La p’tite histoire heureuse d’une dépression

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Morgane Lamothe devant son installation
Morgane Lamothe devant son installation

Je pleure, pleure, pleure,

Mes pleurs telles de frémissantes petites fourmis,

Fourmillant farouchement avec fougue et frayeur,

Les fibres des folles feuilles mortes sous la pluie.

 

Mes yeux n’étant que deux grands puits sans fond,

Sans fond, traversant l’Univers et l’infini,

Me noyant de ruissellements salés maudits,

Et je parais ce qui n’est pas,

Car tous, nous enjolivons, mentons, PARAISSONS.

 

À la vue des autres, je suis autre,

Je suis quelqu’un que je ne connais pas,

Quelqu’un que je n’aime pas,

Et pourtant, je laisse mon enveloppe guider ce show,

Le show de la fille vive et heureuse,

Colorée et rieuse,

Sans que quiconque ne remarque,

Qu’à l’intérieur, cette fille est déjà morte.

 

Je suis perdue, à la croisée des chemins,

Je n’ai que deux choix, le choisi m’appartient.

 

Torture torturée,

Je suis maintenant seule et apeurée,

Personne sur qui compter,

Mes pensées se brouillent, se noircissent.

 

J’attends impatiemment le moment,

Celui où Morphée, enfin,

Viendrait mettre fin à mes tourments.

 

Jamais plus, je ne veux ressentir,

Pareille douleur, pareil soupir,

Mes larmes ont désormais cessé de couler,

Mes torrents se sont asséchés,

Ne reste qu’à suivre ma destinée,

Et partir enfin, le cœur léger.

Je dois avouer que ça a été une phase tough. Bon, je ne suis pas là à vous conter tout cela pour que vous me plaigniez, mais sachez que je vais bien… en partie. Quand même là! Soyez indulgents! Vous savez, quand vos parents se foutent de vous, vous laissent là et que, d’un bord, c’est pour la drogue, et de l’autre, pour un homme, du pot et du cash y’a de quoi virer un peu… disons… malade sur les bords… Il ne faut pas dire l’autre mot, car il est mal, il est laid.

Mais bon. Selon le reste de ma famille, cette p’tite fille-là de huit ans est tellement forte d’avoir passé au travers comme cela, comme une battante sur un ring. Non, comme une battante sur un ring ayant pété la gueule à toutes les actions noires, à toute la négativité qu’elle aurait pu encaisser. Elle s’en est superbement sortie. Elle s’en est sortie indemne!

Indemne… Ha!

Ouais, eh bien, je crois qu’ils sont dans leur p’tit monde où tout va bien, où la vie est rose et où les pit pit font cuicuicui, ces gens-là! Comment un enfant de huit ans peut-il passer au travers de tout ça, sans avoir des répercussions, sans ne PAS mal virer?

Sans ne pas se sentir mal dans sa peau?

Sans ne pas être capable de s’ouvrir aux autres?

Sans ne pas se questionner chaque jour, sans se demander : et si cela s’était passé autrement…

Je suis née en 1996, le trois décembre, à 1h52 précisément. Toute la famille et les amis étaient là; mes parents ont toujours été des gens de party, qui aimaient s’amuser dans la vie et qui étaient un peu-beaucoup-trop sociables. Bref, à ce qu’il parait, mes quatre premiers mois, je n’ai que rarement touché le sol, toujours juchée dans quelques bras inconnus. À ce qu’il parait, aussi, que l’on m’a dit,  ils m’aimaient. Mes parents. Mais ils étaient, selon certains (plusieurs), pas prêts à avoir d’enfant. Ah bon.

J’étais un peu comme le rat malchanceux de laboratoire. L’expérience a malencontreusement échoué par contre, et ledit rat a maintenant trois yeux et huit jambes.

Bref, mes parents se sont séparés, je n’avais pas plus de trois années de vécues. Mon père adorait ma mère et n’a pas bien pris la séparation, cela l’a détruit, littéralement. Je me souviens encore de la soirée, tellement cela a brassé!

Vrai dépendant affectif, mon père prend mal (encore aujourd’hui) ses ruptures.

Il a dû se retourner vers quelqu’un, et vite : sa meilleure amie. J’aimais vraiment beaucoup cette femme. Une belle grande femme forte, qui savait ce qu’elle voulait, qui savait dompter mon père telle la dompteuse de lions n’ayant pas froid aux yeux. Elle le redressait, l’encadrait un peu comme le faisait ma grand-mère envers lui. Nous passions le plus clair de notre temps à jouer à des jeux de société, à rire, à s’aimer. Je l’aimais même presque plus que ma propre mère. Malheureusement, ce cher père, n’étant absolument pas apte à se faire dire quoi faire par quiconque, s’en fut en courant. Bon, peut-être pas «en courant», mais indomptable, ils se séparèrent. Ce fut douloureux. Pour tous.

Moi y compris.

Bon. C’est ici que la débauche commence.

Femme après femme, mon père se trouvait à creuser un trou : celui de son propre malheur.

Pendant ce temps, ma mère butinait d’homme en homme, vivant d’amour et d’eau fraîche, comme on le dit. Aucune de ses relations, pourtant, n’aboutit à quelque chose.

Elle était plongée dans le travail, elle croulait sous la pression. J’étais donc de trop dans la maison. Mon respire, mon cœur qui battait était trop dérangeant pour elle. Elle voulait la paix. La crisse de paix.

Elle n’avait jamais été bien bien maternelle non plus, faut dire. Pas très patiente, aussi. Déjà très jeune, elle me lisait du Freud et me faisait lire ses revues pornographiques.

Mais quoi de plus normal?

Quoi de plus normal? Ha!

Ce qui était plus que normal, c’était ce petit pot. Ce petit pot qu’elle laissait près de son ordinateur en tout temps.

Ce petit pot plein d’herbe séchée qui sentait le putois en putréfaction.

Elle n’avait le temps de rien, elle revenait tard le soir, elle m’emmenait dans les bars, elle me faisait manger de la scrap… C’est dans ce temps-là, comme si ce n’était pas déjà assez, que j’ai commencé à m’envoler tel un ballon… tellement j’étais grosse.

Elle-même, en plus des jeunes à l’école, ne cessait de me rappeler à quel point j’étais obèse et laide. À quel point j’étais capable d’emmagasiner des pinottes dans mes bajoues… (je n’avais jamais stoqué de pinottes, c’était naturel, malheureusement)

Ma grand-mère maternelle, même, m’a dit un jour : «Morgane, t’es obèse, t’es laitte, pis si tu ne changes pas, personne ne va jamais t’aimer».

Ouch.

Ma famille, du côté paternel, me disait le contraire. Me disait que j’étais belle, m’offrait à manger. Je mangeais, je mangeais. Je mangeais mes émotions, je mangeais pour oublier ma douleur, ma honte. Je me sentais presque belle en mangeant.

Les deux clans s’affrontaient.

Tout ce que je connaissais ou croyais connaître sur la famille, sur l’amour s’était envolé. C’était quoi, ça, l’amour? Juste un mot. A-M-O-U-R. Un mythe. Quelque chose qui faisait mal.

Et la famille, alors? C’était quoi?

J’étais forte, j’étais capable d’en prendre. Je pleurais, mais devant un bon film et du chocolat, j’oubliais tout et le lendemain était un autre jour. Mon cœur était touché, mais pas crevé. Ma tête était indemne. Je comprenais ce qui se passait, sans vraiment vouloir comprendre. J’étais jeune et naïve.

Jeune et naïve…

Jusqu’à ce que mon père rencontre cette femme. Cette femme que je n’ai jamais aimée. Cette femme, qui, je savais, je sentais, le rendait légume. Le rendait différent, effrayant.

Où était mon père?

C’était la drogue. La drogue le propulsait, maintenant, le faisait vivre.

Sans s’en rendre compte, petit à petit, il agrandissait son trou, son trou noir de dépression. Ses doses n’eurent pas le choix d’augmenter pour masquer ce mal. Voir sans regarder. C’était là, c’était noir, mal il y mettait ce voile miteux. Encore et encore.

De loin, je le voyais changer. Tranquillement. Ses valeurs changèrent. Je n’étais plus rendue très importante. Je n’étais plus le centre de son univers. J’étais rendue… plus RIEN.

Il n’y avait que la drogue, et le sexe, et la drogue encore.

Et il tomba.

Il se péta sérieusement la gueule, sans un seul filet de sécurité pour amortir la chute. Deux overdoses. Un séjour en prison. Trois centres de désintox. Des Noëls à aller le visiter là-bas. Une petite fille qui ne comprend pas ce que son père fait là, dans cet endroit froid où la purée et la bouffe merdique régnaient.

Une petite fille qui ne sait plus qui est son père. Qui voit cet homme triste, gêné, dans un lieu immaculé de blanc. Qui lui dit à quel point elle est forte et grande maintenant. Qui lui caresse les cheveux en souriant, l’air absent.

Qui lui dit à quel point il est difficile de vivre ainsi, à quel point il l’aime.

Elle veut lui dire de la lâcher, qu’elle ne le connait pas. Mais elle doit le consoler. Il a l’air épuisé, vidé.

Elle ne sait pas ce qu’elle fait là. Elle veut partir. Elle n’a pas demandé à être là, elle. Elle voulait juste jouer, avoir du plaisir avec sa famille. Déballer des cadeaux et regarder le sapin illuminé.

Je devais déjà jouer le rôle de l’adulte dans ce charmant tableau. M’occuper de mon père et non le contraire.

Dans ce temps-là, j’étais chez ma mère, à Montréal, dans un appartement minuscule et crasseux sur la rue Du parc. Elle vivait son rêve d’artiste, enfin. J’avais onze ans. Presque douze.

Elle avait rencontré plusieurs personnes (pas très appropriées, mais bon, je ne pouvais pas critiquer et je n’avais pas grande influence sur elle, de toute façon) et elle était épanouie… Dans son monde à elle.

Elle fumait de plus en plus, elle sortait de plus en plus. Je restais éveillée jusqu’à son retour, car j’avais la phobie de la solitude.

Elle était très irritable. Je me souviens d’une fois que, ne voulant faire la vaisselle (mini rébellion de jeune pré pubère), elle m’expédia à mes pieds cette dite assiette qui éclata en morceaux. Les yeux écarquillés et l’air bouche bée, j’ai écouté sans mot dire ses paroles de colère.

Comme dit plus tôt, ma mère n’a jamais été une femme  bien vertueuse ou bien patiente. Les claques étaient rares, mais fortes. Je marchais les fesses serrées, de peur de la contrarier.

Mais elle avait toujours été mon héroïne.

Je l’aimais plus que tout. Je riais avec cette femme. Je l’adorais, je l’idolâtrais.

Si quelqu’un avait le malheur de parler contre elle…

Jusqu’à ce que cela, cette image, éclate en morceaux.

Je pensais que cette relation que j’entretenais avec elle était de l’amour, de l’amour mère-fille, comme tous le vivent.

Mais je n’étais qu’une colocataire. Je n’étais pas son enfant.

J’étais une inconnue. Non, une amie à ses yeux. Une adulte.

Elle me contait ses histoires, sans retenue. Elle m’a fait fumer, un soir que je lui ai demandé ce que cela pouvait bien goûter, de cette fameuse herbe. J’avais douze ans.

Elle partait sans m’avertir et revenait tard dans la nuit. Je l’attendais. J’avais peur.

Elle s’était fait un copain.

Un homme que je détestais, tant je trouvais qu’il ressemblait à Satan ou quelque image machiavélique du genre. Il avait les yeux noirs, une grosse voix. Il ne m’aimait pas, et c’était tout à fait réciproque.

Il habitait à Longueuil, donc tout de même loin de l’appartement qu’à présent, j’occupais à moi seule.

Il n’y avait rien dans le frigidaire. J’étais seule, elle, préférant rester là-bas dans cette maison sinistre avec un homme qui me donnait des frissons dans le dos.

Je dormais chez mes amis, sans donner de nouvelles (elle ne m’en demandait pas non plus). Je  trouvais des façons de subvenir à mes propres  besoins.

Ma famille s’inquiétait, toujours. M’appelait sans cesse, mais j’étais ailleurs. Je butinais de maison en maison, dormant chez des gens que je connaissais.

Le côté paternel s’en est mêlé.

Mes parents ont passé en cour.

À ce qu’il parait, ma mère pleurait, disait qu’elle m’aimait.

Verdict final? Aucun des deux ne pouvait avoir ma garde.

Cela fait donc six années que je n’ai vu ma mère, que j’habite chez ma tante et que je vois mon père aux deux semaines.

Six années que, en dedans, je ne sais pas où j’en suis.

Six années que je suis perdue, que je me demande ce que je fais ici, dans ce monde.

Six années que je cherche encore à comprendre comment cela a pu arriver. À me demander ce qu’il se serait produit si tout cela avait été différent. À me demander, c’est quoi l’amour, la confiance, la famille? À me demander c’est quoi, ça, une mère? Un père? Ça sert à quoi, ça, en hiver?

Tout cela pour dire que derrière chaque façade, même si celles-ci semblent épanouies, il y a une histoire, et que chaque histoire est différente et affecte chacun de manière différente. Prenez soin des gens autour de vous et arrêtez de penser que tout est plus beau, merveilleux de l’autre côté, chez le voisin. Qu’il n’y a que vous, que vous êtes seuls. Nous avons tous nos petites bêtes noires, et il faut apprendre à s’en débarrasser, à rechercher de l’aide. Chaque vie est unique et mérite d’être vécue pleinement. Amen.

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2 thoughts on “La p’tite histoire heureuse d’une dépression”

  • Je trouve le récit émouvant du début à la fin. Le récit La petite histoire heureuse d’une dépression est bien démontrée par des émotions tout au long du récit. La personne qui a écrit ce texte, nous fait vivre sa situation à travers des mots. Les thèmes sont bien démontrés quand elle cherche à mettre en évidence une nostalgie de sa vie familiale de son enfance jusqu’à aujourd’hui. C’est un texte riche stylistiquement qui apporte de belles images au texte et une cohérence. Aussi, le petit mot dans le dernier paragraphe est encourageant, et j’aime la façon dont tu exprimes tes sentiments à travers ton texte.

  • J’ai apprécié ce récit parce qu’il vient nous chercher émotionnellement et ça nous aide à rester captivé par celui-ci. Dans la façon que l’auteure exprime les détresses qu’elle a vécues. Aussi, les sentiments qu’elle a vécus nous font réaliser que les actes que nous posons finissent par avoir des impacts autour de nous.

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