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Les vagues tracées par Poséidon déferlent sur la rive. Une jeune femme déambule comme un fantôme tout près de celles-ci. Elle frissonne, sentant les gouttelettes d’eau saline frapper le bout de ses orteils saupoudrés de sable chaud. Comme chaque jour, à cet endroit précis, le ciel est d’un bleu céleste éblouissant, sans nuages. Le paysage à perte de vue la surprend toujours, de ses grands palmiers majestueux bordant la plage brûlée par l’astre jaune orangé. Ce décor est l’hôte du combat éternel de la nature fluide contre la nature solide, l’eau contre le roc, l’eau contre sa peau.
Une nouvelle journée commence pour la jeune femme, toujours accompagnée de sa grande amie la solitude. Chaque matin, elle se réveille exactement au même endroit, sous le troisième palmier à partir de sa gauche. Pourtant, elle sait bien qu’elle ne s’endort jamais à cet endroit précis. Elle ne sait ni où elle se trouve, ni pourquoi elle y est. Même l’idée de son propre prénom est floue. Elle marche donc près de l’océan, d’un pas détaché, réfléchissant à ce que pourrait être sa vie. Durant sa promenade, la femme ne touche en aucun cas à l’eau, si ce n’est que quelques gouttes frivoles qui viennent se déposer involontairement sur sa peau basanée. Une force inconnue la retient constamment d’aller dans la mer, comme si le liquide et elle étaient des aimants de signes identiques. Ce n’est surtout pas la peur qui l’en empêche, puisque son désir de se rafraîchir est d’une puissance extrême. Elle a plutôt l’impression que des bras la retiennent, la gardant prisonnière de la plage brûlée.
Elle marche pendant plusieurs minutes qui lui semblent éternelles. Depuis combien de temps était-elle coincée ici ? Des millénaires, très certainement. Malgré le paysage paradisiaque, elle ne se sent pas bien. Plus elle réfléchit, plus elle est convaincue d’être sur cette plage pour un certain but encore méconnu. Les pieds nus, elle transforme ses orteils en pinceau et trace dans le sable tout ce qu’elle sait. Aucun détail n’est d’une évidence totale. Elle se creuse donc la tête en creusant encore avec les pieds. « Le palmier », se dit-elle. « Oui, le palmier où je me réveille tous les matins… voilà la clé de ma quête. ».
Elle l’aperçoit, au loin, à l’autre bout de la plage. Sans perdre de temps, elle se dirige avec empressement vers l’arbre, voulant à tout prix trouver des réponses à ses questions. Malgré la chaleur suffocante, elle court sans s’arrêter, déterminée.
Une fois arrivée à destination, elle examine le palmier sous tous les angles possibles. Rien. Aucun indice pouvant l’aider à se souvenir de son autre vie n’y est. Sous les feuilles, sur le tronc, rien ne s’y trouve. Découragée, elle commence à creuser dans le sable, son dernier espoir. Quelques décimètres plus tard, un objet solide attire son attention. Une combinaison de surf. Pourquoi un vêtement comme celui-ci serait enterré sous ce palmier? Elle touche le tissu du bout des doigts…
*
L’odeur de l’eau salée me chatouille les narines. Mes cheveux blonds trempés se bercent dans le vent sec de la Californie. J’ai l’impression qu’en étant sur ma planche, je flotte sur l’eau. Après toutes ces heures passées dans la mer, le soleil réchauffe et colore ma peau. J’entends les gens au loin qui crient mon nom, ainsi que leurs applaudissements. Je dois gagner cette compétition. C’est enfin ma chance d’être sélectionnée et je ne dois pas la rater.
*
Un malaise s’empare de la femme, la laissant perplexe. L’illumination qu’elle a eu la met en scène, mais elle ne se reconnaît pas. Elle n’aurait jamais cru être capable de se tenir debout sur une planche de surf au milieu des vagues, et encore moins d’être à l’aise à le faire. Elle reprend dans ses mains la combinaison, espérant une nouvelle image qui ne vint pas. Ses yeux plissés par le soleil, elle regarde à l’océan devant elle. Elle n’en avait jamais eu peur, mais depuis sa vision, une crainte s’installe en elle. Elle n’y comprend rien. Pourtant, aucun événement négatif ne s’y était produit.
En regardant vers l’horizon, elle voit un objet sur le sable, à quelques mètres d’elle. Elle marche, jusqu’à ce qu’elle y distingue une planche. Elle est en mauvais état, l’air d’être fraîchement sortie de la mer, poussée par les vagues. Prudente, la femme n’ose pas y toucher immédiatement. Après son inspection, elle remarque que le bois est fendu à quelques endroits, mais rien de trop dangereux. Elle tend la main vers la planche…
*
Les autres concurrents sont excellents, mais je dois me surpasser. Ma planche scinde les vagues pendant que moi j’exécute les pirouettes favorites des juges. Après une dizaine d’années, je commence à savoir leurs coups de coeur. Certaines figures sont très simples, d’autres, sont dangereuses, voire, mortelles. Je m’apprête à rentrer dans le tunnel d’eau. J’entends le grincement des millions de gouttes d’eau qui en forment le mur. Avec facilité et fluidité je traverse la vague cylindrique. J’en ressors, fière comme je ne l’ai jamais été. Je les entends m’applaudir encore plus fort. Ils hurlent de bonheur. Puis, le temps d’une demi-seconde, le temps d’être déconcentrée par cette vague de gratitude, une autre vague m’enveloppe et m’amène avec elle vers le gouffre. Je m’étouffe… Je… Je ne suis plus capable de respirer.
*
Elle laisse tomber la planche, essoufflée. Elle comprend désormais pourquoi la peur de l’eau l’a envahie, un peu plus tôt. Elle sait maintenant pourquoi elle est coincée ici. Elle doit sortir de cette prison paradisiaque, elle doit vaincre sa peur. La femme avance donc lentement vers l’eau, résistant à la force invisible. Le sable devient soudainement très froid, presque glacé. Le vent semble être de la partie, puisque ses cheveux blonds dorés virevoltent de tous les sens, menaçant presque de se détacher de sa tête. Au fil des pas, l’invincibilité la conquit. Elle se sent puissante, maître de ses moyens. Il lui faut détruire ce mur, casser cette barrière. Le bleu du ciel se brise pour laisser place à un gris anthracite sans lumière. Des éclairs déchirent le ciel, criant à l’aide. La blonde ne ressent aucune peur, aucune anxiété face au changement brusque de la nature. Elle se sent même plus à l’aise de la combattre. Elle ferme les yeux, prend la plus grande respiration qu’elle a prise jusqu’à maintenant, et, avec tout son courage, court vers l’océan sans fin.
Des bruits sourds, ressemblant drôlement à des voix, se font entendre.
Un « bip » résonnant dans sa tête.
Fréquence cardiaque.
Elle sent son coeur qui bat.
Elle sent l’odeur nauséabonde de l’hôpital et de ses repas loin d’être succulents.
Elle sent la main de sa mère lui flatter les cheveux.
Elle sent des larmes glisser sur sa peau.
« Elle est en vie ! », crie sa mère.
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