Futé et différent… une nouvelle de Marie-Florence Laforme

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Monsieur ? Monsieur ! Monsieuuuur !

Je lève les yeux de mon cellulaire. Un petit garçon, sa tête dépassant à peine le comptoir de service qui nous sépare. Laissez-moi deviner. Il veut aller jouer dans les autos tamponneuses.

Monsieur ! Ça coûte combien un tour d’autos tamponneuses ?
Un jeton, c’est deux dollars.
Papa ! Papaaaa ! C’est deux dollars les autos tamponneuses.

Le petit est dos à moi, il s’adresse à un homme fin vingtaine, jeune trentaine, qui est submergé, complètement hypnotisé par son jeu. Un jeu apocalyptique, une simulation d’invasion de zombies. Le but est de les éliminer, vague par vague, sans mourir de leurs attaques. Le stress est à son apogée.

PIOU ! PIOU ! PIOU !

Le jouet en plastique lui servant d’arme à feu vibre à chaque fois qu’il enfonce la gâchette. Les balles fusent, alors que l’homme est de plus en plus envahi par les zombies. Il est maintenant entouré, mais il n’a pas dit son dernier mot. Il craque une grenade et la lance devant lui afin de tenter de se frayer un chemin parmi les morts-vivants. Sa tactique fonctionne, il court à grande enjambée, le rythme cardiaque du personnage se synchronise maintenant à celui du joueur qui le contrôle. Son soldat s’épuise à force de courir, il tente le tout pour le tout, bifurque, esquive un zombie, se retourne et commence à tirer sur tout ce qui bouge. Les mangeurs de cervelles tombent les uns à la suite des autres.

PIOU ! PIOU ! PIOU !

Le fusil tremble sans arrêt, on peut presque voir la fuméesortir de la bouche du canon et sentir l’odeur du sang périmé de ces êtres en décomposition. Il doit en achever trois et la partie sera gagnée.

PIOU ! PIOU ! CLIC !

CLIC ?

CLIC. CLIC ! CLIC !

NON ! L’arme a arrêté de vibrer. Manque de munitions, le joueur, dans la frénésie de sa victoire imminente, a totalement oublié de recharger.

CLIC ! CLIC ! CLIC !

Le jeune homme appuie sans relâche et de façon agressive sur la gâchette. Comme si le fait d’être en colère allait intimider l’objet.

PAPAAAAA !

Le petit a de bons poumons, c’est impressionnant vu sa taille. J’aurais cru que le son sortant de ces personnes miniatures serait proportionnel à leur grandeur. Il faut croire, sans surprise, que je ne connais vraiment rien aux enfants.

L’homme, quant à lui, ne bronche pas. Toujours obnubilé par son jeu, il essaye de recharger son arme. Le processus est trop long, les zombies envahissent l’écran et le dévore.

– PAPAAAAAAAA !!!

L’homme se retourne furibond.

QUOI!

Je ne peux m’empêcher de penser que la pomme ne tombe jamais bien loin de l’arbre et que des cours de gestion de la colère pourraient être bénéfiques, autant pour le paternel que pour sa progéniture.

Le petit reprend sa demande sans que l’intervention de son père ne l’intimide. L’habitude, j’imagine.

Papa, le monsieur… Le monsieur, il a dit que c’est deux dollars un tour d’auto- tamponneuses.

L’homme fait la moue. La vengeance contre les zombies devra attendre, ça fait partie des joies d’avoir un enfant, de devoir s’en occuper. Il s’avance, fouille dans ses poches et me tend, à regret, un billet de cinq dollars. Je lui rends la monnaie, contourne mon comptoir et me dirige vers l’arène de jeu. J’ai l’impression de quitter mon royaume, mon temple, mon sanctuaire, mon lieu sacré. Je règle la minuterie du jeu à trois minutes et vingt-sept secondes. C’est curieux, vingt-sept secondes… Chaque fois je me demande pourquoi. Pourquoi pas trente secondes ? Peu importe, trop de questions resteront sans réponse de toute façon. Celle-ci ne mérite pas que je m’y attarde. Je m’assure que la ceinture de sécurité est bien bouclée et que le jeton est bien inséré dans chaque voiture. Les lumières s’allument et les bolides démarrent. Je n’ose pas imaginer les chocs que le gamin subira pendant ces trois minutes et vingt-sept secondes. À cause du grand écart de masse corporelle entre lui et son père, les impacts seront accentués puisque la force de ceux-ci est majoritairement créée grâce au transfert de poids des occupants de chaque voiture. C’est ce qu’on apprend en secondaire cinq dans nos cours de physique. J’ai peut-être seulement 17 ans, mais je suis futé. Je suis futé et différent.

L’autre jour, je me suis surpris à épier les moindres faits et gestes de la nouvelle au centre de divertissement où je travaille. Je crois qu’elle travaille pour le cinéma. La plupart des gars de mon âge se seraient imaginés l’inviter à sortir ou bien auraient fantasmé sur ses seins développés. Moi, voyez-vous, je m’imaginais plutôt lui faire mal. La faire souffrir. Durant mes longues heures de travail relativement tranquille, j’ai mis au point l’enlèvement parfait.

Premièrement, j’établirais un lien de confiance. Je sais qu’elle prend l’autobus, mais notre système de transport n’est pas vraiment populaire, c’est le désavantage d’habiter en région. Le fait est qu’il n’y a pas d’abribus. J’ai décidé qu’un soir où il ferait froid, je lui proposerai d’attendre le bus dans ma voiture. Je suis patient, je le ferai à plusieurs reprises, j’apprendrai à la connaître. Nous nous lierons d’amitié sans toutefois être trop près. Par la suite, un soir où il pleuvra, ce qui n’est pas rare en septembre, je lui proposerai de la raccompagner pour lui éviter de devoir marcher la distance entre sa maison et l’arrêt le plus près sous la pluie. Si elle refuse, je serai patient, comme toujours. Je trouverai des excuses pour la raccompagner, la manipulant, lui disant que je m’inquiète pour elle, alors qu’en réalité, ma seule motivation est d’arriver à mes fins et d’assouvir mes pulsions. Lorsque le lien de confiance sera bien établi, je lui dirai que je veux lui montrer mon endroit préféré, pour qu’elle se sente spéciale, je lui ferai croire que je n’ai jamais partagé cet endroit avec personne, ce qui n’est pas totalement faux, mise à part ma famille, personne n’a jamais visité notre chalet, peu de personnes connaissent son existence, ce qui en fait l’endroit parfait pour séquestrer quelqu’un. Je me vois déjà, préparer mes outils de torture, comme dans les films. Un scalpel, des couteux, des pinces. Sans oublier tout le matériel nécessaire pour l’immobiliser. Pour commencer, du chloroforme, que je volerai au laboratoire dans la classe de chimie. Il me sera utile pour endormir ma victime le temps que je l’attache et conserver son corps lorsque j’en aurai terminé. Par la suite, j’attendrai qu’elle se réveille avant de mettre en action ma première séance de torture, je veux qu’elle soit bien consciente. Je crois que je commencerais par lui arracher un ongle, l’index probablement. Doucement, très doucement, je tirerais dessus. Ses cris et ses pleurs m’encourageant à continuer. Puis je délaisserai mes pinces et m’emparerai de mon couteau, mon favori, un petit couteau suisse mal aiguisé, j’entaillerai ses avant-bras, puis me dirigeant tranquillement vers sa joue j’empoignerai sa tête entre mes doigts, la tournant afin de m’offrir le plus de chair possible, je ferai glisser la lame sous son œil et enfoncerai…

PAPAAAA ! EST-CE QU’ON PEUT FAIRE UN AUTRE TOUR D’AUTO TAMPONNEUSE ?
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