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J’ouvre un œil puis l’autre. Mes paupières sont si lourdes, j’ai de la difficulté à voir nettement. Malgré ma vue médiocre, une petite voix me chuchote à l’oreille que je suis dans une chambre. Une pièce non meublée, à l’exception du lit inconfortable sur lequel je suis étendue. Une cellule sans vie où les murs beiges sont coussinés. Cet endroit me rend triste, je me sens seule, affreusement seule. Je suis à bout de souffle, un puissant mal de tête déchire mon crâne et des frissons me parcourent le corps entier. Il fait si froid ici. Un rayon de soleil danse dans ma cellule, il finit par m’aveugler, sa chaleur attire mon attention et soudain je réalise: il y a une fenêtre. Je tente de bouger, je voudrais tellement la rejoindre. Une voix m’encourage à m’enfuir. Je m’agite dans tous les sens, je hurle, je pleure, mais rien. Impossible pour moi de bouger, mon corps est engourdi comme s’il était mort. C’est à ce moment précis que je saisis : mes membres squelettiques sont retenus par des cordes à mes chevilles et mes poignets. Étrangement, je ne crois pas que c’est ce qui me retient réellement, comme si je n’avais pas tout à fait le contrôle de mon corps. J’essaie du mieux que je peux de m’en détacher durant quelques secondes mais je sais que c’est inutile, je suis paralysée, physiquement oui, mais surtout paralysée de peur. Je n’y arrive pas. Toutes ces douleurs physiques ne sont rien comparées à l’incompréhension, la solitude et l’inquiétude qui m’habitent.
Bientôt huit heures que je fixe le plafond de cette chambre sans pouvoir bouger. J’ai froid, j’ai faim, j’ai mal. J’entends des pas lourds s’approcher vers ma petite pièce. J’utilise ce qu’il me reste d’énergie pour crier afin que cette personne vienne à mon secours. Elle se rapproche de plus en plus, le son des clés frappant les unes contre les autres est de la musique à mes oreilles. Une voix me chuchote : enfin, sortons tous d’ici. Toc, toc, toc. La petite porte s’ouvre, un homme élancé vêtu d’une chemise blanche se présente à moi. Dr. Anderson, est-il écrit sur son sarrau. Il marmonne des termes incompréhensibles à mes oreilles tout en me regardant de ses doux yeux bleu clair, presque effacés. Il me répète que tout ira bien, mais je sens qu’il est hésitant. Il me jure qu’il veillera sur moi chaque jour et m’étouffe sous un masque rempli de gaz. Je m’endors tranquillement. Après un temps inconnu je finis par m’éveiller, confuse, dans une nouvelle chambre cette fois-ci. Où suis-je encore? Est-ce que je rêve? Dr. Anderson est près de moi et me regarde avec pitié. Je ne ressens plus de douleur, enfin. Je remarque le long tube qui transperce mon avant-bras et je saisis. Une petite voix en moi m’avertit de me méfier: il te drogue encore sous son air bienveillant… Suis-je dans un hôpital ou une prison? Je ne comprends pas. Le médecin voit mon insécurité, il me parle doucement pour me calmer. Il me dit que je m’appelle Élizabeth St-Pierre, que j’ai 15 ans, que ma famille entière est partie et que la meilleure place pour moi, c’est ici. Étrangement, je ne m’identifie pas à cette Élizabeth, je ne la connais pas du tout même. Sommes-nous plusieurs à habiter ce corps? Je panique, je crie, je pleure. Dr. Anderson semble effrayé.
De retour dans ma chambre, je suis encadrée entre les quatre murs beiges où flotte une odeur insupportable de soufre. Trop de jours que je suis ici, il faut que je sorte de cette chambre, les voix me le répètent sans cesse. On m’a détachée mais je suis toujours enfermée à clé. Comment m’enfuir? Chaque jour, le docteur vient me visiter et me pose encore et encore les mêmes questions auxquelles je n’ai pas de réponses. Il répète, comme un vieux disque qui saute, que je suis gravement malade, que j’ai besoin d’être soignée et surtout, que je ne dois pas écouter les voix dans ma tête. Je ne comprends pas pourquoi puisqu’elles me tiennent compagnie. Comme chaque matin depuis trois mois, les pas chancelants du Dr. Anderson me réveillent. Cependant, aujourd’hui est un jour différent, c’est décidé : je m’enfuis de ma prison. Après plusieurs mois de thérapie, je vais mieux, les voix me l’ont confirmé. Je vais rejoindre ma famille. J’ai tout planifié. Dr. Anderson s’approche de la porte, je répète tout bas les étapes de mon plan sans m’arrêter, je dois réussir, les voix comptent sur moi. Un, je me cache derrière la petite porte. Deux, Dr. Anderson entre dans ma chambre. Trois, j’enfonce le bout de bois qui me servait de patte de lit dans le ventre du docteur. Il s’écroule sur le sol. Son sang tache mes mains et étrangement, je me sens bien. Quatre, je cours, je cours, je cours, sans jamais m’arrêter, mes jambes ne savent pas où aller mais ma tête elle, elle le sait. Cinq, je sors de ma prison et j’aperçois un cimetière… Un sentiment de déjà-vu me hante. Je m’immobilise devant une énorme pierre tombale et je lis l’épitaphe: À la mémoire de la famille St-Pierre. Des images défilent dans ma tête. Je me vois les mains tachées de sang. Ça y est, tout me revient. Il y a sept mois et six jours, moi, Élizabeth St-Pierre, quinze ans, j’ai assassiné ma famille. Les voix dans ma tête éclatent de rire, j’ai mal au cœur, je m’évanouis.
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