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Une pièce de théâtre belle dans sa controverse entre la vérité sociale de la femme, la liberté et la censure ? C’est bien Les fées ont soif, l’œuvre de Denise Boucher qui paraît en 1978 et qui sait bien vieillir à travers les années.
En dépit du fait que cet ouvrage théâtral fut au cœur d’un débat religieux lors de sa sortie, ses nombreuses représentations ont fait le tour du Québec et sa popularité ne dérougit pas. Quatre décennies s’écoulent et la putain (Bénédicte Décary), la mère de famille (Pascale Montreuil) et la Vierge Marie (Caroline Lavigne) sont encore des personnages marquants qui savent faire usage de l’art pour ébranler la société. Mise en scène par Sophie Clément, membre original de la distribution, la pièce raconte l’histoire de trois femmes : Marie, la mère déprimée, Madeleine, l’escorte affligée par le mépris et la Vierge Marie, condamnée à vivre dans sa statue, qui discutent de leur quotidien et qui dénoncent les inégalités dont sont victimes les femmes. Enfermées derrière les barreaux des stéréotypes sociaux, elles sauront, à travers l’humour sensible et la vérité crue, sortir de l’ombre des rôles imposés qui les étouffent.
À travers leurs expressions et leurs manières de jouer, les trois actrices transmettent toute la sensibilité et l’intensité que renferme la pièce. Accompagnées du violoncelle et du piano, leurs voix hurlent doucement leur désir de se libérer de leurs archétypes. Entre les discours de l’une et de l’autre, les trois femmes démontrent la force et la beauté des textes en chansons, qui viennent rapidement toucher les cœurs sensibles. Cependant, leur manque de modernité peut parfois créer de la confusion dans les jeunes esprits qui assistent au spectacle. Cela n’enlève en rien la valeur théâtrale de leurs paroles.
Quant aux jeux de lumière, qui peuvent parfois s’avérer agressants pour l’œil du spectateur, ils s’agencent avec le texte et rendent sa signification encore plus puissante et touchante. Le texte lui-même, qui s’est vu accorder quelques libertés supplémentaires au fil des années et de l’ouverture d’esprit de la société, est direct et franc ; les fées ne passent pas par quatre chemins pour se faire comprendre. Que ce soit la violence que subit Marie dans son couple, l’idéal de perfection qui colle à la peau de la Vierge ou le désespoir que ressent Madeleine quand son travail la transforme en victime, la façon de concevoir la féminité se voit par le jeu des actrices, s’entend à travers les chansons soigneusement choisies et se ressent par l’exactitude des mots et la poigne de l’ensemble de la pièce. Elle peut à la fois toucher les cordes sensibles et choquer la masculinité, ce qui lui vaut parfois le jugement sévère des critiques. Certains hommes se sont même vus offensés par la médisance portée à leur égard tout au long de la pièce. Comme les propos sont crus, même les oreilles chastes se voient encore offusquées par la censure inexistante. Or, cette liberté d’expression si difficilement gagnée à l’époque permet à l’auditoire de voir les combats des femmes contre les stéréotypes devenir réalité devant leurs yeux.
À travers les lourdes épreuves de la fille de joie, la vie difficile de la mère au foyer et le quotidien triste de la statue, certains y verront une insulte envers les fils d’Adam et la religion catholique, certes. Mais à quelque part derrière les esprits ouverts, toutes les femmes sauront s’y retrouver et tous les hommes pourront se surprendre à voir leurs égaux bouleversés devant cette expérience théâtrale hors du commun.
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Excellente critique!