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Une pièce de théâtre préféministe et énigmatique qui façonne l’apparence de la femme jusqu’à la rendre coupable de son propre désir de plaire ? C’est bien Docile, une comédie noire de Mélanie Maynard et de Jonathan Racine parut en 2017 qui offre un mystère qui nage entre l’espoir d’un rêve et la réalité d’un piège.
L’intrigue appétissante de cette œuvre se déroule au début des années 60, une époque où la femme voyait son statut social se transformer tranquillement avec l’ouverture d’esprit de la société. Elle raconte l’histoire de Jacques (Sébastien Gauthier), un photographe professionnel qui quitte son nid familial avec sa femme Ann (Louise Cardinal) pour aller s’installer à New-York dans le but de décrocher un gros contrat. En dépit du fait que sa belle-mère envahissante Rose (Monique Miller) emménage avec eux après le décès tragique de sa sœur, le couple se plaît dans un appartement luxueux et chaleureux. Lors de leur première rencontre avec Paul (Jean-François Casabonne), le président de la prestigieuse firme de beauté qui les a accueillis dans son immeuble et qui pourrait les sortir de leur misère économique, celui-ci abandonne le projet photographique prévu et choisit plutôt de faire d’Ann, une femme désirable à ses yeux, le nouveau visage de sa compagnie. Avec l’aide de Joseph (Luc Bourgeois), le directeur artistique aux mains fines et celle de Pauline (Mélanie Saint-Laurent), la domestique maladroite et serviable, la vie du couple se métamorphosera ; alors qu’Ann passe de la simple femme d’un homme prospère à un idéal de beauté, Jacques perd sa place de héros dans une aventure qui devait être la sienne et laisse le destin de sa bien-aimée dans les mains d’une mascarade.
À travers leurs expressions douces et frappantes, leurs manières définies d’interpréter leurs personnages et leurs timbres de voix uniques, les nombreux acteurs transmettent toute l’authenticité et la sensibilité de chacun d’entre eux. Bien qu’il est parfois difficile de comprendre le fil conducteur d’une discussion en raison des nombreuses comparaisons à l’actualité d’une décennie antérieure, le niveau de langue standard majoritairement utilisé dans les dialogues est accessible à tous et permet au spectateur de bien suivre le déroulement du récit théâtral qu’il a sous les yeux. Comme les acteurs font preuve de beaucoup de talent pour donner vie à leur personnage respectif et qu’ils sont orignaux et sincères dans leur manière d’être, il peut arriver que des oreilles chastes se voient offensées par les propos parfois salés et crus des expressions et des termes utilisés.
D’autre part, les nombreuses blagues sexistes évidentes qui sont présentes tout au long de la pièce peuvent facilement titiller les cordes sensibles des femmes assises dans la salle. Même si elles représentent bien l’idée du rôle de la femme aux yeux de la société à cette époque, elles sont si nombreuses qu’il peut arriver que l’auditoire s’égare dans leur redondance.
En ce qui concerne la musique, sa présence imposante et répétée dans la pièce vient agrémenter ou dramatiser les différentes scènes. Que ce soit pour rendre réaliste un soir orageux en entendant le tonnerre gronder au loin ou pour accompagner un personnage dans un moment émotif, les bruits naturels et les mélodies s’agencent bien aux différentes scènes et apportent une douce sensibilité au mystère qui flotte constamment au-dessus de l’auditoire. Malgré le fait que le choix des chansons reflétait à merveille les classiques de la sixième décennie du vingtième siècle pendant laquelle se déroule le récit, leur manque évident de modernité peut parfois créer une certaine confusion dans les jeunes esprits qui assistent au spectacle. Dans un même ordre d’idées, le fait que certaines chansons étaient en anglais pouvait aussi nuire au niveau de la compréhension du sens des paroles pour une personne qui n’est pas familière avec cette langue. Cependant, cela n’enlève en rien la valeur théâtrale de leurs significations respectives.
Quant au décor dominant, la disposition des piliers qui le soutient sur la scène pouvait obstruer le champ de vision du spectateur, ce qui s’avérait incommodant pour un esprit curieux. Certes, le décor fait un bel hommage au film noir avec son esthétique en noir et blanc, mais même si le contraste était remarquable et que les teintes pâles des visages et des corps des personnages étaient réussies, le manque considérable de couleurs vives peut venir atténuer le charisme et la fougue des différentes personnalités excentriques jouées sur la scène. Pour ce qui est des jeux de lumière, ils arrivaient à ajouter une touche de suspicion lorsqu’ils transformaient l’atmosphère dans la salle comme un nuage passe devant le soleil. L’utilisation de la projection des ombres noires sur les murs blancs apportait aussi une belle intimité à certains moments précis entre les personnages ou encore une sage tristesse à certaines émotions fortes qui amplifiaient l’étrangeté à la fois douteuse et savoureuse de l’histoire.
Entre les doux rêves d’un photographe ambitieux et de sa femme belle dans sa naïveté qui chemineront ensemble vers leur destin tragique, certains y verront le reflet de la société misogyne d’autrefois, sans aucun doute. Mais à quelque part derrière ce triste mirage, tous les esprits ouverts sauront voir comment le désir de convenir aux exigences d’un idéal de beauté peut transformer à jamais la vie d’une femme.
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