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Je suis née avec cette anomalie. Cette maladie.
Quand tu nais dans un quartier défavorisé du vieux Montréal, tu n’as pas trop le choix de te trouver quelque chose, un travail, une passion pour vivre. Tu dois te choisir une sphère dans laquelle tu es bon, tu excelles. Une sphère avec laquelle tu peux vivre, qui te paie bien. Mais mon seul talent, la seule chose que je connais et connaissais alors et que je n’ai jamais connue était le sexe et… la torture, la mort.
Dès ma naissance, je ne fus pas voulue. Mes parents, n’ayant pas l’argent nécessaire à l’avortement, décidèrent de me garder tout de même. Mon père, acceptant un peu plus tard le fait que j’existais et que j’étais là pour rester, me démontra son amour d’une façon totalement différente des autres enfants de mon âge. Ma mère, mourant de jalousie de l’amour que me portait mon père, me battait à sang par la suite.
Souvent, après ces abus que je sais maintenant reconnaître, j’allais me cacher dans ma garde-robe et m’inventais un monde beau, imaginaire, doux. Ce monde me protégeait lorsque je voyais le visage de mon père perché au-dessus de moi et que je sentais son sexe pénétrer durement, violemment mon entrejambe. Eh bien moi je n’étais plus là, j’imaginais. Je coupais ses halètements saccadés et me chantais une chanson. J’étais bien. J’étais dans mon monde, mon univers.
Cela dura quatorze années.
À la veille de mes dix-huit ans, mes parents, manquant d’argent, manquant de motivation à en trouver, me forcèrent à vendre mon corps. Déjà que j’avais dû arrêter mes études en quatrième année… Je n’avais rien, pas même l’éducation… mais j’avais ce qui valait plus que cela : des seins, des fesses, de longs cheveux et une partie intime. Bref, j’avais un corps que tous pouvaient utiliser, pourvu qu’ils paient et c’était ce qui comptait le plus.
Je ne pus jamais, depuis mon jeune âge, contrôler mon enveloppe corporelle, prendre mes propres décisions. Mes débuts dans la prostitution furent difficiles. Les hommes, ces hommes sales me touchaient, me frappaient, abusaient de moi. Je pleurais en dedans de moi. Ils se croyaient tout permis, puisque j’étais une femme soumise, obligée à donner son corps pour de misérables bouts de papier qui, à la fin, ne me revenaient pas. Aucun homme n’avait l’air de savoir ce qu’était la douceur, l’amour, la beauté de ce geste, la beauté de faire l’amour. Tous me prenaient pour un animal, pénétrant leur sexe malpropre dans mon jardin secret avec une violence brutale, brisant et déchirant parfois celui-ci. Cela me blessait, mais ils n’arrêtaient pas, continuaient plutôt, de plus belle. J’essayais de me débattre, cela saignait, cela me blessait d’une douleur inconditionnelle, non seulement physique, mais mentale, aussi. Mais ils continuaient, me pénétraient encore plus violemment, cela les excitant davantage. Ils riaient, je pleurais. Lorsqu’ils arrivaient enfin à leur fin, ils me quittaient, me laissant là sur le lit souillé, recroquevillée, et allaient retrouver leur femme et parfois leur famille, et se foutaient éperdument de moi par la suite.
Même lorsque je marchais dans la rue, j’avais toujours l’impression que les hommes, ces animaux, me reluquaient, voulaient abuser de moi. Cela arrivait à l’occasion, lorsque je revenais de travailler le soir, que quelques garçons de mon âge me disent de belles paroles, que je croyais qu’ils m’aimaient, mais qu’ils n’utilisaient les mots que pour m’utiliser moi. Non, pas moi, mon corps, mon âme. Eux aussi, me laissaient là, nue, violée, sale. Ils sont tous pareils. Les hommes sont tous les mêmes.
C’est à ce moment que je compris que la vie était laide. Que les hommes étaient laids. Que l’amour n’existait pas.
Que mon père méritait de mourir.
Un beau jour que je marchais dans la rue pour me rendre chez mon prochain client, je passai devant un magasin de couteaux bien affûtés et beaux et quelque chose en moi se produisit à ce moment. Une excitation naquit. J’entrai prudemment, lentement et regardai, m’imprégnant de ces magnifiques couleurs métalliques. Je fis le tour du magasin et m’arrêtai devant le vendeur. À la télévision placée au-dessus de celui-ci, passa rapidement un documentaire sur une bestiole qui m’intéressa, qui m’intrigua. Elle était comme moi. C’était, je crois, une mante religieuse. J’absorbai les images qui défilaient à l’écran. C’est au moment de la reproduction, lorsqu’elle arracha, déchiqueta, mangea la tête du mâle que j’imaginai parfaitement cette scène avec… Sans attendre, j’achetai le couteau le plus tranchant, au manche rouge sang, en prenant bien soin de le cacher sous mon manteau de printemps, me félicitant de la tournure qu’allait prendre ma nouvelle vie.
J’attendis patiemment dans la cuisine, observant la lame qui scintillait entre mes mains, qui attendait patiemment que cette ordure revienne d’utiliser, de dépenser mon argent dûment gagné. J’avais planifié longuement comment la scène allait se dérouler : ce monstre me servant de père allait arriver, comme à l’habitude, vers dix-sept heures trente, allait déposer son manteau, manger, et, par la suite… par la suite… me projeter sur le lit dur, baisser ou plutôt arracher brusquement mes pantalons d’un coup malgré mon refus, mes supplications et allait tirer mes sous-vêtements, baisser les siens et entrer sèchement en moi. Ce serait vers la fin, lors de ses gémissements terribles, sonores, écœurant, à ce moment précis, que je sortirais le couteau et lui trancherais la tête et… Schlack! Le sang… son sang de sale vicieux dégueulasse giclerait, emplirait la pièce de cette étonnante douce et belle couleur rougeâtre.
Après le premier jet peinturant la pièce, ce liquide chaud, épais, coulerait lentement sur mon visage, mes mains, ma poitrine dénudée… J’en aurais tellement sur mon front, mes yeux, ma bouche et mon nez, que j’aurais peine à respirer. Je rirais tant, que j’en aurais plein la bouche, mais je me sentirais délivrée, libre à nouveau… J’accrocherais ensuite sa tête dans ma penderie ou mieux, j’irai l’enterrer dans un parc pour que personne ne puisse soupçonner ce meurtre prémédité. On m’appellerait alors, la Mante religieuse…
Cinq heures trente.
Mon cœur bat la chamade. J’ai le sourire collé au cœur. Je ne dois pas démontrer mon émotion de contentement. Je vais cacher le couteau sous l’oreiller, et reviens. Je l’attends à la table de la cuisine et tout se déroule comme prévu : il enlève son manteau, l’accroche, cherche les restes dans le frigidaire, les réchauffe et mange. Ensuite, il me fait signe de le suivre dans sa chambre. Je résiste, je refuse, je supplie, je me débats. Il a l’avantage poids et l’avantage poing qui ébranle. Je titube jusqu’au matelas. Il me projette rudement sur celui-ci, trop dur pour absorber le choc avec mon crâne. Il m’arrache littéralement les pantalons de sur mon corps, ce qui créer un craquement sourd. Il les a déchirés! Il déboutonne sa chemise en me traitant de plein de mots, de noms dégradant pour faire monter le sang dans son sexe. Il enlève ses pantalons et retire tout aussi brutalement mes sous-vêtements. Il se précipite sur moi et entre d’un coup sec et rude sa verge dans mon bas-ventre. Je voudrais hurler tant ça brûle, tant je souffre. Tant cela lui fait plaisir de me voir dans ce piteux état. Mais cette douleur sera éphémère. Bientôt, je serai libre, donc j’endure.
Je me prépare mentalement à sortir mon arme meurtrière. Je trépigne d’impatience. J’ai un sourire collé aux lèvres. Mes mains se serrent sur le manche de la lame tranchante. Je ne suis pas tremblante, je sais ce que je veux : acheter ma liberté. Je ferme mes yeux et imagine une dernière fois la scène. C’est bientôt l’heure. Il commence. Ces halètements s’amplifient, ses gémissements affreux commencent. Il se cambre. Le moment est venu. Je sors mon billet pour la liberté, empoigne sa nuque et d’un coup sec, raide, comme j’en ai l’habitude, et lui tranche la gorge. Schlack! Je sens la peau se déchirer, se perforer en un bruit flasque, mouillé, et toutes ses veines, ses vaisseaux, ses cordes vocales, sa trachée se trancher sous l’emprise de la lame dorénavant souillée. Le sang gicle tels de merveilleux feux d’artifice rougeâtres. J’aime ce spectacle, je me délecte de cette vue. Jamais je n’ai vu de chose aussi belle. Je suis l’artiste de ce tableau inestimable. Les draps sont imprégnés de rouge, les rideaux derrière le lit le sont aussi, le mur aussi, ma poitrine aussi, mon visage… Il est chaud et épais. J’aime cette sensation. Je me sens en sécurité. Je ris. Je ris à ne plus pouvoir m’arrêter. Le sang emplit ma bouche et j’ai peine à ne pas m’étouffer. Je passe un revers de ma main sur mes yeux pour revoir le résultat de mon œuvre. Son corps lourd absent de tête m’écrase les jambes, et sa grosse tête est tombée sur le sol, me regarde avec frayeur. C’est étrange un corps sans tête… La pièce est rouge, dégoulinante de rouge. Je suis fière du résultat. Toujours aussi beau.
Je vais dans la douche, me lave tranquillement, chantonne. Ensuite, je m’attaque à laver la scène de meurtre. Tout va comme prévu.
Le soir, je vais enterrer le corps laid de ce qui devait être mon père. Mais je garde son crâne en signe de victoire, de liberté.
Je reviens à la maison et retrouve ma mère. Je l’avais oublié, celle-là. Elle va tout gâcher! Elle me demande où se trouve mon père. J’ai peine à lui répondre. J’ai commis un meurtre. J’ai tué. Mon père.
Je me rends compte de mon erreur.
Je m’effondre et pleure. Ma mère ne comprend pas, mais reste de marbre. Elle n’a jamais su démontrer ses émotions. Elle me regarde avec mépris, puis, regarde le sac à mes côtés et se décide à l’ouvrir. Trop tard, j’essaie de l’en empêcher, mais je n’ai pas été assez rapide. Elle crie et me regarde avec de grands yeux ronds comme des billes, la main sur la bouche, comme dans les dessins animés en pensant sûrement que jamais je n’aurais été capable de faire telle action. Elle s’apprête à appeler la police, mais je suis empreinte d’une énergie, d’une motivation nouvelle. Je me jette sur elle avant qu’elle n’arrive au téléphone. Elle essaie de me projeter, mais pour une fois, une seule fois, c’est moi qui ai le dessus, c’est moi qui décide. Elle ouvre la bouche pour s’apprêter à hurler, mais je l’en empêche. Je mets ma main sur sa bouche, elle me mord. Cela fait un mal de chien. Je me retiens de hurler et pour me venger, défouler ma douleur, je la frappe du plus violemment que je le peux. Elle est sonnée et j’en profite pour continuer de la rouer de coups. Les paumes, les poings sont alloués dans ce combat.
Au bout d’une dizaine de minutes, je suis épuisée, la sueur coulant lentement dans mon dos, ma colonne vertébrale, mon front, mes tempes. Je suis en hyperventilation. Je ris, mais d’un rire nerveux. J’ai sans doute l’air d’une folle à ce moment précis. Je prends de grandes respirations et replace mes cheveux. Mes poings sont écorchés, à vif et saignent. Cela brûle un peu, mais je sais supporter cette douleur. Je regarde la perdante de ce duel. Elle doit être morte… Il m’est impossible de voir ses traits, tant le sang macule son visage et que celui-ci est boursouflé. Pour m’assurer qu’elle ne se relèvera plus, je me relève doucement de sur ce corps inerte, va chercher le couteau du crime précédent, encore souillé du sang de mon père, en continuant de surveiller le pantin. Je me place à cheval sur celui-ci les deux mains collées sur le manche du couteau et le plante d’un coup vif en plein milieu de son cœur. Elle est officiellement morte.
***
Je me promène dans la rue, dans la rue sombre de la nuit en gardant mes remords pour moi. Il fait froid, j’ai froid. Je n’ai pas eu le temps de penser à me mettre quelque chose sur le dos. Je n’ai pensé qu’à fuir cette scène.
Je ne comprends pas pourquoi je ressens ce sentiment, car j’ai AIMÉ tuer. J’ai aimé ce sentiment de puissance, de contrôler la vie de quelqu’un, sans être contrôlée, enfin! Je pourrais recommencer n’importe quand… Maintenant, peut-être…
***
Durant les cinq années avant mon arrestation, j’ai toujours reproduit les mêmes scènes, le même scénario : c’est pourquoi l’on m’appelait la Mante religieuse. C’est pourquoi j’étais connue et reconnue. Personne ne savait qui était la femme créant tous ces meurtres horribles. Ces 56 meurtres, pour être exacte. J’ai toujours fait mon travail de façon propre, pointilleuse, parfaite. Pas d’empreintes, pas de traces, pas d’arrestation. J’étais une spécialiste des meurtres. Les autres meurtrières me vénéraient, avaient peur de moi. Je menais une double vie. Une vie de mère au foyer, avec son petit mari avocat et ses deux enfants et la vie de tueuse en série. Lors de mes temps libres, je partais, dans les débuts, environ une fois aux deux mois, me trouver un homme à tuer. Mais cela s’est rapidement amplifié : j’étais totalement, incommensurablement, sous l’emprise de qui est, pour moi, ma drogue. Tuer. Pour cela, je faisais ce dans quoi j’excellais; vendre mon corps, ou du moins, le laisser croire. Ruelle, homme intéressé, vente, hôtel, sexe, mort, c’était mon horaire. Mais chaque fois, sans faute, depuis mon premier meurtre, depuis mon père, juste après que leurs gémissements arrivent, je leur tranchais la gorge, d’un couteau à la lame acérée et chaque fois, j’aimais cela. Ces hommes ne méritaient pas de vivre. Ils étaient comme mon père : des salauds. Je gardais chaque tête précieusement cachée dans la grange abandonnée, que j’avais trouvée à ma première année en tant que tueuse officielle et qui se situait à seulement quelques kilomètres de ma maison. C’était mes trophées, cet endroit était mon sanctuaire.
C’est mon mari qui m’a vendu. Sale bande d’hommes vicieux qui ne veulent que notre mal! Il trouvait que je partais trop souvent de la maison, les derniers mois. Croyant que je le trompais, un soir que je sortais, il m’a suivi. Il m’a épié du début à la fin et a finalement appelé la police, à mon détriment. J’aurais dû le tuer, lui aussi!
- Calmez-vous Mme Auger, dit le médecin. Arrêtez de vous agiter.
Je respire. Cela fait dix ans que je suis internée. Que je n’ai pas vu mes enfants. Dix ans que je n’ai pas tué. Je tremble. C’était ma drogue. C’est ma drogue. Je me débarrassais de la vermine. Je rendais plus belle la société. Ma société. Je n’attends que la fin de cette maudite incarcération pour revenir à mes principales occupations.
- Calmez-vous, Mme Auger, répète-t-il plus sévèrement.
Oh que tu seras le premier, toi. Ferme là! Ne me parle pas sur ce ton.
- Comment vous sentez-vous? Vous êtes prête à réintégrer la société?
Ha! Plus que jamais!
- Oui, en effet. Je suis heureuse d’avoir tant progressé. Dieu m’a aidé à me sortir de cette affreuse vie. Je remercie chaque jour le seigneur.
Je déteste jouer à la petite sainte. Dieu par ici, Dieu par là… Il n’existe pas ce sal bon Dieu! Que cela finisse, bon sang!
- Oui, je le vois bien. J’en ai parlé récemment au Maître, il est d’accord avec moi. Il ne reste que quelques papiers à signer et vous pourrez être libre. Je suis fier de vous, Madame, de votre progression.
Enfin! Ce que je voulais entendre!
- Oh! Merci, mille mercis!
Être hypocrite. Sourire faux collé aux lèvres. Excitation fausse. Hâte réelle.
Il se lève, serre ma main et part. Je le suis des yeux, d’un regard de prédateur. Personne ne se doute de rien. Parfait.
***
Deux mois plus tard, elle sortait de sa cellule, de sa prison. Cela lui pris quelques jours s’habituer à sa nouvelle liberté, mais dès qu’elle le fut complètement, elle fut prête. Prête à recommencer de plus belle ses tueries sanguinaires.
Elle devait, puisque les années en cellule avaient incroyablement étayé sa beauté, trouver autre moyen pour procéder à sa passion. Donc errant dans les bars, les ruelles, elle sautait sur toutes les occasions faciles. Elle en tua, arrachant leur tête, cinq avant que la police ne la retrouve. Elle avait perdu son talent minutieux de meurtrière. La Mante religieuse était rendue à sa fin. Pourtant, la sensation de ses meurtres lui était quadruplée. Elle jouissait de ce retour au pouvoir. Mais cette descente la coupa sec de ce plaisir.
Ne voulant retourner dans ce cachot malpropre, elle se donna la mort.
Cette soirée-là, les policiers défoncèrent la porte, et virent en premier le corps de sa nouvelle victime qui immergeait le sol de sang et qui était dépourvu de crâne, comme à l’habitude. La Menthe avait encore fait un nouvel homme à mettre en terre. Un autre homme à qui ils allaient devoir en avertir la famille, les enfants. Un autre homme qui ne méritait pas de mourir…
Ils continuèrent à chercher dans les pièces et trouvèrent finalement, à l’entrée d’un couloir où quelques têtes étaient accrochées en guise de décoration, de trophée, la Menthe qui s’était donné la mort, son corps se balançant légèrement de gauche à droite, la langue sortie, la peau bleuâtre et les yeux… Ses yeux vitreux de meurtrière, les fixant comme une vieille sorcière folle fixe ses prochaines victimes avant de leur jeter un sort, avant de les tuer…
Pourtant, ce fut la fin, vraiment. La pauvre et innocente petite fille du vieux Montréal s’était, au fil des années, formée pour devenir l’une des plus grandes meurtrières de tous les temps, tuant près d’une soixantaine d’hommes au cours de sa vie, incluant son père. Elle avait grandi dans la violence, dans l’abus. Elle s’était seulement révoltée contre la seule chose à laquelle elle aspirait, mais qu’elle n’avait malheureusement jamais connue : l’amour. Jamais elle n’a su ce qu’était cette forme, ce sentiment. C’est l’absence de cette émotion qui l’a guidée dans cette démence, cette psychose. Sans amour, sans famille, nous sommes des puits sans fond. Telle est la morale de cette histoire quelque peu sanglante.
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