L’autoédition : rêve d’auteur ou cauchemar littéraire? par Karianne Bordeleau

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Il était un temps où se faire publier était quasi impossible et seulement les plus talentueux, ceux avec les bonnes connections ou les chanceux, parvenaient  à voir un jour le fruit de leur labeur littéraire aboutir sur les étagères d’une librairie. Par contre de nos jours, grâce à la technologique, il est beaucoup plus facile, et ce pour n’importe qui, de partager les écrits avec un public plus divers que ses amis proches et sa famille. Une technique à laquelle les auteurs ont de plus en plus recours est l’autoédition. Au lieu de passer par le cauchemar interminable de l’envoi de son manuscrit à une tonne de maisons d’édition, des rejets à répétition, des mois consacrés à modifier un récit pour rentrer dans les standards et passer à la censure, l’écrivain n’a qu’à envoyer son manuscrit à une imprimerie, se procurer un ISBN et vendre son produit lui-même.

Vu le succès montant de cette technique, j’ai cru bon d’explorer les différents côtés, autant bons que mauvais de ce phénomène qui devient de plus en plus populaire.

En tout premier lieu, il est important d’expliquer en quoi l’autoédition consiste. Comme mentionné plus haut, grâce à ce nouveau mode de publication, une personne, n’importe qui, n’a plus besoin de passer par les effrayantes étapes de la publication standard. Elle n’a qu’à se rendre à une imprimerie et se faire faire des copies. Certains sites internet, comme Lulu[1], se spécialisent dans ce domaine. Là, l’auteur envoie sont manuscrit, décide s’il veut vendre son livre strictement sur ce même site ou sur d’autres plus populaires comme Amazon (il y a des frais exigés si l’auteur décide de s’élargir en dehors de Lulu), et les lecteurs n’ont qu’à payer et le site imprimera la copie demandée et l’auteur reçoit tous les bénéfices, moins les frais d’imprimerie. La grande majorité de ceux qui autoéditent, vendent leurs livres en version eBook pour laquelle il n’y a pas de frais d’imprimerie. Le site internet Smashword[2] se spécialise dans ce domaine et la dernière fois que je l’ai visité, il avait aidé à publier en tout 2 094 004 385 mots. Ça fait beaucoup de livres!

Après de nombreuses recherches, il m’est apparu évident qu’un des bons côtés de l’autoédition est le fait que certaines histoires, d’excellentes histoires – que les maisons d’éditions refusent de publier, soit parce qu’elles ne rentrent pas dans leurs canons, ou pour une question de censure ou de style avant-gardiste – ont une chance d’être lues par un plus grand public et d’être vues sur les étagères d’une librairie. Un exemple de ce phénomène serait le livre Anomaly de Thea Atkinson qui a comme personnage principal une femme prise dans le corps d’un homme, un transsexuel. Dans une critique de son livre[3], on mentionne que c’est pour des livres du genre que l’autoédition est si importante, car quelle maison d’édition voudrait publier ce livre? Qui serait le public cible? Dans quel genre serait-il classé? Ce n’est pas que le livre n’est pas bon, il reçoit même d’excellentes critiques, c’est seulement que le genre n’entre pas dans ceux prisés par la communauté littéraire.

Un autre trait désirable de l’autoédition est l’accessibilité. Plus besoin de magasiner les maisons d’éditions appropriées, d’attendre des mois pour leurs réponses et de souffrir de leurs rejets. Si une personne désire être publiée et a du matériel qui vaut la peine de l’être, elle peut le faire. Pour certains, le processus de publication normal est une barrière, car ils craignent de se faire dire non. Grâce à l’autoédition ils n’ont pas besoin d’entendre ce mot.

Un autre attrait est le fait que l’auteur a un contrôle absolu sur son produit. À part le prix pour faire imprimer son livre, c’est lui qui décide le profit qu’il fera sur chaque livre et les revenus lui reviennent automatiquement. Si on prend en compte le fait que le monde du eBook devient de plus en plus populaire et qu’ imprimer un livre n’est donc plus nécessaire, on peut encore plus voir les bienfaits monétaires que l’autoédition entraîne. Par contre, penser ainsi pourrait revenir à seulement considérer l’écriture, la littérature, comme un moyen d’avoir un revenu et non comme un enrichissement culturel pour la communauté. C’est peut-être un peu enfantin de ma part de croire ainsi, mais la littérature ne devrait pas être un produit qu’on vend comme de la nourriture dans un super marché.

De plus, ce contrôle absolu n’est pas nécessairement toujours une bonne chose. En étant la personne en charge, l’auteur décide lui-même quand son œuvre est prête à être publiée. Sans personne pour éditer son travail, l’auteur peut publier un livre rempli de fautes d’orthographe et c’est un des problèmes majeurs de l’autoédition présentement. Un site expressément pour les gens qui s’éditent, mentionne qu’un grand nombre d’auteurs ont exactement ruiné leurs chances à une plus grande reconnaissance parce qu’ils étaient trop lâches pour faire un travail décent dans la correction.[4]

Mais, bien sûr, toutes les personnes qui s’autoéditent ne passent pas nécessairement à coté de la correction. Ils publient donc du matériel qui peut être considéré de qualité, et se voient donc comme des auteurs à part entière.

Mais est-ce que utiliser cette technique pour publier son livre donne le droit à une personne de se considérer auteur? La reconnaissance du statut d’auteur par la communauté littéraire n’est-elle pas une condition nécessaire? Il est de mon avis que oui. Se proclamer auteur n’est pas assez, sinon n’importe qui peut le devenir et cela enlève de la crédibilité à la littérature.

Oui, en se publiant soit même, on doit le dire, n’importe quel énergumène peut se faire écrivain. Si les maisons d’éditions pouvaient servir de filtre avant, maintenant, n’importe qui peut être un écrivain populaire et cette personne n’a aucune ressource pour lui dicter la manière de conduite requise d’un auteur respectable, ce qui peut entraîner d’étranges situations. Un bel exemple de ce phénomène est sans nul doute la dame dont les péripéties devinrent virales voilà quelques temps. Jacqueline Howett publia elle-même son eBook The Greek Seaman. BigAl, qui critique des eBooks sur son site, en fit une pour ce livre qui mentionnait les nombreuses fautes d’orthographe et de syntaxe du texte qui minaient la lecture.[5] Lorque Howett lut cette critique, elle insulta BigAl dans des commentaires et ensuite s’en prit aux autres utilisateurs qui se rangeaient du côté du critique et elle alla jusqu’à utiliser le « f-word » à plusieurs reprises. Même si on peut se dire que des gens de la sorte détruisent leur carrière eux-mêmes, je préfère penser qu’une tierce personne, un éditeur, s’assure que l’auteur que je lis est un adulte « sortable » et professionnel qui pense avant de décider de répondre à une critique.

Également, l’autoédition implique le fait que l’auteur n’est pas seulement un auteur, il est aussi en charge de la publicité, de l’édition, de tous les détails dont un écrivain normal n’est pas toujours capable de s’occuper. Laisser toutes ces tâches à une seule personne revient à faire un homme orchestre de l’écrivain qui devrait se préoccuper d’écrire.

Enfin, je ne veux pas faire de cet article une critique de la génération présente, mais il me semble que l’autoédition était la solution évidente au désir d’instantanéité. Oui, maintenant tout est instantané, messagerie texte instantanée, repas instantané, relation instantanée, énergie instantanée, et donc, naturellement, édition instantanée. L’attente n’est pas désirable et le travail méticuleux et appliqué est rangé au second rang; même les maisons d’édition sont parfois victimes de ce fléau de l’instantané avec leurs traductions vite faites remplies de fautes; les livres de la trilogie de Stephenie Meyer, Twilight, me viennent à l’esprit. Les auteurs ne veulent pas attendre l’approbation d’une maison d’édition, ils veulent voir leur livre publié tout de suite et maintenant.

Le désir d’approbation est une autre des raisons majeures qui justifie l’autopublication; je devrais plutôt dire l’incapacité à recevoir la critique, de se faire dire non. Une génération d’enfants rois qui se font dire oui à tout ne pouvaient nécessairement que transcender cette habitude dans tous les domaines de leur vie. On ne veut pas se faire dire non, on ne veut pas de critique, on ne veut pas se faire dire qu’on est incapable d’écrire ou que notre livre est mauvais, donc on préfère s’arranger soi-même.

Oui l’autoédition a des bons côtés, oui l’autoédition permet à de bons auteurs de voir leur rêve de tenir leur livre dans leurs mains se réaliser, mais l’autoédition permet également à des amateurs qui ne prennent pas leur œuvre au sérieux et qui ne désirent que de la popularité et se faire de l’argent. Et ils enlèvent de la crédibilité à leurs pairs.

Je comprends sincèrement leurs décisions et j’encourage tous les écrivains dans leur démarche pour se rapprocher de leurs rêves, mais je demande aussi du professionnalisme. Un véritable auteur sait ce qui fait de lui un véritable auteur. Il ne reste aux lecteurs qu’à apprécier les différences.


[1] Lulu, [En ligne] http://www.lulu.com/ (page consultée le 15 mai 2011)
[2] Smashword, [En ligne] http://www.smashwords.com/ (page consultée le 17 mai 2011)[3] BigAl. BigAl’s Books and Pals, [En ligne] http://booksandpals.blogspot.com/2011/03/anomaly-thea-atkinson.html (page consultée le 15 mai 2011)
[4] Self Publishing Companies, [En ligne] http://selfpublishingcompanies.org/self-publish-2/what-every-self-published-author-should-know-on-publicizing-their-books/ (page consultée le 15 mai 2011)
[5] BigAl. BigAl’s Books and Pals, [En ligne] http://booksandpals.blogspot.com/2011/03/greek-seaman-jacqueline-howett.html (page consultée le 15 mai 2011)

 

 

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2 thoughts on “L’autoédition : rêve d’auteur ou cauchemar littéraire? par Karianne Bordeleau”

  • Bonjour
    je me reconnais dans votre article.
    Mais l’autoédition a beaucoup évolué. Il existe maintenant des sites d’autoédition qui proposent la mise en page et la correction de son livre avant impression.
    Cependant mon constat est le même que le vôtre – cela demande du travail et un investissement de soi assez important.
    Heureusement il y a aussi des avantages – le fait par exemple de pouvoir faire des courts tirages pour limiter les risques et avoir un retour sur son livre.

    Je vous donne l’adresse d’un site supplémentaire avec beaucoup de conseils et d’outils en ligne.
    http://autres-talents.fr/autoedition/Conseils/imprimer-livre-impression-numerique–5,16.html

    Paul

  • Bonjour, arrivée par hasard sur votre blog je tenais à dire que j’apprécie votre conclusion. « mais l’autoédition permet également à des amateurs qui ne prennent pas leur œuvre au sérieux et qui ne désirent que de la popularité et se faire de l’argent. Et ils enlèvent de la crédibilité à leurs pairs.
    Je comprends sincèrement leurs décisions et j’encourage tous les écrivains dans leur démarche pour se rapprocher de leurs rêves, mais je demande aussi du professionnalisme. Un véritable auteur sait ce qui fait de lui un véritable auteur. Il ne reste aux lecteurs qu’à apprécier les différences. »La publication d’un ouvrage est une galère, mais au bout du compte on y gagne personnellement en crédibilité auprès des parties prenantes de la diffusion : libraires, méditathèques … qui restent pour nous, auteurs, les meilleures vitrines. Quant à savoir si les lecteurs peuvent apprécier la différence … je dirai plutôt que les ouvrages ont tous un public différent. Certains lecteurs hélas ne feront jamais la distinction, les même peut-être qui ne verront jamais les fautes d’orthographe qui restent dans les livres auto-édités ou mal corrigés…

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