Partager
Ascension
Mes poignets et mes chevilles me démangent. Je voudrais les soulager, mais quelque chose m’en empêche. Je me sens lourd, comme si j’avais dormi trop longtemps. Une brume épaisse et grise me brouille l’esprit. J’ai de la difficulté à penser, j’ai de la difficulté à bouger. Mes paupières sont closes, je suis plongé dans le noir. Je tente de les ouvrir, réussi, mais le noir persiste.
Je comprends la raison de mes démangeaisons : ce sont des cordes. Je suis assis sur une chaise, les bras liés aux accoudoirs et les jambes attachés aux pattes avant. Je tente de me libérer, mais les cordes sont rudes, épineuses et se resserrent plus je me débats.
J’ai peur. Mon cœur bat tellement fort qu’il pourrait me sortir par la bouche. Je ne sais pas où je suis. Je ne sais pas pourquoi je suis là. Je ne connais pas la raison pour laquelle je suis attaché.
- Il y a quelqu’un?
Pas un son. Pas de réponse. En fait, il n’y a pas de bruit du tout. Je regarde autour de moi, mais il fait si sombre. Je ne me vois même pas moi-même. Où pourrais-je bien être? Un bunker peut-être? Ou alors un sous-sol? Il n’y a pas d’odeur de moisissure. Il n’y a pas d’odeur tout court. Maintenant que j’y pense, il ne semble même pas y avoir de température. Je ne sens absolument rien. Ni chaud, ni froid. C’est comme si je me fondais dans l’air. Comme si j’étais l’air.
Ça ne fait pas de sens. Cette pièce ne fait pas de sens. D’ailleurs, cette situation ne fait pas de sens!
- À l’aide!
Rien.
- Aidez-moi!
Toujours rien.
Je m’égorge certainement sans raison, je le sais bien. Je dois me trouver dans un lieu isolé, à l’abri des oreilles attentives. Pourtant, il faut bien que je sorte d’ici!
J’essaie de penser à un moyen de me défaire de mes cordes, mais je dois d’abord parvenir à dissiper ce brouillard qui m’empêche de réfléchir correctement. Je respire donc avec ferveur. Une grande inspiration par le nez… Une grande expiration par la bouche. Encore. Une grande inspiration par le nez… Une grande expiration par la bouche. Une dernière fois. Une grande inspiration par le nez… Une grande expiration par la bouche : aaaaaaaaaah. Mes pensées reprennent graduellement de l’ordre. La brume s’évapore peu à peu. La lourdeur disparaît également tranquillement. Je prête attention à mon cœur : il s’est calmé.
- Comment t’appelles-tu?
Une voix! Il y a quelqu’un! Je ne suis pas seul!
- Je m’appelle Niall! Qui êtes-vous? Où sommes-nous?
Il ignore mes questions.
- Quel âge as-tu?
- J’ai quinze ans. Pouvez-vous me sortir d’ici?
Il m’ignore encore.
- Quand es-tu né?
- Mais vous arrêtez avec vos questions débiles?! Êtes-vous aussi attaché? Pouvez-vous m’aider?
Silence.
Au fait, il arrive d’où lui? Je peux jurer, qu’il y a à peine trente secondes, j’étais entièrement seul. Je n’ai rien entendu. Pas de bruits de pas. Pas de porte qui s’ouvre. Rien. Il est apparu de nulle part? Et puis, aucune lumière n’a pénétré la pièce. On se trouverait dans un bâtiment sous-terrain?
- Quand es-tu né?
C’est reparti.
- Je suis né le dix-sept avril. Vous faites ma biographie?
Il ne répond pas. Poser des questions ça ne lui pose pas de problème, mais alors répondre…
Aye! Ces cordes commencent vraiment à me taper sur les nerfs! Mes poignets, mes coudes, mes chevilles et mes genoux me font terriblement mal. Ce ne sont plus que des démangeaisons, mais des brûlures. J’ai l’impression que l’on m’a râpé la peau au papier sablé. Ça pique, ça brûle, ça tire, c’est insupportable! Je sens quelque chose suinter sous les cordes. C’est du sang.
- Aidez-moi, s’il-vous-plait!
Pas de réponse.
C’est bon. Je ne demanderai plus. Il n’est pas là pour m’aider. Qui plus est, ce doit être lui qui m’a amené ici. Qu’est-ce qu’il me veut? Je le connais? Probablement pas. Il m’a demandé mon nom.
Wo! J’ai tout à coup la tête qui tourne. Je serais debout que je tomberais promptement sur le sol. Le peu de force que j’avais, quitte mon corps. Mon pouls s’accélère, il tambourine fortement contre mes tempes. Mon cœur veut de nouveau me sortir par la bouche. J’ai envie de vomir.
Je sens alors les liens qui me clouent à la chaise se desserrer. Lentement, la pression exercée sur mes bras et mes jambes devient plus légère. L’air attise les brûlures de ma chair à vif, meurtrie par les cordes. Je veux bouger! Je veux me lever! Je ne peux pas. Je veux, mais je ne peux pas. Puis, les liens glissent. Ils glissent de mes membres et tombent sur le sol. Je suis libre! Je m’efforce à me mettre debout. Ça ne fonctionne pas. Je tache de soulever mes doigts. Ça ne fonctionne pas. J’aspire à tourner la tête. Ça ne fonctionne pas. Je suis trop faible.
BAM! Une main m’empoigne par le coup et me propulse contre un mur! Je m’écrase sur le sol.
BANG! Un puissant coup de pied dans l’estomac! Mon souffle en est coupé.
J’ai peur. Je tremble. J’ai mal. Je crois que mon épaule gauche s’est disloquée. Des marteaux fracassent mon crane de l’intérieur. Mon ventre est en bouilli. Je ne comprends pas ce qu’il se passe.
Quelqu’un s’en vient vers moi. Je ne l’entends pas, il ne fait aucun bruit, mais je sais qu’il s’approche.
Ce doit être lui.
- Comment t’appelles-tu?
Encore cette question.
- Je m’appelle Niall.
Ma voix est chevrotante.
- Quel âge as-tu?
Il n’est pas sérieux?
- Je vous l’ai déjà dit.
CRACK! Un éclair me parcourt le tibia. Je me repli sur moi-même. La douleur me monte au cerveau.
- Quel âge as-tu?
Je sanglote.
- J’ai quinze ans.
- Quand es-tu né?
- Le dix-sept avril.
Il me soulève, m’embarque sur son épaule, me jette sur la chaise. Il ne m’attache pas. Je ne peux pas bouger de toute façon. J’ai toujours la tête qui tourne. Je m’étonne de ne pas encore avoir vomi. Mes extrémités sont engourdies. Mes doigts. Mes orteils. Mon nez. Ma jambe commence à enfler. Il fait noir, cependant, des tâches de couleurs embrouillent ma vision. Rouge. Orange. Jaune. Vert. Bleu. Un arc-en-ciel. Les fourmis s’éparpillent sur mon corps, elles explorent les brûlures de ma chair, se baladent sur mon épaule démantibulée, chatouillent mon tibia qui prend des proportions beaucoup trop grandes.
Je craque. Mes pleures s’écoulent en cascade sur mon visage. Elles mouillent mes joues, ruissellent sur mon menton, tombent sur mes cuisses. Je me noie dans mes larmes. Ma respiration est saccadée. Mon souffle est court. Je panique. Puis je l’entends.
- Comment t’appelles-tu?
Je n’ai pas envie de répondre.
- Niall.
- Quel âge as-tu?
Je n’en peux plus. Je veux m’enfuir. Je ne veux pas être ici.
- Quinze ans.
- Quand es-tu né?
Ça y est. J’ai compris pourquoi il me pose ces questions.
- Le dix-sept avril.
Je m’enfonce dans la chaise. Je suis si lourd. Je suis si faible. Les taches de couleurs sont parties. Je ne ressens plus la douleur qui me déchirait de partout. Je ne sens plus les fourmis. Je suis calme. Très calme. Je respire calmement. Enfin, je crois que je respire. Je ne le fait peut-être plus. Je n’y fais pas très attention. Ce n’est plus vraiment important. Il n’y a plus grand-chose de vraiment important. Je dois simplement répondre aux questions. Pour ne pas devenir fou, pour ne pas oublier, je dois simplement répondre. Je suis celui qui doit répondre. Je suis celui qui doit connaitre les réponses. Je suis celui qui ne doit pas oublier.
Quelles étaient les questions déjà?
- Comment t’appelles-tu?
Ah oui.
- Je m’appelle…
J’aperçois quelque chose. Une forme. Non. Une silhouette. Oui. Une silhouette me fait face. Je la distingue vaguement. Il y a peu de lumière. Il y a de la lumière? Oui. Une douce lumière blanche qui perce la noirceur. Les rayons illuminent le visage qui se tient près du mien. Un visage torturé. Un visage triste. Le visage d’une personne qui a beaucoup trop souffert. Le visage d’une personne qui aura bientôt fini de souffrir. Je connais ce visage. Je réponds.
- Tu t’appelles Niall.
Je sens mon être qui s’élève.
- Tu as quinze ans.
Le ciel m’ouvre ses bras.
- Tu es née le 17 avril.
Je me fonds dans la lumière.
- Tu es moi.
Partager