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C’est la vie
Histoire vraie… racontée par Marie
L’alarme brise le silence. Les aiguilles recommencent à tourner. La pause est terminée. L’ambiance routinière a repris le contrôle. Cillements, craquements, claquements…
– Bonjour, que puis-je vous servir ce matin? La même chose qu’à l’habitude?
« Scratch », on ouvre, on verse, on enclenche et on attend. Les cafés font la course. Une odeur désagréable s’empare de tous les trous olfactifs habitués.
– Hey, toi! Viens ici, je suis pressé! Tu comprends ce que je te dis?
Un autre qui s’est levé du mauvais pied. Trois…Deux… Un… Sourire!
– Je suis réellement navrée, monsieur. Qu’est-ce qui vous ferait plaisir en cette belle matinée ensoleillée?
Les gens s’empressent, s’entassent, se piétinent. Qui obtiendra sa place au comptoir en premier? Quelqu’un veut parier? Café, chocolat chaud, décaféiné, moka, expresso, latté, cappuccino, glacé, chaud, vanille, aromatisé, suprême?
« Cha-Ching! »
– Merci d’avoir favorisé le travail à la chaîne sous une pression insoutenable. En vous souhaitant une magnifique journée et au plaisir de vous revoir très bientôt.
Le café réchauffe et tout le monde a trouvé son compte. Il était une fois au royaume où le temps c’est de l’argent….Pas question de prendre une pause. La vaisselle s’empile, les comptoirs sont recouverts de résidus d’aliments et de gouttes multiples. Le sucrier est vide et il y a des papiers de pailles partout. Les boîtes de serviettes de table se sont fait dépouiller et quelqu’un a renversé son breuvage dans l’entrée. Au boulot!
– Désolée mademoiselle, vous reste-t-il des beignets aux pommes?
– Pourrais-je avoir deux petites crèmes? Mon café est atrocement brûlant…
– Finalement, je prendrai ma commande pour emporter si cela ne vous dérange pas.
– Pourriez-vous me donner un deuxième verre? Je n’arrive pas à le tenir, c’est trop chaud.
– Si je vous prends une soupe, un café et un beigne combien économiserai-je de sous?
Il fait beau dehors! Vous ne trouvez pas? J’irais bien prendre une crème glacée. Je pourrais aussi en profiter pour aller prendre une longue marche au bord de l’eau. De l’air frais, de l’espace… OUTCH!
– Pardon, c’est un peu étroit derrière le comptoir. Je ferai plus attention la prochaine fois!
Le café ne coule plus. MERDE! J’ai oublié d’en repartir un autre! La tension se fait sentir. Tout le monde semble survolté. L’attente leur paraît longue et la file me semble interminable. Un instant…
– Il n’y a plus de café, puisque j’avais envie d’aller manger un cornet sur le bord de l’eau! Vous comprenez ce que j’essaie de vous dire?
Puis, plus un son, mais le malaise en dit long… « Scratch », on ouvre, on verse, on enclenche et on attend.
– Pourriez-vous être un peu plus rapide. Mon enfant est dans l’auto et je dois le conduire à son entraînement de soccer. Je suis certaine que vous comprenez dans quelle situation je me trouve.
Personne n’a compris. Aucune importance.
– Oui très chère madame, je comprends. Vous pouvez passer votre commande ici.
Quand le café va, tout va…« Clac! » Un son étrange, un doute, de l’inquiétude et puis la panique.
– Voudrais-tu me préparer un expresso double s’il te plaît?
– Pour parler bien franchement, ça me ferait un énorme plaisir de pouvoir te faire un double expresso, mais les machines ne sont pas des serveuses. En fait, ce que je tente de dire, c’est que la machine en avait plein sa CLAQUE alors elle est tombée hors service. Tu comprends ce que ça implique. Je suis vraiment désolée. Voudrais-tu boire autre chose par contre ?
Voilà, les plaintes surgissent de leur cachette. Quand le café va…Non…Tout ne va pas.
– Gérante, s’il vous plaît, soyez frustrée après ce foutu engin. Il m’empêche de faire mon travail. Ne me mettez pas à la porte et lancez-le par la fenêtre!
Malheureusement pour la serveuse multitâche qui sommeille en moi, il n’y a pas que les machines à expresso qui détiennent la capacité de se boucher…
– Je suis un peu gêné de vous avouer ceci, mais il y a eu un léger accident dans les cabinets. Je vous conseille de vous armer d’un siphon si vous souhaitez vraiment régler la situation. C’est peut-être bien pire que ça en a l’air. Je ne sais pas, je n’ai pas regardé… Sur ce, bonne journée!
Bien sûr, vous me laissez la chance de vivre cette expérience unique. J’avoue que je n’aime pas particulièrement la senteur du café, ça ne veut pas dire qu’elle avait besoin de compétition, vous savez!
– Hé ! Si ce n’est pas la petite Marie qui est derrière le comptoir aujourd’hui!
Et voilà Roger « Le sauveur de situation par excellence » Lachance.
– Un moyen deux crèmes Roger ?
Vous avez égaré votre patience quelque part, ou on vous l’a peut-être SIPHONNÉE? …Par hasard, bien entendu… Aucun problème, M. Lachance est toujours là pour vous exposer des problèmes beaucoup plus sérieux.
– Marie, l’heure est grave ! Tes études commencent à me coûter pas mal cher. Ce n’est pas important, je ne t’en veux pas. Toi, au moins, tu ne vas pas boucher les rues et briser des vitres.
Un courant d’air frais envahit soudainement l’endroit.
– Bye Marie, ne te couche pas trop tard! Tu as de l’école demain matin. Tu te rappelles?
Sur cette remarque pertinente, Roger disparaît tenant son moyen gobelet de café dans sa main. Il cède alors sa place au comptoir au vieux Jean-Claude « Je suis divorcé et j’ai besoin de quelqu’un » Allard qui, fidèle à son habitude, vient consommer son café de l’heure.
– Bonsoir M. Allard ! Un petit deux laits, un sucre?
La fin de la journée est drôlement tranquille. Les habitués sont déjà venus réclamer leur commande. La vie ici, c’est la même cassette qu’on se repasse cent fois.
– Qu’est-ce que tu fais? Le restaurant doit être impeccable. Hop hop!
Malheureusement, les boutons « Pause », « Muet» et « Accélérer » ne sont pas des options.
– Oui chef…
Laver les tables, placer les chaises, ramasser la vaisselle, remplir tout ce qui a été vidé, prendre les températures. Essayer de ne pas être trop tentée par les beignes qui te chuchotent de les déguster, les manger, les dévorer! Vingt livres de plus dans le corps. Vingt, quarante, soixante, quatre-vingts, CENT. Ça suffit, arrête de manger!
…
« bip,bip,bip »
« BIP, BIP, BIP »
« BANG, BANG, BANG »
Bon, ne venez pas me dire qu’il reste encore quelque chose à briser ici…
– Lève-toi! Tu vas être en retard si tu continues de languir!
L’alarme brise le silence. Les aiguilles recommencent à tourner. La pause est terminée. L’ambiance routinière a repris le contrôle. Cillements, craquements, claquements…
– Bonjour, que puis-je vous servir ce matin? La même chose qu’à l’habitude?
Ce n’est pas possible, c’est un vrai cauchemar !
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J’ai beaucoup aimé ce texte, car il est bien écrit, surtout avec toutes ces superbes figures de style maîtrisées à merveille et sa recherche des mots justes, précis, forts et beaux. De plus, ce qui m’a le plus accroché, c’est la façon dont elle décrit ces scènes de la vie quotidienne pour en faire une histoire tout à fait cauchemardesque. En somme, j’adore son style d’écriture et de description hors norme. C’est exactement cela qui m’a instantanément ancré dans ce récit abracadabrant! Wow!
Le rythme est très rapide; j’avais l’impression d’y être! J’aime bien le fait que la boucle est bouclée à la fin, ça finit comme ça commence. Une chose est sûre: ça ne donne pas le goût de servir du café!!