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La misère, chère compagne si généreuse de son amour envers moi. Depuis la mort de ma femme, je ne savais pas comment j’aurais fait pour survivre sans quelqu’un qui m’aime et me répète à tous les jours à quel point je suis important dans sa vie… La misère s’est portée volontaire pour remplir ce trou immense que la douleur ronge. Je ne lui en veux pas, personne ne l’aime, elle fait pitié. Par contre, son amour commence à me peser ; elle est un peu trop dépendante de moi… C’est pourquoi, je n’ai pu m’empêcher de sauter la clôture, d’aller voir ailleurs…Oui, je l’avoue, je trompe mon amour de misère avec l’espoir. L’espoir un jour me rendra ma liberté. Je suis certain que ma misère s’en remettra et saura trouver quelqu’un à sa taille. Il y a tellement de gens qui ne mériteraient que son amour, des ingrats sans pitié qui te prennent pour un cendrier quand tu ne fais que prendre l’air assis au pied d’un édifice.
Un jour, assis à une table d’un petit café modeste, je me laissai aller aux caresses de mon amante qu’est l’espoir. Je pus me le permettre, j’avais pris soin de me choisir une table dans un coin sombre et tranquille. Mon amante se mit soudain à me souffler à l’oreille quelque chose qui me sembla si absurde ! Elle fut choquée de ma réaction mais je me rattrapai en lui laissant le bénéfice du doute. Elle me proposait d’utiliser le crayon avec lequel je m’amusais pour dessiner sur la serviette en papier qu’on m’avait donnée avec mon café. Moi et le dessin, ça fait trois ! Peut-être quatre et même cinq ! La dernière fois où je me souviens avoir dessiné était à la petite école et on m’avait frappé les doigts pour avoir utilisé ma main gauche… J’avais tellement été traumatisé que plus jamais je n’avais recommencé!
Au moment où j’ai posé la mine de mon crayon sur la serviette en papier, ma main s’est affolée et a créé une œuvre qui m’a bousculé la raison. Rationnellement, il m’était impossible de croire que c’était moi qui venais de dessiner un tel chef d’œuvre ! Je me remis à l’action pour mettre au défi ma raison et l’espoir l’a emporté ! C’était encore et encore moi qui dessinais aussi bien ! Wow, quelle découverte ! À ce moment, je me demandai si c’était mon nouveau talent ou le café qui faisait accélérer mon rythme cardiaque à cette allure. Venais-je de découvrir ce qui allait me détacher de ma généreuse misère ? Ce qui allait m’amener enfin à mon but ultime ! Je me retins de verser une larme de bonheur : on me croirait fou d’aimer autant le café.
Je parcourus quelques rues et allai faire le cendrier au pied de la Barclays bank. En ces temps de récession, il n’y a que les riches qui puissent avoir le courage de savoir combien d’argent ils possèdent encore. J’espère donc qu’ils auront pitié de l’homme que je suis, bien que je ne sois qu’un mendiant inconnu de plus dans leur journée… Mais je ne dois pas penser à cela et plutôt garder en tête la liberté, cadeau que l’espoir me réserve. Je m’assis donc et j’endurai les regards d’indifférence, de dégoût et de pitié qui m’aideront à me procurer mon nécessaire à dessin.
Deux semaines plus tard, je réussis à me procurer un nécessaire à dessin à un bas prix, gracieuseté d’une ancienne connaissance à moi. Alors que le soleil commença à peine à se lever, je quittai le piètre endroit que je m’étais trouvé la veille pour dormir.
Bien que dormir est un grand mot, mon voisin de dodos cette nuit-là était très sympathique en son genre. Il était…divertissant, si on peut dire. Il remplit bien des nuits d’insomnies ! Cette ville regorge de spécimens, elle m’épatera toujours. Enfin bref, je me dirigeai au petit café modeste qui m’est familier depuis quelques temps et je me mis au dessin. Une dame, à l’allure de celles qui lèvent le nez à n’importe qui sur son passage, dut oublier je ne sais où son snobisme habituel, car elle vint à ma rencontre avec un café à la main.
– Bonjour mon cher, vous permettez ?
– Hum…Oui, assoyez-vous.
Elle dut croire que j’allais me lever pour lui tirer la chaise et faire de ma personne quelqu’un de galant, car elle a poursuivi l’assèchement de ses dents pendant un moment avant d’elle-même tirer une chaise pour y poser son postérieur en or. Que voulez-vous, je ne me sentais pas d’humeur à m’enthousiasmer de sa présence à ma table, alors au diable la galanterie ! Après tout, j’étais occupé à dessiner.
– Ce sont de beaux dessins que je vois ici, c’est vous qui les avez faits?
– Mademoiselle Dawkins. Je ne suis pas mariée.
– Peu importe, moins j’en sais sur la vie intime des gens, mieux je me porte. Ne le prenez pas personnel surtout…
– Que voulez-vous de moi exactement Madame Dawkins.
– Mademoiselle. J’aimerais que vous veniez voir ma nièce ce soir et que vous la dessiniez.
– D’accord. Mon tarif est de dix dollars par dessin.
– Dix dollars ! Vous n’y aller pas avec retenue !
– Ne me dites pas que cette somme n’est pas digne de votre portefeuille. Avec cette allure de femme riche et bien mise, je serais déçu…
– Que dites-vous là ! Bien sûr qu’elle est digne de mon portefeuille ! C’est bon, marché conclu !
Ce soir-là, et le soir d’après, et le soir suivant le soir d’après et ainsi de suite, je fus l’invité de mademoiselle Dawkins. Elle fit de moi un produit et je ne m’en plains guère : j’étais payé à l’image de son allure doré. Après quelques mois, j’avais amassé assez d’argent pour me permettre de vivre librement. Il était temps, car l’âme de l’espoir venait peu à peu hanter mes crayons et leur mine devenait d’une couleur de plus en plus verte. Ça devenait franchement ennuyant pour mes dessins, quoi que fantastique pour mon sentiment d’accomplissement. J’aimais bien la misère, mais je crois que je suis davantage fait pour les relations ouvertes ou pour simplement être célibataire. Un jour, peut-être, nous reverrons-nous, elle et moi. Mais ce ne sera pas de si tôt… L’espoir m’avait promis la liberté et j’allais en faire profiter celle que j’aimais plus que tout au monde, celle pour qui j’ai fait tout ce chemin depuis des mois. Je me rendis jusqu’au Founding Hospital, un orphelinat qui peut devenir la dernière solution pour un père qui perd tous ses moyens. Je pris une respiration pour tenter de calmer les papillons qui m’engourdissaient le ventre et j’ouvris les portes de l’institution. D’un pas lourd et déterminé, j’allai vers le comptoir de la réception et j’avouai.
– Bonjour, je suis Arthur Grant. Il y a un an, on m’a déclaré comme étant disparu et je viens aujourd’hui chercher ma fille. La misère n’aura pas eu ma peau ; elle n’aura certainement pas ma fille non plus.
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