de rousseur perlent délicatement son visage puis il entrouvre ses lèvres charnues en les léchant comme s’il s’apprêtait à parler. Il fronce ses sourcils touffus et ouvre les yeux. Il sait que je l’observe, mais il aime ça. Ce moment agréable s’arrête drastiquement lorsque cette alarme assourdissante débute. Il est temps de retourner à l’intérieur, déjà. Ces douze minutes sont toujours celles qui passent le plus rapidement dans ma journée. Nous nous levons, il me fait un petit au revoir de la main et va vers la gauche alors que je dois aller vers le tunnel de droite.

Tout est gris autour de moi. Quand la sirène se fait entendre puis que Peter et moi devons nous séparer, c’est toujours pareil. Chaque fois, c’est comme s’il repartait avec la beauté du ciel et les couleurs éblouissantes alors que moi je dois entrer dans ce qui ressemble au trou du diable. Je sais qu’il doit, lui aussi, retourner dans sa chambre incolore mais je préfère m’imaginer qu’il reste dans la lumière. Je me rends au bout du tunnel et pousse cette porte lourde, grise et froide. De l’autre côté, seules les petites lumières dans le haut des murs éclairent un couloir terne et exigu. Je passe devant ce qu’on appelle les mitards. Avant, les mitards étaient de toutes petites pièces pour les gens qui n’écoutaient pas les règles imposées par leur société. Si j’ai bien compris, les dirigeants laissaient les malfaiteurs dans ces pièces et les appelaient << prisonniers >>. J’ai lu cette description dans un des livres que je cache derrière mon miroir. Je dois les cacher car nous n’avons pas le droit de garder des bouquins ici. En fait, nous n’avons pas le droit de garder quoi que ce soit. Je possède seulement deux romans et un petit bracelet avec un rond dessus montrant des flèches qui tournent en pointant des chiffres. Me traînant les pieds en direction de mon cachot, je sentis quelqu’un me frôler le bras. En sursaut, je me rendis compte que ce n’était que ma psychopathe de voisine. L’autre fois, elle a passé la nuit à frapper dans les murs en criant des mots inaudibles. Quand j’aperçois enfin le bout de métal sur lequel est écrit mon prénom, Mia, j’accélère le pas et je suis soulagée d’être enfin dans mon tas de couvertures. La porte se referme d’elle-même derrière moi et ma chambre m’étouffe. Je me regarde dans la glace et tout ce que je vois ce sont mes petits yeux verdâtres fatigués d’avoir vu le jour et mes cheveux brun en bataille par le manque de lavage. Mes lèvres sont sèches mais ma chair semble nouvelle grâce au contact des rayons du soleil. Je décide alors de me coucher et la fatigue m’envahie en moins d’une.

Le bruit de ma porte qui s’ouvre est mon réveille-matin. Je me dégage de mon amas de couvertures et me dirige d’un pas endormi vers le couloir. La journée avance, je mange et tourne en rond.  Je suis impatiente de revoir Peter. Je pense souvent à lui et j’espère qu’il pense à moi. C’est peut-être prétentieux, mais il est le seul qui me regarde, littéralement. La petite musique, qui indique que la porte extérieure est déverrouillée, se fait entendre. Toutes les filles se précipitent vers celle-ci et je me fais bousculer entre une grande aux cheveux blonds et une mince écrasée à son tour contre le mur par mon poids. Je plisse les yeux lorsque j’arrive dehors et que le soleil me brûle l’iris.

En me dirigeant vers mon endroit favori de la cour, je sens un truc me passer sur les pieds. Quand je baisse les yeux, je vois que quelque chose de coloré s’est posé sur mon pied. En l’attrapant, je réalise que ça bouge. Je lâche un cri étouffé pour ne pas me faire avertir par les gardiens de la cour et l’observe attentivement. Ce n’est pas plus gros que le bout de mes doigts et il possède de grandes ailes nuancées de couleurs vives. Je suis étonnée de voir un être vivant autre que ceux qui vivent ici, avec moi. Ils n’arrêtent pas de nous raconter que nous sommes les seuls vivants suite à cette apocalypse il y a de ça douze ans. Chaque année, nous ajoutons une minute à notre temps à l’extérieur afin de tester graduellement la qualité de l’air. Les dirigeants nous disent que nous avons eu de la chance mais je ne me rappelle de rien, comme tout le monde. Je me suis seulement réveillée dans cet endroit remplit de règles lorsque j’avais 12 ans. Peter et moi sommes amis depuis ce temps. Nous nous sommes rencontrés le jour où il s’est électrocuté sur la barrière de la cour et qu’il a atterri à l’infirmerie où je faisais le ménage. Nous avons discuté pendant plusieurs minutes alors qu’il attendait l’infirmière et depuis ce temps, il passe tous ses douze minutes avec moi, près de l’arbre. Nous ne parlons pas beaucoup, mais ce n’est pas comme si nos journées étaient remplies de mésaventures.

Le petit être se promène sur ma main. Ses ailes ressemblent à de petits voiles orangés tachés de lignes noires. Je ne me tanne pas de le regarder tellement il est épatant ! C’est alors qu’il s’envole et il semble léger comme une bulle de savon. Il va vers la barrière et je le suis complètement hypnotisée. Il est ce qu’il y a de plus beau. Tout à coup, il redescend vers le sol et passe par un trou de la clôture que je n’avais jamais remarqué auparavant. Ce trou est grand comme ma tête ! Un peu abasourdie par ma découverte, je décide de cacher discrètement cette ouverture par un tas de feuilles. Je vais vers Peter en bougeant les bras en l’air pour attirer son attention et lui fais signe de venir voir. Il me suit et lorsque je lui montre ma trouvaille, il lâche un : << Oh ! >> d’étonnement. C’est alors que ma curiosité prend le dessus et que je décide de passer ma tête de l’autre côté puis mes épaules et finalement tout mon corps. Au même moment, un énorme sentiment de liberté envahit tout mon être. Lorsque je me retourne pour faire signe à Peter de venir, il ne m’a pas suivi. Je repasse alors derrière la clôture et lui dit, incrédule :

<< Ne me dis pas que tu as peur ?

  • Un peu… me répond-il. Je n’ai aucun souvenir de ce monde et j’ai peur d’être déçue de ce que je vais voir comparativement à ce que je me suis imaginé.
  • C’est plus beau que tout ce que l’imagination peut inventer. Je te le jure ! >>

Je retourne alors de l’autre côté, certaine de l’avoir rassuré. J’avance un peu plus loin et quand je me retourne à nouveau pour voir l’expression de Peter, je constate qu’il ne m’a toujours pas précédée. Énervée, je passe ma tête du côté de la cour. Il est toujours là, accroupi près du trou. Je lui prends la main en entrelaçant mes doigts aux siens et je le tire vers moi pour l’obliger à passer de mon côté. Un frisson parcourt mon corps et je suis d’autant plus heureuse de tenir ainsi la main de Peter. Je marche presque gambadant et je ne peux pas m’empêcher de sourire jusqu’aux oreilles lorsque j’aperçois d’autres petites bestioles qui volent. Je peux en compter une douzaine. Ici, le ciel me semble encore plus bleu, les arbres encore plus vert et l’air encore plus frais que dans la cour. Tout est beau et mes émotions se bousculent. J’aimerais crier et courir aussi loin que cet espace me le permet mais en même temps je me sens comme si je devais chuchoter et marcher sur la pointe des pieds pour ne pas déranger cette nature magnifique. Je me dirige vers l’horizon quand tout à coup la réalité me frappe. Je me laisse alors tomber sur le sol et mes larmes coulent. Je ne peux pas y croire. Il n’y a rien ni personne près de moi et je ne tiens rien entre mes doigts.

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