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Premier Prix secondaire 4-5:
Élisabeth Hayes (pseudonyme: Alexandrine Allard)
Sec. 5, Séminaire Saine-Marie (enseignante: Marie-Ève Poirier)
Les dominos
L’été chaud et humide laisse place à un automne frais et ensoleillé sur l’île de Montréal. Les jours se succèdent et les gens répètent leur routine chaque matin. Ils ont tous un but. Chaque décision qu’ils prennent influe sur un nombre énorme de gens, bien plus que chacun ne peut l’imaginer.
C’est comme le jeu des dominos, celui qui consiste à mettre en file des dominos, debout. On fait tomber le premier et les autres tombent, un à la suite de l’autre, vous savez ?
La casquette déposée à l’envers sur son crâne chevelu, le téléphone à la main, il se promène dans Montréal, à travers la cohue de gens affairés et pressés de se rendre au travail. Lui, il n’est pas pressé. Il s’en va en sifflotant, partout, nulle part, un peu n’importe où. Le matin est frisquet et venteux, mais le soleil brille. Une feuille d’érable fanée s’en va en virevoltant dans le ciel et se dépose délicatement sur son épaule. Il la balaie du revers de la main et elle tombe sur le sol. Lui, il continue son chemin sans but.
La chaîne est lancée, les dominos tombent les uns sur les autres, et un autre, et un autre, et le prochain encore.
Une jolie jeune femme profite de l’accalmie temporaire de la rue Sainte-Catherine pour sortir se balader avec son fils. En quittant l’appartement, devant la porte de la bâtisse
en briques cramoisies, le garçon blondinet aperçoit une feuille d’érable sur le sol. Il se penche pour la ramasser et la montre fièrement à sa maman.
« On retourne la déposer à l’intérieur ? » demande la jolie femme à l’enfant aux cheveux jaune paille. Il hoche la tête et retourne chez lui en gambadant. Dans l’appartement chaleureux, le garçon pose imprudemment la feuille sur sa commode, juste à côté de la bouche d’aération. Le fils retourne au salon, où l’attend la maman. Aspirée par la bouche, la feuille s’échappe en valsant et ressort des conduits sur le comptoir de cuisine de l’appartement voisin, celui de Madame Dupuis.
La charmante Madame Dupuis, cuisinière invétérée, confectionne son sucre à la crème comme tous les jeudis matins. Elle dépose son plat dans le réfrigérateur pour faire figer le mélange. À l’âge de quatre-vingt-deux ans, la mémoire commence à lui manquer à la vieille dame. Elle oublie d’éteindre le rond du poêle et s’installe devant la télévision avant de s’assoupir dans sa bergère rose églantine. La feuille d’érable parcourt quelques centimètres sur le stratifié pour s’arrêter sur le rond du poêle. Quelques instants suffisent pour qu’elle s’enflamme. Le linge à vaisselle en tricot turquoise, les armoires en chêne, bientôt la bâtisse en entier est ravagée par les flammes.
Les pompiers, les ambulances, ils arrivent trop tard ; ne reste plus que la façade de briques cramoisies que la maman aimait tant.
Les dominos tombent toujours, la chaîne est longue.
Le pompier quitte l’île dans son VUS noir après son quart de travail. Il est épuisé, il a eu une dure journée. L’incendie qu’il avait tenté d’éteindre ce matin-là avait tué sept personnes. Il soupire en s’engageant dans la voie de gauche pour effectuer un dépassement. Distrait, il ne voit pas la voiture qui s’avance dans son angle mort. Cette dernière le percute de plein fouet en lâchant un long et strident coup de klaxon. Le pompier meurt sur le coup. Il laisse dans le deuil sa belle Hélène et leurs trois enfants.
Un autre domino qui bascule.
À quelques kilomètres de là, un couple d’un certain âge est endeuillé, comme l’est la femme du pompier. Ils ont perdu leur fille et leur petit-fils ce matin-là. L’homme a le bras autour du cou de la femme. Elle a la tête accotée sur l’épaule de son mari. Enlacés, ils sanglotent en silence.
C’est la fin du jeu de dominos.
***
La casquette déposée à l’envers sur son crâne chevelu, il se promène dans Montréal, à travers la cohue de gens affairés et pressés de se rendre au travail. Lui, il n’est pas pressé. Il s’en va en sifflotant, partout, nulle part, un peu n’importe où. Le matin est frais et venteux, mais le soleil brille. Une feuille d’érable fanée s’en va en virevoltant dans le ciel et se dépose délicatement sur son épaule. Il la prend entre son pouce et son index et la fait tourner un peu sur elle-même. Elle est vraiment énorme. Il y jette un dernier coup d’œil avant de la glisser dans la poche arrière de son jean. Et le voilà qui continue son chemin sans but.
C’est comme ça quand personne ne fait tomber le premier domino. Cette fois, on décide de ne pas jouer.
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Deuxième prix secondaire 4-5:
Alexandre Hamel (pseudonyme: Misuto)
Sec. 4, Séminaire Sainte-Marie (enseignante: Marie-Ève Poirier)
Tartare ! ( À écouter sur « Danse macabre », Op. 40 »)
Me voici dans le boisé environnant d’un quartier résidentiel. La nuit règne, l’air est frais. La Lune m’illumine assez pour que je puisse voir sans une lampe. Après une bonne marche sous la couverture des arbres, je peux voir la maison de la mariée y vivant. Mon plan est infaillible, cela fait maintenant deux semaines que je le prépare. Rien ne m’a échappé, un travail de maître, je vous le dis. J’arrive à l’orée de sa cour.
Aujourd’hui, je mange quelqu’un.
Vous me prenez sûrement pour un fou, j’en suis sûr. Laissez-moi alors vous poser une question : avez-vous déjà mordu un être vivant ? Il s’agit là de l’expérience la plus sensationnelle à laquelle j’ai pu prendre part. La manière dont vos dents perforent la chair, les canines étant les premières à blesser. Ce moment où la bête comprend sa situation, quand la chair que vous mordez se contracte sous l’impact de la douleur, et qu’elle commence à beugler… Le goût métallique du sang poisseux qui éclate dans votre bouche, à coup de pulsations toujours plus frénétiques dues aux battements de son cœur. Alors, elle couine de désespoir tandis qu’elle comprend qu’elle ne sortira pas de mon emprise vivante… Le porc de ce fermier et d’autres animaux m’ont donné cette extase. Maintenant, je veux plus, quelque chose ayant une vraie résistance, quelque chose sachant s’opposer à son prédateur, un repas avec un impact.
Je fais mon premier pas sur le tapis de gazon. Je marche à un rythme lent, sans me presser. Les voisins de gauche sont des gens du troisième âge, ils sont déjà au lit à cette heure. La maison de droite est inhabitée ; le courtier la vend trop cher. Auparavant, j’ai remarqué que la fenêtre de gauche était défaillante. Son mécanisme à manivelle avait rendu l’âme et personne ne l’avait réparé. Depuis, la fenêtre restait semi-ouverte en permanence ; il me fallut peu pour me contorsionner à l’intérieur. Une fois infiltré, l’obscurité m’enveloppe. Un doux parfum de camomille, accentué par l’humidité ambiante, m’accueille tendrement dans la demeure. Ce parfum vient d’elle. Alors que je faisais une promenade matinale, je l’ai justement vue se promener avec son nouveau-né. Quand nous nous sommes croisés, j’ai pu sentir ce même parfum. Il lui allait très bien, même comme un gant. Je prends l’escalier du deuxième étage, à tâtons, j’arrive dans un couloir faiblement illuminé par une veilleuse. Je continue. Je passe alors devant une porte entrouverte. À travers cette dernière, je peux voir le bambin dormir dans son berceau. Il ne dépasse pas les deux ans. Je le regarde. Ah ! Il est absolument magnifique ! Je n’ose pas le dire, mais j’adore les enfants. C’est un secret que je préfère garder pour moi seul. Leur façon de se dandiner dans une cour de jardin, de rire et de parler avec leur voix cristalline, tout ça me fait craquer. Vous me direz la dernière fois que vous avez vu un décor aussi majestueux que celui d’un sublime petit garçon respirant paisiblement, ça bat tous vos couchers de soleil ! N’en parlez pas, je vous prie. Continuons, maintenant.
J’entre paisiblement dans la chambre des maîtres tapissée, sans un bruit. Je vois sa poitrine sous la couette qui se soulève lentement et redescend. Elle me tourne le dos. Elle est idéale. Son corps est opulent, quant à ses courbes… Je m’approche, mon cœur commence à battre la chamade. J’ai les mains moites. Des gouttes de sueur perlent sur mon front, je tremble d’extase tellement je suis heureux. À moi ! Elle est à moi, enfin ! J’ai devant moi un festin sur un plateau d’argent. Je ne peux plus m’arrêter, je me déchaîne et…
Quoi ? Un sanglot. J’entends des sanglots venant du lit. Elle pleure, dans son sommeil, en murmurant avec une telle mélancolie. Je m’arrête. Je ne peux pas faire ça : prendre une âme si bouleversée, enfin, regardez-la ! Ce serait immoral. Je l’enverrais outre-monde dans sa tristesse et, à jamais, elle serait obligée de vivre dans cet état, et cela, par ma faute ! Je ne peux le faire, je ne pourrais pas remédier à mes actions, j’aurais tout sur la conscience et jamais je ne me pardonnerais.
Soudainement, je vois un hochet, tout bêtement, sur le rebord de la table de chevet. Tiens, l’enfant. Je l’avais oublié celui-là. Seul. Dans sa chambre. Occupé à dormir paisiblement. Un enfant…
Ça donne l’eau à la bouche, dis donc…
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Troisième prix secondaire 4-5:
Kelly-Ann Sylvestre (pseudonyme: Kiki)
Sec. 5, École secondaire du Rocher (enseignante: Valérie Moisan)
La lettre
15h59. Je fixe, de mes yeux fatigués de nuits blanches à avoir étudié, l’horloge accrochée au mur. Je jette un dernier regard sur ma copie d’examen dont je connais les questions par cœur à force de les avoir révisées. Malgré plusieurs réponses dont je suis incertaine, je décide de ne rien toucher. Après tout, il ne reste à mon secondaire qu’une seule minute.
16h. Pour la dernière fois dans mes oreilles, la sonnerie répétitive de la cloche de l’école se fait entendre. La trentaine d’élèves de la classe se lèvent, déposent leur copie d’examen et sortent du local, le sourire aux lèvres. Une joie de vivre particulière anime les corridors monotones de l’école secondaire. Je prends le peu de choses qui me reste dans mon casier et, enfin, je quitte l’école pour de bon. Je ne ressens aucune tristesse de quitter ce milieu dans lequel j’ai passé les cinq dernières années, je ressens seulement un immense poids qui se libère de mes épaules.
16h20. J’arrive chez moi, quelques minutes plus tard. Je dépose mon sac d’école, devenu léger, dans mon placard, en sachant qu’il ne me servira que dans deux mois. Au lieu de commencer mon congé estival par une fête ou par une activité entre amis, je le commence couchée sur mon lit, les écouteurs aux oreilles. J’ai toujours eu des goûts musicaux un peu différents des autres. En fait, j’ai un penchant pour la musique classique. Ce style musical a le pouvoir de me faire sentir immédiatement bien et de me faire oublier tout ce qui m’entoure.
Ma pièce favorite n’a pas le temps de se terminer que mon petit frère Noah, âgé de cinq ans, vient me rejoindre. Mon frère possède un chromosome de trop qui l’a rendu différent physiquement et psychologiquement. Malgré sa différence, ma famille et moi l’adorons et faisons tout en notre pouvoir pour qu’il se sente « normal », même si je déteste ce mot. Car, c’est quoi, au fond, être « normal » ?
Il s’installe à mes côtés et se met à me dire, dans un langage que seuls mes parents et moi sommes en mesure de comprendre : « J’ai hâte de commencer l’école ! ». Je lui dis qu’il va adorer ça et il quitte aussitôt ma chambre, satisfait de ma réponse. Cependant, je sais trop bien qu’elle est fausse. Pour cet enfant trisomique, faire sa place à l’école relève du défi.
À la fin de l’été, Noah fera ses premiers pas à la maternelle et je crains ce que les autres enfants penseront de lui, ce qu’ils lui feront subir. Surtout, comment va-t-il se sentir par rapport à tout ça ? Les larmes aux yeux, je me lève de mon lit et je prends quelques feuilles de cartable et un stylo. Je dois extérioriser, sur papier, ce que je ne peux pas lui dire pour ne pas détruire sa naïveté d’enfant.
« 19 juin 2018
Cher Noah,
Tu sais, tes années passées à l’école ne seront pas aussi merveilleuses que tu me le décris. Dès le premier jour, les enfants remarqueront ta différence. À force d’entendre des chuchotements dans ton dos et des commentaires sur ton physique, tu te diras probablement que tu n’es pas aussi beau que les autres. Je sais que c’est difficile de ne pas correspondre aux standards de beauté de notre société, mais s’il te plait, ne crois pas ce qu’ils te disent. Tu es beau à ta façon.
Tu seras le dernier choisi dans les équipes au ballon-chasseur, celui qui ne trouve pas de coéquipier pour son travail de français, le gamin qui joue toujours seul à la récréation. On te traitera de « rejet », d’ « imbécile », de « retardé », de « stupide ». Tu vas t’apercevoir par toi-même que, trop souvent, les enfants sont méchants. Tu donnerais tout pour être comme les autres, mais, je te jure, tu trouveras des amis qui vont t’accepter comme tu es, qui vont oublier les petits détails qui te rendent unique.
Des échecs, tu vas en vivre plus d’un. Tu vas échouer et tu vas recommencer, encore et encore. Crois-moi, tu finiras par réussir si tu y mets les efforts nécessaires. Je sais que, pour toi, ce sera plus difficile que pour les autres, mais je suis persuadée que tu y arriveras. Tu voudras être aussi intelligent que les autres, mais moi je sais que tu l’es. Tu as seulement d’autres types d’intelligence qui ne sont pas reflétés par les résultats académiques.
Au fait, ce sont qui, les « autres » ? Pour toi, ce sont les personnes comme lesquelles tu voudrais être, les gens que tu trouves « normaux ». Noah, même si c’est difficile d’y croire, nous sommes tous anormaux à notre façon. Nous avons tous nos complexes, nos problèmes personnels, nos particularités qui nous rendent uniques. Ça passe de l’enfant asiatique qui jouera avec toi au ballon dans la cour de récréation à la fillette hyperactive qui dérangera la classe sans le vouloir, du garçon en surpoids dans ton cours d’histoire à la fille au style vestimentaire particulier dans ton autobus. Tout le monde a une différence, quelque chose qui le rend unique. Ton chromosome supplémentaire n’est pas une faiblesse, au contraire, il est ta plus grande force.
Ta sœur qui t’aime. »
7 juin 2033, 20h. J’entends le nom de mon frère raisonner partout dans l’auditorium de mon ancienne école secondaire. Cela faisait quinze ans que je n’avais pas mis les pieds dans cet endroit. Presque rien n’a changé, c’est encore la même ambiance que je détestais à l’époque, mais qui me rend nostalgique aujourd’hui. Dans mes mains, je tiens la lettre que j’avais écrite une quinzaine d’années plus tôt.
Puis, on voit Noah grimper sur la scène, souriant, dégageant une immense fierté. Les proches des finissants dans la salle applaudissent plus que jamais. Personne ne s’attendait à ce que Noah termine son secondaire, et ce, dès le départ de son parcours académique. Les intervenants avaient prédit qu’il ne finirait pas sa première année du primaire. Il avait réussi à déjouer les statistiques négatives par rapport à la scolarité des gens atteints de sa maladie et cela rendait son entourage extrêmement fier. Noah se fit remettre son diplôme par le directeur. Les applaudissements fusaient de plus belle.
21h15. La cérémonie de remise de diplômes s’est terminée et Noah nous a rejoints, plus heureux que jamais. Des gens qu’il ne connait pas viennent le féliciter et il les remercie comme s’il les connaissait depuis toujours. Peu à peu, les finissants et leur famille quittent les lieux.
Noah regarde la lettre, celle que je ne quitte plus des yeux depuis le début de la soirée, et me demande de quoi il s’agit.
- Oublie ça, lui dis-je. Je t’avais écrit ce texte à la dernière journée de mon secondaire pour te le remettre. J’avais énormément peur pour toi et j’étais certaine que ton parcours scolaire allait mal se dérouler. Mais, regarde où tu es rendu : tu as fini ton secondaire et tu as plein d’amis qui t’apprécient. Ça n’a pas toujours été facile, mais tu t’en es sorti d’une façon incroyable ! Donc, ne lis pas cette lettre, j’avais tort de penser que l’école serait une expérience terrible pour toi.
J’ai rangé la lettre dans mon sac à main et je ne l’ai plus jamais touchée. Peut-être qu’un jour, il la lira. Mais, pour l’instant, je préfère qu’il reste avec l’illusion que son chromosome supplémentaire ne lui compliquera jamais la vie.
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Première mention secondaire 4-5:
Emma Rousseau (pseudonyme: Rouss)
Sec. 5, École secondaire du Rocher (enseignante: Valérie Moisan)
L’absence d’idées
On vient à l’instant de nous annoncer qu’il faut écrire un texte de quatre cents à huit cents mots pour un concours littéraire. Je ne suis pas très enthousiaste à l’idée de rédiger ce texte. Car, présentement, je n’ai aucune inspiration et, cette semaine, aucun soir pour l’écrire. Mon regard parcourt la classe entière. Je désespère, j’espère trouver une idée géniale qui pourrait me permettre de gagner ce concours. Je continue de regarder partout autour de moi, car, malheureusement, mon imagination ne cherche qu’à trouver un moyen de sortir de cette classe. Ma tête finit par s’arrêter sur le babillard. Je fixe aussitôt la petite pancarte bleue indiquant les conditions pour obtenir notre diplôme d’études secondaires.
Cette pancarte m’effraie. Je n’ai pas peur d’échouer ma dernière année, non, j’ai peur de l’avenir. Cette feuille de papier bleu foncé, très mal accrochée, me fait comprendre qu’il reste moins de trois mois avant que ma petite routine quotidienne ne soit bousculée par mon entrée au cégep. Cette affiche n’est soutenue que par une punaise dans le coin droit. Ce débalancement me fatigue énormément, je ne sais aucunement pourquoi ce détail me trouble autant. Peut-être est-ce à cause de la drôle de symétrie qui me rappelle à quel point ma vie se dirige à toute allure vers une zone grise. Cette zone grise-là est, pour moi, une grande source d’anxiété. Ne pas savoir où je vais et comment les prochaines années se dérouleront me perturbe terriblement. Je n’ai pourtant pas à être si stressée, mon inscription au cégep est déjà faite et mon programme universitaire est, je crois, déjà décidé. Pourquoi suis-je si anxieuse face à mon avenir quand mon parcours semble déjà, en partie, tracé ? Je reste, pendant plusieurs minutes, à analyser cette question. Mes yeux sont fixés sur cette maudite affiche, les idées et les réflexions se bousculent dans ma tête. Comment répondre à cette délicate question qui me hante depuis le retour des Fêtes ? Je finis par sortir de ma bulle au moment où la remplaçante me fait de grands signes qui veulent dire : « Regarde autour de toi ! ». En effet, je suis la seule de la classe à ne pas écrire. Seulement le mot plan, encerclé au stylo bleu, avait été inscrit en guise de titre. Je dois me mettre à la tâche le plus rapidement possible, car j’ai un examen de mathématiques mercredi et je sais très bien qu’aucune soirée ne sera consacrée à la rédaction de ce texte. Mes soirées, cette semaine, sont entièrement dédiées à la préparation de ce fichu examen sur les vecteurs.
Il reste maintenant quinze minutes à la période et j’ai seulement écrit des idées banales pour un récit policier. J’ai beau essayer de me concentrer du mieux que je peux, aucune idée ne me vient à l’esprit. Je décide donc de ranger mon matériel de français. À cause de cette période de procrastination, je ferai ce texte jeudi, avant et après ma pratique de volleyball, une journée avant la remise, bravo ! Ce sera une histoire policière inspirée, probablement, des séries télé du canal D ou de Séries +. La cloche finit par se faire entendre et je file à toute allure à l’extérieur de la classe.
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Deuxième mention secondaire 4-5
Shawn Paquet (pseudonyme: Seigneur Shawn de la Pasquelle)
Sec. 5, École secondaire du Rocher (enseignante: Valérie Moisan)
Trente minutes insoutenables
LUI
Je me souviens quand tante Murielle m’avait donné ce conseil, ce conseil si précieux qui m’aurait empêché de me retrouver ici.
– Pense avant d’agir, m’avait dit celle-ci avec un brin de découragement.
C’est cependant trop tard, ici, tous les gens me regardent et patientent afin d’admirer le supplice qui m’attend.. Je me demande à quoi ils pensent, ils semblent excités mais dégoûtés à la fois. C’est particulièrement celui-ci qui attire mon attention, cet homme à la posture irréprochable, vêtu d’un costard, caresse habilement sa généreuse pilosité faciale. Le regard qu’il tente de conserver se dirige vers moi par moments de faiblesse, je le vois par la vitre. Hélas, ce n’est pas par surprise que je me retrouve ici. C’est bien avant de passer à l’acte qu’avaient été considérées les sanctions possibles. Malgré la faible quantité de regrets que j’éprouve, il m’est impossible de cesser de revoir en boucle l’image de ce petit garçon. Je me sens lourd mais petit à la fois telle une souris qui aurait le poids d’un éléphant. J’ai envie de m’enfuir mais s’il fallait que j’y arrive, je ne retrouverais jamais ma vie d’avant… C’est un monde qui se termine pour moi, et le pire, ce se sera jamais assez.
ELLE
C’est en entrant dans la grande salle que je l’ai vu, lui, l’homme en lequel j’avais le plus confiance, celui avec qui j’avais tout partagé, celui en qui j’aurai toujours foi. Il m’est inimaginable de croire ce qu’on raconte, jamais l’homme que j’ai connu aurait pu agir de la sorte, jamais. C’est par une grande vitre claire qu’on peut l’apercevoir, il semble bouleversé, paniqué, dévasté par ce qui lui arrive. Vingt minutes, vingt petites minutes, c’est ce qui lui reste, ce qui lui reste à souffrir.
LUI
Mon cœur se serre comme je la vois entrer, elle est sublime, comme à l’habitude. Nos regards se croisent un instant jusqu’à ce qu’elle baisse ses yeux vers le sol. Je lui répugne, je le sais. Je ferme les yeux, l’heure est bientôt venue. Pour la première fois depuis des lustres, je me sens seul, seul avec moi-même. Mes sentiments s’entrecroisent, impossible de m’y faire… Haine, colère, dégoût, tristesse, une vague d’émotions qui se bousculent dans mon esprit commencent à devenir insupportable. J’ai l’impression d’avoir échoué, d’avoir dé¸u, je la regarde, au fond de la salle, je vois sa haine. elle me déteste avec raison.
ELLE
Je l’aime, je l’aime tellement. Non pas l’homme qui se tient devant moi, mais l’homme que j’ai connu ces dernières années, le père aimant de ma petite fille. Le compteur affiche une minute, une minute pour me rappeler les bons souvenirs, une minute pour oublier les mauvais mais surtout, une minute avant qu’on lui fasse payer son crime. Mon cœur bat à une vitesse fulgurante, j’ai peine à retenir mes émotions, je crois que je vais perdre connaissance. C’est sur cette chaise électrique que je le verrai mourir.
LUI
Un petit son aigu parvient à mon oreille: le compteur affiche zéro. L’homme barbu se dirige vers moi et me glisse à l’oreille quelques mots qui me glacent le sang: «c’était mon garçon». Tellement désolé pour cet homme qui me semble d’une gentillesse éclatante, désolé pour cet enfant qui ne méritait pas le sort que je lui ai réservé. Je suis prêt, prêt à endurer le calvaire qui m’attend. Je t’aime Mathilda mais c’est ici que mon chemin se termine. Occupe-toi bien de notre fille. Je vous fais mes adieux avec tout le chagrin du monde.
ELLE
Je t’aime Loïc, et pour l’éternité.
UN SPECTATEUR
Un homme barbu s’approche du condamné et semble lui chuchoter quelques mots à l’oreille. L’homme se tourne face à nous, actionne un levier et le système se met en action. On peut apercevoir l’homme crier sans trop se débattre et, peu à peu, le condamné cesse tout mouvement. Un silence palpable traverse la pièce.
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Troisième mention secondaire 4-5
Nathan Gruslin (pseudonyme: Nathan)
Sec. 4, Séminaire Sainte-Marie (enseignante: Marie-Ève Poirier)
La légende du Roi Rebelle
Il commençait à se faire tard lorsque la petite troupe trouva finalement un bon emplacement où dresser le camp pour la nuit. Les hommes avaient beau être épuisés par une si longue marche, l’entraînement prit le pas sur la fatigue au moment de monter le campement et ils le firent avec autant d’efficacité et de rapidité qu’à l’habitude. Les tentes furent montées, les tours de garde instaurés et les rations distribuées avant même que le soleil ne finisse sa course dans le ciel. Les hommes durent se contenter de peu de nourriture et d’un confort minimum en raison de l’interdiction d’allumer un feu. Avant d’aller profiter du peu de repos qu’il s pouvaient se permettre, ils nettoyèrent puis affûtèrent leurs lames. Les archers, eux, rangèrent au sec la corde leurs arcs. Une arme bien entretenue, peut faire la différence entre la vie ou la mort lors d’une escarmouche avec les éclaireurs de l’Usurpateur ou tout autre maraudeur dont ils pourraient croiser le chemin. La nuit fut courte et les sentinelles furent relevées à deux reprises, comme l’exige un minimum de prudence. Des hommes à demi-éveillés protégeraient mal leurs camarades au repos, il serait alors inutile de monter la garde. Les sorldats levèrent le camp bien avant l’aube. Dispersés en petits groupes comme la veille et le jour précédent, ils partirent collecter des informations sur les forces nnemies. Ils rassemblèrent ainsi le plus de renseignements utiles possibles pendant plus de quatre jours avant d’enfin rejoindre le reste de leur propre armée, cantonnée à de nombreuses lieues de là.
« Alors Fenn, à peine rentré on vient déjà faire son rapport ?» l’accueillit le garde en faction à l’entrée de la tente de l’intendance. «Et toi alors, rétorqua-t-il, toujours planté là à regarder passer le temps, tu n’as point bougé depuis mon départ».
– Pas de repos pour les sentinelles.
– Ni pour les braconniers, ajouta-t-il avec un clin d’œil avant de pénétrer sous la tente.
Le pavillon de l’intendance était bien plus vaste que celui d’un humble soldat, il tenait lieu de bureau à l’intendant et à ses assistants, bien sûr, mais c’était aussi l’endroit où étaient gérés les tours de garde et où les éclaireurs faisaient leur rapport. « Cela fait deux jours que l’on vous attend éclaireur Fenn, l’accueillit le vieil intendant».
– Nous avons été obligés de nous cacher à plusieurs reprises, se défendit l’ancien braconnier, les patrouilles ennemies sont nombreuses dans ces bois.
-Cela n’excuse en rien votre retard, n’est-ce donc pas votre profession de passer inaperçu. Bref, trêve de bavardage, faites-moi votre rapport, Sa Seigneurie n’attend que cela pour finaliser ses plans et il n’est pas homme à patienter très longtemps.» En effet, il n’était pas réputé pour sa patience. C’était un homme plus prompt à l’action qu’à la réflexion.
– Dans ce cas, commençons sans tarder. Je ne tiens pas à faire patienter Sa Majesté.
* * *
L’étendard du Roi Rebelle, renard polaire sur champ noir et or, flottait au vent tel un défi lancé à l’Usurpateur. Le roi chevauchait en tête, avec toute un groupe de seigneurs important et de chevaliers de renom. Suivaient ensuite les chevaliers de moindre envergure et la cavalerie. Finalement, fermait la marche l’infanterie, composée de soldats, de mercenaires et d’une troupe d’archers peu entraînés, et tout ce qui suit généralement une armée: marchands, voleurs et personnes offrant des services plus obscurs. En tout et partout, la procession comptait environ treize mille combattants pour le tiers de gens du peuple. Ainsi marchait l’armée du Roi Rebelle, héritier du trône par droit de naissance mais écarté de la succession avant qu’il n’ait atteint sa majorité par celui que l’on nomme l’Usurpateur, vers la capitale: Heranda, vers le destin du royaume. Plus qu’une demi-douzaine de lieues et l’armée du Roi rencontrerait celle de Desmund Talmer, L’Usurpateur, sur les plaines d’Erind, grande étendue herbeuse vallonnée aux abords de la cité.
Ainsi débute la légende du Roi Rebelle.
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