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29 mars 2020
Il est 17h23 et j’ai enfin décidé d’entamer l’écriture de mon journal officiel de confinement. Je n’ai pas l’habitude de raconter mon quotidien et de partager mes états d’âme en accordant du pouvoir aux mots. Comme tout mon entourage le sait, je suis une jeune femme qui a plutôt tendance à avoir recours à la parole pour s’exprimer. Cependant, depuis un certain temps, je ressens le besoin d’écrire et je suis absolument incapable d’expliquer cette soudaine tentation.
Depuis vendredi le 13 mars 2020 (certaines personnes superstitieuses diront que c’est en raison de la malédiction rattachée à ce jour malchanceux), le gouvernement provincial, dirigé par François Legault, a annoncé la fermeture complète des écoles pour deux semaines. Bien évidemment, au moment où nous avons appris que nous allions être isolés de la société durant 14 jours, nous n’avions pas réalisé à quel point la pandémie du COVID-19 (sachez que je déteste au plus haut point prononcer le nom de ce virus) ne cessait de prendre de l’ampleur à une vitesse fulgurante.
Je me rappelle avoir été fâchée par l’injustice de cette situation. Je comprenais bien sûr l’urgence de se réfugier au sein de notre nid familial puisqu’il fallait protéger notre communauté et ainsi éviter de propager cette bactérie qui rôdait à travers la planète, mais j’étais malheureusement incapable de ne pas penser à tous mes projets qui venaient d’être démolis en un claquement de doigt. Je réalisais petit à petit que plus jamais j’aurai l’occasion de partager la scène avec mon équipe d’improvisation collégiale lors d’une partie présentée devant le public et que les moments que j’aurais partagés avec chacun des membres de mon groupe au cours de nos tournois n’existeront jamais. (Présentement, alors que je raconte la triste réalité à laquelle la population mondiale fait face, je serais supposée de participer au tournoi d’improvisation à Salaberry-de-Valleyfield qui devait avoir lieu cette fin de semaine-ci.) Je réalisais aussi que le voyage à Londres que j’avais planifié avec ma belle-famille était tombé à l’eau. J’avais peur que ma toute dernière session au Cégep de Shawinigan soit annulée et que je sois obligée de la recommencer dans un an. J’avais peur de ne pas pouvoir débuter l’université à l’automne. Bref, le coronavirus, cet ennemi invisible contre lequel le monde combat, a engendré de nombreux questionnements chez moi et a semé une peur et une tristesse qui n’avaient guère l’habitude de me hanter avant cette journée angoissante.
Dès la première semaine de ce confinement, malgré les 14 jours qui s’annonçaient longs, pénibles et ennuyants, j’ai décidé de prendre soin de moi et de me concentrer sur le seul et unique objectif donné à chacun des Québécois : rester à la maison. Même si je savais que je trouverais cela difficile de ne plus fréquenter l’école, j’étais confiante que j’allais pouvoir surmonter ce défi. Après quelques jours, je percevais cet isolement obligatoire comme une deuxième semaine de relâche. Puisque je ne travaillais plus en raison de la fermeture des centres d’achat, c’était une autre occasion de reprendre des forces en bénéficiant des nombreuses heures de sommeil qui s’offraient à moi. Je pouvais profiter de la situation pour occuper mes journées avec ma famille que je n’avais pas la chance de côtoyer aussi longtemps auparavant en raison de nos obligations du quotidien. Je profitais aussi de ces moments de repos pour passer du temps de qualité avec mon amoureux ainsi que sa famille. Malgré le fait que mon copain et moi n’étions pas encadrés par la routine établie par nos horaires d’école et de travail, nous avons tout de même adopté un mode de vie qui nous plaisait énormément. Partager mon café du matin avec lui était devenu une habitude que je chérissais. Mon cœur débordait de joie à chaque instant où j’étais à ses côtés, car je savais que cet homme était mon chez-moi.
Mon réel confinement a débuté le samedi 21 mars 2020, alors que je visionnais le point de presse quotidien du premier ministre avec ma belle-mère qui, l’écoutant de loin, prenait la peine de faire le ménage de la maison sans tourner les coins ronds. Mon copain Xavier, de son côté, travaillait. M’installer devant mon téléviseur à 13h à chaque jour est, selon moi, une façon d’accomplir mon devoir de citoyenne. Au cours de cette période plus difficile, être consciente des enjeux qui entourent notre province me permet de comprendre la gravité de la situation créée par ce virus mortel et de réaliser à quel point il est important de suivre les directives du premier ministre et de monsieur Horacio Arruda, directeur national de la santé publique, au pied de la lettre si je souhaite revoir la lumière du haut. Au moment où j’étais absolument divertie par les paroles crues du médecin spécialiste en santé communautaire, j’ai reçu un message de ma mère qui déclarait précisément : « Je m’excuse Léa, mais tu ne pourras plus te promener d’une maison à une autre. » Dans l’incompréhension totale et choquée par chacun des mots que je venais tout juste de lire, la mère de mon amoureux s’est précipitée à mes côtés comme si tout avait déjà été calculé :
« Écoute ma belle…je crois qu’il faut envisager la pire des situations maintenant, dit-elle avec une déception qui se faisait nettement entendre dans sa voix.
– C’est curieux que tu m’en parles parce que j’ai l’impression que ma mère vient d’avoir exactement la même vision que toi, dis-je intriguée par l’éclair de génie qui venait tout juste de traverser leur esprit. »
En même temps, ma mère et celle de mon copain avaient compris que nous devions resserrer les mesures de sécurité. Malgré les circonstances plus que déchirantes, je savais que je devais me montrer forte pour minimiser les risques de propagation du virus. Au nom de cette cause qui unit les Québécois dans une bataille dévastatrice, je devais sacrifier toutes les occasions qui me permettaient de côtoyer mon amoureux ainsi que sa famille.
Ma belle-mère est venue s’asseoir près de moi, ne sachant pas trop quoi me dire pour tenter d’apaiser cette peine immense que je tentais de refouler. Les yeux se remplissant tranquillement d’eau, elle a finalement réussi à briser le silence qui, petit à petit, avait pris sa place au sein de son salon chaleureux :
« Ça me brise autant le cœur que toi…Ça me fait tellement de la peine de savoir que Xavier et toi ne vous verrez plus pour une durée indéterminée.
– Moi aussi, mais ne t’inquiète pas, je comprends très bien le problème. C’est absolument illogique que je voyage d’une demeure à une autre alors que Sébastien, Xavier, mon frère et mon beau-père travaillent dans des endroits à risques, dis-je en retenant les larmes qui cherchaient à se tailler un chemin sur mes joues. »
Chantal et moi tentions de demeurer positives. Nous étions totalement conscientes que la situation était pour le bien-être de nous tous. Elle souhaitait que notre dernière soirée ensemble soit agréable en dépit des événements malheureux qui attendaient mon copain et moi dans les prochaines semaines, voire les prochains mois :
« Qu’est-ce que tu dirais de te joindre à nous pour le souper? Tu pourrais même dormir ici pour une dernière fois avant de vous revoir si tu en as envie. Je crois que ça rassurerait beaucoup Xav que tu sois présente. »
Ouch. Le mot « dernière » sonnait définitivement mal à mes oreilles. Je devais me rendre à l’évidence qu’il ne me restait que quelques heures avec l’homme que j’aime avant la fin de cette horrible crise sanitaire. Comment va-t-il réagir lorsqu’il apprendra que nous serons séparés l’un de l’autre pour une période indéfinie?
J’ai accompagné ma belle-mère et ma belle-sœur lors de leur marche d’après-midi. J’avais besoin de me changer les idées et d’admirer la nature qui renaissait paisiblement. J’espérais que le vent, aussi doux soit-il, apporte avec lui tous les tracas qui me préoccupaient. Malgré les nuages qui ont réussi à couvrir la lumière de mon bonheur, j’étais enchantée de voir la neige fondre sous la chaleur du soleil.
De retour à la maison, une douche était de mise. Je ressentais l’envie d’être seule avec mes pensées et de digérer la nouvelle que je venais d’apprendre il y avait à peine une heure. C’était l’occasion idéale pour évacuer la tristesse qui avait pris possession de mon âme et ainsi pleurer un océan de larmes. Alors que je profitais pleinement de cet instant de solitude, mon amoureux est revenu du travail. Heureusement, faute de présence, je n’ai pas obtenu la douloureuse responsabilité de lui annoncer que nous n’aurions plus la possibilité de nous voir avant la conclusion de la pandémie déclenchée. Tout en enfilant mes vêtements, j’essayais d’écouter ma belle-mère qui expliquait à son fils la nouvelle réalité à laquelle nous faisions face. Je réfléchissais à la manière dont j’allais le saluer en sortant de la salle de bain. J’étais nerveuse. Je voulais à tout prix être forte devant lui et lui montrer que j’étais confiante que nous allions passer à travers le défi de taille qui se présentait devant nous. Lorsque j’ai enfin eu le courage d’aller voir Xavier, j’ai été rassurée de constater qu’il semblait serein. J’ai toujours grandement admiré la force innée qu’avait mon amoureux pour affronter les obstacles qui peuvent paraître insurmontables. J’enviais grandement l’assurance qu’il dégageait et le sang-froid qu’il conservait.
Histoire de terminer la soirée en beauté, nous avons pris la décision de cuisiner ensemble le souper pour tous. Mon copain et moi formons une équipe du tonnerre (ou presque) lorsqu’il est question de concocter des repas. Nous sommes toujours d’accord avec la division des tâches à réaliser et nous opérons dans le temps de le dire. Nous avons ri. Nous avons écouté de la musique. J’ai raté la recette de riz de sa grand-mère. C’est l’intention qui compte après tout!
Le lendemain matin, le 22 mars 2020, lorsque j’ai mis les pieds à l’extérieur de la maison de Xavier, je ne réalisais pas encore totalement que je ne les remettrai pas à l’intérieur de sitôt. C’est seulement au moment où je suis arrivée chez moi que j’ai terriblement craqué. La réalité m’avait frappée en pleine figure. Mes nombreuses inquiétudes étaient revenues me tracasser. Par chance, ma mère m’attendait, les bras grands ouverts, pour m’épauler et me tendre l’oreille :
« Et s’il finissait par m’oublier, maman? Et si, après un certain temps, Xavier n’avait plus d’intérêt pour moi?
– Bien voyons donc, cocotte! Comment est-ce que c’est possible de t’oublier?
– On ne sait jamais…Peut-être que le confinement va durer des mois.
– Il faut vivre au jour le jour, Léa. Je te promets que ça va bien aller, dit-elle avec un ton très rassurant. »
5 avril 2020
Cela fait maintenant trois semaines et deux jours que nous sommes en isolement obligatoire. Trois semaines et deux jours que je n’ai pas fréquenté l’école. Trois semaines et deux jours que je n’ai pas travaillé. Trois semaines et deux jours que ma vie est complètement sur pause. Étant une femme très organisée qui s’implique dans mille et une activités, le temps d’arrêt forcé a été plutôt déstabilisant au fil des jours.
Comme j’expliquais au début de mon journal, la première semaine de confinement s’est déroulée à merveille. Les sept premières journées ont été un réel divertissement pour ma tête qui se questionnait sans cesse sur le futur déroulement (bien évidemment, s’il y en avait un) de ma toute dernière session collégiale. Cependant, à la deuxième semaine, soit à partir du moment où je suis retournée chez moi et que les seuls voyages permis par le gouvernement provincial étaient entre les différentes pièces de notre demeure, j’avais besoin d’une structure qui me permettrait de passer à travers mes journées. En dépit du fait que je n’avais plus d’occupations qui m’obligeaient à sortir de mon lit le matin, je ressentais tout de même la nécessité d’être utile et productive. Avec les écoles et les services non essentiels qui étaient dorénavant fermés jusqu’au 1er mai au moins, je devais me redéfinir de nouveaux objectifs à atteindre.
Puisque le temps se présentait devant moi, j’ai décidé d’aider ma chère mère avec les diverses tâches de la maison. Je lui donnais un coup de main en passant l’aspirateur, en lavant la lessive, en nettoyant la vaisselle, en amusant ma petite sœur et en concoctant le souper. Être absorbée par des corvées me donnait l’opportunité d’oublier la peine que je ressentais face à l’absence de mon amoureux et de mes ami(e)s qui me manquaient terriblement. Néanmoins, les instants que je partageais avec ma famille m’ont fait réaliser à quel point chacun des membres était important pour moi.
Un soir, pour la première fois depuis que nous avions pris nos distances, mon copain et moi avons décidé de communiquer par l’entremise de la caméra de nos téléphones intelligents. Avant le début de la conversation, j’étais très enthousiaste à l’idée de discuter avec Xavier et de voir son visage apparaître sur l’écran de mon appareil. Ma réaction a été tout autre la seconde où j’ai entendu sa voix et aperçu son magnifique sourire. Mon bonheur s’est aussitôt transformé en tristesse. Dialoguer avec lui me torturait plus que je ne l’aurais imaginé. Au cours de notre conversation, tout ce que je souhaitais était d’être à ses côtés. Évidemment, puisque je désirais que notre discussion soit plus que parfaite, j’ai tenté d’étouffer la peine qui grimpait en moi. J’essayais du mieux que je pouvais de prétendre que j’étais plus qu’heureuse et que tout allait bien de mon côté. Je n’ai pas pu jouer la comédie très longtemps puisque mon copain avait vu très clair dans mon jeu. Dès l’instant où il a détecté que le ton de ma voix ne reflétait en aucun cas la joie que j’essayais de transmettre, Xavier a immédiatement enfilé sa cape de super-héros pour tenter de me sortir de l’orage mélancolique qui s’abattait sur moi :
« Tu t’ennuies de moi, n’est-ce pas? »
Je ne pouvais pas lui mentir. Je devais retirer le masque du bonheur que j’avais enfilé et m’avouer vaincue par la douleur :
« Bien…oui…J’ai tellement l’impression que tout ce qu’on vit présentement est un épouvantable cauchemar. Ça me fait extrêmement mal de dire que je ne pourrai pas être présente la journée de ta fête, dis-je en éclatant en sanglots.
– Je comprends exactement comment tu te sens. Tu me manques aussi, tu sais. C’est particulier ce que je vais te dire, mais quand ton absence se fait ressentir et que je suis triste, je me souviens que j’ai la possibilité de communiquer avec toi en tout temps, tandis que ma mère, elle, n’aura plus jamais la chance de voir son amoureux ou de discuter avec lui. »
Touchée. Mon copain avait un point. Je me considérais chanceuse de savoir que malgré la distance qui nous séparait, Xavier était vivant, en pleine forme et en sécurité chez lui. Je vais le revoir. Tout redeviendra comme avant. Il suffit seulement d’y croire.
7 avril 2020
Au fur et à mesure que les jours passent, malgré le fait que je désire demeurer positive tout en étant enfermée entre les quatre murs de ma maison, mes angoisses et mes inquiétudes ne prennent pas de congé. Après combien de temps le virus va-t-il lever le drapeau blanc? Que va-t-il arriver lorsque la vie reprendra tranquillement son cours? Qu’est-ce qui attend la population mondiale? Y aura-t-il une crise économique? J’ai peur. Je déteste ne pas avoir le contrôle et ne pas être en mesure de faire quoi que ce soit pour améliorer cette situation qui emprisonne sans pitié les êtres humains. Jour après jour, tout s’écroule autour de moi et je ne peux rien faire pour maîtriser les événements qui me bouleversent. Je suis fâchée. J’ai besoin d’aller courir. J’ai besoin d’évacuer les émotions négatives qui me grugent continuellement. Adieu, les injustices! Adieu, les incompréhensions! Je cours et je vous fuis. Restez derrière moi et ne revenez plus. Laissez-moi respirer. Laissez l’espoir me gagner. Je cours et je laisse la lumière du soleil s’infiltrer en moi. J’écrase tous mes doutes. Je cours et j’aperçois de nombreux arcs-en-ciel dans les fenêtres des domiciles de mon quartier. Je souris, mais je cours pour me sauver de l’anxiété généralisée qui tente de me rattraper. J’accélère le pas de plus en plus. Je veux gagner cette course. Soudain, l’anxiété de performance me rattrape. Je la vois me dépasser avec une vitesse impressionnante. Je lâche prise et je la laisse remporter la médaille d’or. Je prends une pause. Je suis vidée, mais soulagée. Je prends le temps de marcher jusque chez moi. Je remarque les gens qui remplissent les rues et qui profitent des joies du printemps qui a récemment montré le bout de son nez. J’admire la solidarité qui unit les Québécois. Je fais confiance à la vie, mais surtout au docteur Horacio Arruda.
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