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«Ginette, Ginette, Ginette. Avec tes seins pis tes souliers à talon haut. T’as mis d’la brume dans mes lunettes, t’as fait de moué un animal Ginette. Fais moué sauter dans ton cerceau !»
– Ginette ! Ferme moué donc ça c’te criss de radio-là pis viens ici t’suite ça presse !
– Calme-toué Richard là, j’peux-tu juste avoir mon plaisir deux minutes ! Une chanson avec mon nom, t’imagines-tu ? Beau Dommage qui pense à moué !
– On sait ben, t’as encore été faire ta pute pis t’as couché avec le chanteur c’est ça !
– Ah ben mon tabarnac toué par exemple ! Attends quand j’vas arriver dans’chambre, tu créeras pas ça mon hostie !
– R’garde c’que ton gars a faite !
Et c’était parti, comme à l’habitude… C’était comme ça depuis que j’étais né. Le comble de l’absurdité ! Plus de lait dans l’frigo ? La crise. Le vent qui dépeigne ma mère ? La crise. Une mouche dans notre maison ? La crise. Ils s’accusaient mutuellement parce que c’était plus simple d’évacuer leurs frustrations ainsi. C’était loin de rendre ma vie simple par contre. Quand j’ai commencé l’école pour la première fois, je croyais que pour créer des liens ou une relation, il fallait se crier dessus. Vous imaginez les têtes qu’ont faites mon enseignante et les autres élèves ? Surtout quand j’ai sacré… La honte que j’ai faite à mes parents. Je n’étais qu’un « p’tit criss de yable pis un calice de pas d’cervelle ». À ce moment, je suis devenu muet. On m’a donc cru fou et on m’a retiré de l’école.
– Veux-tu ben m’dire qu’est-c’qu’on a faite au bon Dieu pour qui nous aille donné un enfant d’même !
– C’est d’ta faute Ginette ! Toué pis ton sacrament d’ hairspray ! J’te l’avais dit d’pas en mettre autant qu’ça, qu’ça pouvait être dangereux pour le flot !
Une année est passée. J’étais resté trois cent soixante-quatre jours dans la maison de mes parents. Ils ne voulaient pas que les autres sachent qu’ils abritaient un fou, encore moins que c’était leur fils. La seule sortie à laquelle j’ai eu droit est lors de l’expo 67 à Montréal. «On s’en va à’grande ville ! » comme disait mon père. On ne s’est jamais rendu finalement. Ma mère a eu envie «d’pisser» et mon père a commencé à chialer, en disant qu’il ne pouvait pas croire qu’il avait marié une femme avec une aussi petite vessie que ça. Ma mère s’est sentie profondément insultée. Il avait insulté sa vessie quand même, ce n’était pas rien. On a rebroussé chemin vers la maison. Cinq minutes après, nous étions de retour. Les voisins ont à peine eu le temps de célébrer notre départ. Quelle claque sur la gueule ils ont dû ressentir quand ils ont vu notre Fairlane brune revenir se garer dans l’entrée. Mon père m’a poussé pour que j’entre vite dans la maison et ma mère me cachait avec sa veste en fortrelle bleu marine, tout ça pour éloigner tout soupçon de folie chez moi.
Des milliers de disputes plus tard, j’ai eu treize ans. Je ne savais toujours pas lire, ni écrire, mais je dessinais. En cachette, bien évidemment. Mon père n’arrêtait pas de dire que c’était pour les «fifons» le dessin. De toute façon, ce n’était pas difficile de se cacher dans cette maison. J’avais beau être au milieu d’une maison, mes parents passaient à côté de moi comme si j’étais un vieux bibelot donné en cadeau par la tante Alice. Alice fut la seule personne de ma famille, autre que mes parents, que j’ai vraiment connue et ce, jusqu’à mes treize ans. Elle avait une fille qui aimait se promener constamment en sous-vêtements devant les gens. « Alice a connaît ça les fous. Sa fille a l’est. A sait s’y prendre avec ça j’crée bin! » Elle pouvait alors me voir, sans gêne pour mes parents. Cette fille quelque peu exhibitionniste est maintenant une adulte et elle est maintenant ma cousine. Les adultes ont convenu ensemble qu’à l’âge que j’avais, j’étais maintenant assez vieux pour avoir une cousine. Elle habiterait chez moi quelque temps. Elle venait se trouver «une job» qu’elle disait. Ce qu’elle voulait vraiment, je le savais, je l’avais entendue parler avec le téléphone. On habitait en banlieue de Montréal, on était donc plus proche du Lime Light, un « nouveau club super IN où y’a pleins d’vedettes, faut y’aller hostie ! » Alors pendant que ma mère se plaignait à propos du souper du soir qui s’en venait, que mon père était dans l’entrée à sacrer après son auto parce qu’à tous les dimanches elle décidait de mal fonctionner, que ma cousine s’organisait une nuit à Montréal, moi, j’étais tanné de dessiner. Je n’en pouvais plus.
Au cours des deux années qui suivirent, j’appris à lire. Ma cousine enseigne à la perfection, même avec un verre dans le nez. Je me mis à lire à tous les jours, toutes les nuits. Les livres étaient les seuls amis, les seuls amours que j’eus connus de ma vie, et je les consommais illégalement. Ma cousine était ma complice et elle faisait la contrebande de ces trésors juste pour moi. Elle était mon pusher, j’étais l’intoxiqué qui achetait.
À force de côtoyer un monde irréel rempli d’illusions, je me désillusionnai à propos du mien. Les livres m’offraient une réjouissance, qui s’éteignait aussitôt que je refermais leurs pages. La réalité me rattrapait vite et ça me donnait un coup de masse dans le cœur. J’avais quinze ans, bientôt seize. Et tout ce que je connaissais de la vie, c’étaient les livres, mes parents, et la folie…
Quelques mois plus tard, on entendait à la radio une nouvelle chanson de Beau dommage. Ça s’appelait «Ginette». Quand ma mère a entendu ça, elle était tellement contente !«Ginette, Ginette, Ginette. Avec tes seins pis tes souliers à talon haut. T’as mis d’la brume dans mes lunettes, t’as fait de moué un animal Ginette. Fais moué sauter dans ton cerceau !» On lui faisait joliment la cour pour la première fois de sa vie et c’était la radio l’homme de la situation.
– Ginette ! Ferme moué donc ça c’te criss de radio là pis viens ici tu suite ça presse!
– Calme-toué Richard là, je peux tu juste avoir mon plaisir deux minutes ! Une chanson avec mon nom, t’imagines-tu ? Beau Dommage qui pense à moué !
– On sait ben, t’as encore été faire ta pute pis t’a couché avec le chanteur c’est ça !
– Ah ben mon tabarnac toué par exemple ! Attends quand j’vas arriver dans’chambre, tu créeras pas ça mon hostie !
– R’garde c’que ton gars a faite !
J’étais dans la chambre de mes parents. Dans la garde-robe. Ça sentait la madame, le cigare, et la mort. J’avais le bout des orteils qui chatouillaient le tapis. J’étais peut-être fou, mais je savais faire des nœuds.
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Merci pour vos beaux commentaires ! :) Désolé du retard, il m’est passé par la tête de revenir voir Shawimag et je viens de lire ! Merci encore. :)
J’adore vraiment la structure de la nouvelle, je trouve également que le « punch» de la fin est vraiment bon… on ne s’en doute pas.
Cette histoire m’a carrément jetée en bas de ma chaise. Elle m’a bouleversée, touchée… Je me suis noyée dans ces écrits, sans chance de retrouver l’air qui me faisait vivre. Le sujet étant déjà difficile à parler (le suicide, la maltraitance juvénile), elle le manie à la perfection et trouve toujours la phrase qui fera avancer la suite, pour finir par une fin tragique pour le petit garçon qui, depuis le début, s’est montré très attachant pour nous. L’histoire en somme est parfaitement bien rédigée et le choix de langue des personnages nous fait d’autant plus voir leur personnalité, leurs problèmes, leur éducation… J’ai adoré du tout au tout cette histoire!
Ce récit a une bonne ambiance, triste et un peu macabre, et la manière dont il est raconté nous donne envie de continuer à lire. On embarque bien dans le contexte dès le début, le Québécois aidant plutôt à se faire une idée de l’environnement où le jeune garçon se trouve. J’adore comment la fin est racontée! Bravo!