Jusqu’à ce que la mort vous sépare… une nouvelle d’Evelyne Godin

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Emma avait toujours vécu chez sa tante, la sœur de sa mère, et son mari et avait porté le nom de famille de celui-ci. Ils l’avaient élevée comme leur propre fille et avaient gardé secrète la vérité sur ses parents. Dès sa plus tendre enfance, ils lui avaient appris la patience et avaient découvert son insatiable curiosité. Elle courait partout et touchait à tout sans arrêt, sans se décourager. Et elle avait toujours un sourire ou un gros câlin pour les consoler lorsqu’ils étaient tristes. Chenille devenue papillon, Emme s’était épanouie sous leur regard aimant, devenant bientôt une adolescente solitaire qui avait du mal à se mêler aux autres à cause de sa trop grande timidité. Ils l’avaient aidée à essayer de passer par-dessus cette timidité maladive mais n’avaient obtenu que de maigres résultats. Par chance, sa gentillesse attirait les gens et elle parvint, ils ne surent trop comment, à se faire quelques amis.

Quand Emma eut seize ans, son oncle et sa tante décidèrent qu’il était temps pour elle d’apprendre la vérité. Ils lui révélèrent alors qu’elle n’était pas leur fille mais leur nièce. Ils lui expliquèrent que son père était mort avant sa naissance, subitement, et qu’ils ne connaissaient pas la cause du décès. Sa mère, elle, avait perdu son combat contre un cancer de l’œsophage alors qu’elle avait à peine deux ans, la laissant orpheline. La nouvelle la choqua, mais elle s’en remit lentement, cherchant à en savoir plus sur eux, sur leur vie et sur leur mort. Emma continua à les appeler «maman» et «papa» malgré tout. Même s’ils n’étaient pas ses géniteurs, ils étaient toujours des parents pour elle.

Huit ans plus tard, âgée de vingt-quatre ans, Emma était une jeune femme au teint pâle et à la longue chevelure blonde et bouclée, resplendissante de santé, relativement petite et mince. Ses yeux verts pétillants attiraient le regard de plus d’un homme. Pourtant, elle vivait toujours seule dans son appartement sur la rue Roland à Trois-Rivières Ouest. Elle avait déjà eu quelques expériences amoureuses, mais aucune n’avait été durable. La plus longue avait durée seulement un an. Elle s’était bien vite aperçu qu’elle n’était pas faite pour la vie à deux. Elle était trop indépendante et, en même temps, craignait toujours à s’en rendre malade de découvrir que son amoureux la trompait. Alors elle se contentait du célibat et soutenait ses amies lorsqu’elles étaient en peine d’amour.

Emma sortit de chez elle, au chaud dans son manteau, son bonnet, son foulard et ses gants, et s’engagea dans la rue. Quand ils la virent, les enfants de sa voisine la saluèrent et la supplièrent presque de faire une bataille de boules de neige avec eux. Elle refusa en riant, leur promettant de le faire une autre fois. Elle aimait les enfants et souhaitait plus que tout en avoir. Mais pour cela, elle devait trouver un homme avec qui elle aurait enfin une relation stable et qui veuille lui aussi des enfants. Ce ne serait pas facile. Secouant la tête, elle marcha jusqu’au boulevard Jean XXIII et attendit de pouvoir traverser en même temps qu’un homme grand, bien bâtit et aux courts cheveux noirs, bronzé malgré qu’ils soient en pleine saison froide. Quand la voie fut libre, ils traversèrent. Arrivée au milieu de la rue, Emma glissa sur une plaque de glace, perdit pied et tomba, se cognant la tête sur la chaussée.

–          Ouch…, grommela-t-elle en s’asseyant difficilement.

–          Attention! lui cria l’homme.

Emma tourna la tête, les oreilles bourdonnantes, et vit confusément qu’une voiture roulait vers elle et ne pourrait pas s’arrêter à temps pour l’éviter. Elle tenta de se redresser mais fut prise de vertige et se vit obligée de se rasseoir. Elle fixa la voiture qui se rapprochait de plus en plus, comme au ralenti. Elle vit l’expression horrifiée de l’homme, sa bouche ouverte sur un cri qu’elle n’entendait pas. Et la voiture avançait toujours vers elle. C’était terminé. Elle allait rejoindre ses parents.

L’homme se précipita vers elle au risque de tomber lui aussi et l’attira vivement vers lui juste avant que l’automobile ne la heurte. Il la releva et l’emmena à la station-service   Petro-T juste en face. L’employé, qui avait tout vu, avait déjà appelé une ambulance et lui amena un petit banc pour qu’elle puisse s’asseoir.

–          Ça va, rien de cassé? lui demanda son sauveur, ses yeux noisettes la regardant avec inquiétude.

–          Je me suis juste…un peu cogné la tête, murmura Emma en se tâtant l’arrière du crâne.

–          Combien de doigts? lui demanda-t-il encore en lui montrant pouce, index, majeur.

–          Trois.

–          Bien. Quel jour sommes-nous?

–          Le 8, euh non, le 9 janvier.

Il hocha la tête et attendit avec elle que l’ambulance arrive en pestant contre le temps qu’elle mettait pour arriver. Impatient, se dit Emma. Quand les ambulanciers arrivèrent, elle s’aperçut qu’elle avait oublié de le remercier et s’empressa de le faire, confuse de ne pas y avoir pensé. Il l’accompagna dans l’ambulance et ils arrivèrent finalement au Centre hospitalier régional de Trois-Rivières. Après vérifications, le médecin leur apprit qu’Emma n’avait qu’une légère commotion cérébrale et qu’elle devait se reposer. Gabriel, l’homme qui l’avait aidée, lui proposa d’aller chez lui mais elle protesta.

–          J’insiste, j’habite tout près du boulevard, sur la rue Carillon, juste en face de Vélo Max. Je paierai le taxi.

–          D’accord, céda-t-elle.

Ils parlèrent en chemin, s’amusant du fait qu’ils ne s’étaient jamais croisés auparavant alors qu’ils habitaient près l’un de l’autre. Ils continuèrent à se dire mille et une choses chez Gabriel et il la raccompagna tôt chez elle. Avant qu’elle n’entre, il l’invita à sortir le samedi suivant. Elle accepta et se reposa. Le samedi, ils allèrent comme convenu au restaurant. Ils se donnèrent plusieurs autres rendez-vous et apprirent à se connaître. Gabriel était également orphelin, ce qui les rapprocha. Sa franchise, sa loyauté et son courage plaisaient à Emma, même son entêtement ne parvenait pas à la fâcher outre mesure.

Emme et Gabriel se rapprochèrent de plus en plus et se considérèrent en couple après deux mois. Puis Emma alla habiter avec lui dans sa maison. Après deux ans de cohabitation, Gabriel la surprit alors qu’elle revenait du travail. À peine avait-elle enlevé son manteau et ses bottes qu’il la rejoignait et, lui passant la bague au doigt, lui demandait :

–          Emma, veux-tu m’épouser?

–          Oh! Oui, bien sûr que oui! répondit-elle en se jetant à son cou.

Ils allèrent chez l’oncle et la tante d’Emma qui vivaient sur la route des Vétérans à  Notre-Dame du Mont-Carmel. L’oncle et la tante de Gabriel, qui étaient comme ses parents, vinrent avec eux. Tout heureux, les deux amoureux leur annoncèrent leurs fiançailles. Les quatre autres se regardèrent avec un mélange de surprise, de chagrin et de culpabilité.

–          Qu’y a-t-il? demanda Emma, déçue de leur réaction. Pourquoi faire cette tête?

–          Ma pauvre chérie! lui répondit sa tante. Tu ne peux pas te marier avec lui…

–          Pourquoi? Parce que je ne suis pas assez bien pour elle? s’offusqua Gabriel.

–          Non, lui répondit son oncle, parce que vous êtes frère et sœur!

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