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Dégradation !
Il est 6 h 32. Le soleil se lève tranquillement. Il fait beau. Il fait chaud. Mon chum dort encore. Je me dépêche de faire nos bagages. J’ai décidé qu’on allait passer notre fin de semaine dans un chalet à Windigo. Mon chum se réveille. Je lui demande gentiment d’embarquer dans l’auto… j’ai une surprise pour lui. Il accepte. On part.
Nous sommes présentement en route vers le chalet et nous nous arrêtons dans un petit restaurant pour déjeuner. Je suis contente de pouvoir enfin prendre un moment avec mon chum sans les enfants. Les gens sont silencieux, tout est calme, tout est sombre. Nous reprenons la route pour arriver avant que le soleil se couche. On va pouvoir enfin se parler. Pour l’instant il ne se doute de rien, je ne lui ai pas encore dit qu’on s’en allait dans un chalet, mais il est au courant que je lui prépare une surprise. J’appelle ça une surprise puisqu’il risque d’être surpris car c’est une drôle de surprise. En fait, moi je risque de trouver ça plaisant mais peut-être pas lui. C’est fini pour lui de fuir notre situation de couple lamentable. Il va devoir me parler.
Enfin arrivé à destination, on sort nos valises de la voiture et je regarde mon chum qui, lui, n’a pas l’air enjoué du tout à l’idée de passer la fin de semaine dans les bois. Pourtant le chalet est super. Il est muni d’une toute petite fenêtre, recouvert de grosses planches de bois pourries et décoré à l’aide d’une vieille cheminée. J’adore ce type de chalet dans le fond des bois. Mon chum hait le bois. Aucun signal cellulaire, pas d’électricité, nous allons vivre avec le minimum durant trois jours. Je ne cesse de lui répéter qu’il doit se détendre et que l’on va passer de super beaux moments mais je n’y parviens pas. Son stress diminue, on va enfin se coucher, la route a été longue, je suis épuisée.
Je me réveille en sursaut, quelque chose a frappé la fenêtre. Il fait noir, je ne vois rien sauf le 3h15 affiché sur l’écran de mon téléphone. J’ai peur. Je n’ose pas me lever. Je décide de me recoucher en espérant faire disparaître le monstre. Mon chum, comme à l’habitude, ronfle encore…
Le soleil se lève. Je me sens bizarre. L’ambiance dans cette forêt est inexplicable. Les arbres sont collés les uns contre les autres comme des crayons de couleurs dans une boîte en carton. C’est dense, il fait noir. Ce n’est pas noir parce qu’il est tard, il fait noir à cause de tous ces arbres. Ces arbres verts. Ils me rappellent mon enfance, lorsque j’allais dans les bois avec mon père. Première activité, une randonnée. Mon chum hait les randonnées. Nous partons, il est présentement 9h00. Le vent souffle les branches de sapins et d’épinettes. Le bruit des branches qui craquent sous mes pieds et le bruit des branches qui bourdonnent à mes oreilles font accélérer mon pouls. Je commence à être stressée, ce n’est pas normal tout ça. Nous marchons dans un sentier plus ou moins adapté. Peut-être que ce n’était pas une si bonne idée. Je stresse de plus en plus, mon chum aussi. Le bruit de l’eau qui coule à travers les roches des ruisseaux de chaque côté du sentier apaise notre stress. Le bruit apaisant du sifflement des oiseaux détend l’atmosphère. Mon chum hait les oiseaux. Y-a-t-il quelque chose qu’il aime ? j’en doute. Et puis, en un claquement de doigt, tout devient silencieux. Plus de petit bruit de ruisseaux ni de bruit d’oiseaux. Je vois des ombres passer à gauche, à droite. Je n’entends plus rien, ni même mon chum derrière moi. Je panique. Le genre de chose qui arrive seulement dans les films ou bien dans les livres… Eh bien je le vis présentement. Comme si tout s’éteignait autour de moi. La noirceur devient de plus en plus intense, je ne vois plus rien. J’ai cette impression d’être entourée de personnes vivantes, les arbres bougent et me donnent le sentiment de ne plus être seule. Je ne trouve plus le chemin du retour, il fait trop noir. J’entends peu à peu les sons revenir et j’ai ce bourdonnement constant dans mon oreille. Mon chum qui chiale sans cesse. De vagues souvenirs de nos chicanes qui roulent dans mes oreilles. Je hais lorsqu’il se plaint. Tellement que je ne l’écoute même plus. C’est ça le problème. On ne s’écoute plus. L’image du sentier disparait de mon champ de vision, je ne sais plus où je m’en vais. Je ne pense plus au chalet, je ne le vois plus le chalet. Rien ne va. Ma respiration diminue, j’entends les battements de mon cœur à l’intérieur de moi qui vont de plus en plus lentement. Je vois les arbres tomber les uns après les autres. Ils tombent tous comme si une abatteuse passait de chaque côté de moi et effectuait une coupe à blanc. Le son de mon battement cardiaque suit le rythme des arbres qui tombent. Comme si ma vie tombait au même moment qu’eux. Je ne contrôle plus rien.
Une peur s’installe à l’intérieur de moi. J’ai cette impression de me faire voler mon âme par quelque chose d’inconnu. Quelque chose qui me monte au ciel. Je me retrouve la tête dans les nuages et je me rends compte que j’étais tellement préoccupée par toutes ces choses dans la forêt que je ne me suis jamais rendu compte que tout s’écroulait dans ma vie. Rien n’allait et je ne le remarquais même pas. Me préoccuper de toutes ces choses inutiles m’a coûté ma vie au grand complet. Je ne peux plus reculer. Je suis seule. Seule pour la première fois de toute ma vie. Je vais devoir assumer les choix que j’ai pris. Je me trouve alors dans un endroit sec, clair et inconnu. Loin de tous mes repères. Je ne reconnais pas cet endroit. Où suis-je ? seul l’avenir me le dira.