Partager
L’air était pur et frais en ville. Particulièrement dans la rue DuMessène. On pouvait y percevoir l’odeur des épices saisonnières et de la tarte à la citrouille. Les feuilles virevoltaient, emportées par la brise pour aller se coller à la fenêtre encore fermée de ma chambre. Les rayons du soleil perçaient à travers mes rideaux entre-ouverts, venant se déposer sur mes paupières. Mes yeux s’ouvrirent aussitôt, n’ayant pas vraiment dormi cette nuit là. Mon dos me faisait souffrir : chaque nuit, depuis quelques mois, j’éprouvais une douleur pointue entre mes omoplates. Mes nuits étaient perturbées et courtes. Mais j’y étais habituée. Je me levai alors, jetai un coup d’œil à mon reflet dans le miroir et, passant ma main dans ma chevelure acajou, vaguée et entremêlée, décidai d’aller me laver. Une bonne douche m’aiderait sûrement à passer ma journée cégépienne. Je sortis de ma chambre, passai par la cuisine pour mettre en marche la cafetière et me dirigeai vers la salle de bain avec des vêtements propres.
Je déposai mes vêtements sur un crochet et tournai la valve contrôlant la température de l’eau. Je la voulais plutôt tiède. Trouvant la température parfaite pour à la fois me réveiller et soulager ma douleur, je me déshabillai et allai sous la douche. L’eau perlait sur mon dos meurtri, soulageant quelques muscles au passage. La douleur s’estompait peu à peu, me laissant respirer avec une meilleure liberté. Pourtant, cette liberté me fut vite arrachée. Une souffrance, comparable à des plaies ouvertes se faisant rincer à l’acide pure et enfoncer des couteaux de métal en fusion, me frappa. Insoutenable, elle m’obligea à m’effondrer au sol et à porter mes mains à mon dos. Mes paupières étaient closes. Je me mis à crier : la gorge sèche, les poumons en feu et une peur flamboyante dans mon esprit. Je trouvai la force d’observer mes alentours… Du sang! Un sang d’un rouge pétrolier s’éparpillait sur le plancher marbre de ma douche. Je ramenai vivement mes mains devant mon visage : elles aussi étaient souillées de cette substance que je refusai de comprendre. La douleur augmentait. Je portai de nouveau mes mains à ma rescousse, tentant de repousser le mal. Je regrettai ma décision : ayant détecté sur mes doigts une sensation similaire à de l’hyporachis mouillé, je me retirai. Mon tourment ne finit pas là. Au contraire, il augmentait. Quelque chose poussait sur ma peau tendue déjà déchirée. Je la sentais bouger, se frayer un chemin entre mes omoplates.
Puis, sans aucun avertissement, le mal cessa. Plusieurs secondes passèrent sans que rien ne se passe… Je me relevai tranquillement, les jambes faibles et tremblantes. Je devais sortir de la douche, aller à l’hôpital, trouver un moyen de transport, trouver mon portefeuille, m’habiller convenablement et vite, nettoyer… Mon esprit ne cessait de se tourmenter avec des pensées plus ou moins utiles, ne cherchant qu’à trouver une explication complète et valide à mon état. Tout mon corps me faisait souffrir, sous le choc des évènements qu’il venait de vivre. Ma respiration se voulait rapide, saccadée, courte et, à chaque inspiration, l’air me déchirait presque les voies respiratoires. Je n’en pouvais plus, j’en avais déjà trop eu. Je portai une main molle et hésitante au simple rideau. Je devais me motiver et finalement consulter un médecin ou qui que se soit capable de maîtriser ou de supprimer ce problème douteux et plus que gênant.
Je poussai le rideau le plus fermement que je le pouvais dans ma condition actuelle. À peine ayant passé ma jambe droite de l’autre côté, que je fus propulsée au sol à nouveau, la douleur n’ayant jamais été à ce point vive et pointue. Je ressentis mes muscles se tordre et pousser sur les amples masses qui désiraient plus que tout être propulsées hors de mon Être. Alors que ces choses avançaient vers leur but, je tentai de crier : en vain. Aucun son ne sortit : seulement un silence affligeant me tenait compagnie. Ne pouvant rien faire de plus, j’enfonçai avec puissance mes ongles dans la paume de mes mains, exerçant le mythe de la répartition de la douleur. Mon dos s’arqua et, d’un ultime effort, dans un ultime labeur, mes muscles exercèrent une dernière poussée et c’est, dans un souffle net et profond, que les deux masses sortirent simultanément.
J’attendis quelques instants, laissant la chance à mes poumons de reprendre un rythme normal et à mon cœur de reprendre des forces, restant le front appuyé sur le plancher froid pour m’aider à retrouver un certain focus visuel et balancier, et me relevai en titubant. J’éprouvai un certain sentiment de liberté et d’accomplissement. L’adrénaline du moment sûrement. Mes yeux reprirent de leur vie et mon équilibre de même. Je fis bouger légèrement les muscles de mon dos, testant si j’étais sortie du trouble : je bougeai d’abord les bras pour faire bouger mes omoplates. Tout semblait normal. Sauf… Les masses… Les choses que j’avais ressenties : elles étaient encore accrochées à moi! Je tournai brusquement le regard dans mon miroir et m’observai longuement, une expression d’inquiétude et d’ébahissement soudée à mon visage : deux longues ailes me sortaient du haut-milieu du dos… Des plumes noires tourmaline, imbibées de sang se dressaient derrière moi.
J’aurais dû être paniquée. Je devais l’être, c’était obligé!… Rien. Aucune peur, aucune crainte. Guidée par un nouvel instinct, je retournai sous l’eau glaciale et lavai mon nouveau plumage. Ces ailes, je les bougeais avec tant d’aise, comme un muscle qui avait toujours existé. La curiosité m’emporta : je me mis à tirer légèrement sur une des plumes… Je ne perdis pas de temps et j’arrêtai aussitôt. «Elles font partie de moi…», me surpris-je à penser, «Elles l’ont toujours été.». Rien de tout cela n’était humain. Rien, nada, nothing. Pourquoi? Comment? Quand? J’ignorais tout. Malgré mon état de bien-être, je me sentais dériver vers d’autres sentiments : la peur, l’insécurité et un soupçon de crise existentielle. Je me retrouvai seule, la tête recroquevillée entre mes genoux, mes bras accotés mollement sur ceux-ci, l’eau froide giclant sur mon corps froid, ces ailes que je n’avais jamais connues couvraient mon frêle univers d’une ombre qui se voulait bienveillante, mais elle était bien trop perturbante…
Suivez-nousPartager