Partager
Parfois, les voyages mènent les gens à se rendre sur des lieux spéciaux. Sur des lieux qui contiennent des histoires extraordinaires, des lieux où la vie a commencé, où malgré la misère, l’espoir d’un monde meilleur est né. Ces endroits, aussi démunis soient-ils, font trembler la terre des vies qui y ont posé le pied et c’est là, devant les yeux de Balaja, que le passé reprend vie, à la frontière de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan, dans des wagons de train qui servent, pour des milliers de personnes, de maison. Fils d’une jeune fille remplie de joie et de bonté, Mika (Sophie Desmarais), qui a donné sa virginité pour offrir la plus belle robe de mariée à sa sœur, l’homme civilisé sera témoin des circonstances de sa naissance. Et le spectateur, lui, sera témoin d’une pièce troublante et touchante à la fois : La robe de Gulnara, écrite par Isabelle Hubert.
De toute évidence, La robe de Gulnara, présentée au Centre des arts de Shawinigan à la salle Philippe-Filion, le 1er avril 2011, plonge le spectateur, dès son premier regard vers la scène, dans un univers misérable, mais bien mis en scène par Jean-Sébastien Ouellette. En effet, une dizaine de vieilles valises envahissent l’espace et on se rend rapidement compte que chacune d’elles contient un bout d’histoire de chaque personnage présent dans la pièce. C’est le poids de leur vie qu’ils sont tous dans l’obligation de subir et qu’ils traîneront jusqu’à leur mort. D’ailleurs, le rôle des valises est assez important puisqu’à plusieurs reprises, celles-ci servent à enrichir visuellement la mise en scène. Au début, elles s’alignent pour former un train. Ensuite, elles deviennent un précipice où Mika tente de se suicider, mais qui sera sauvée par l’esprit de son fils futur qui aligne, à chacun de ses pas dans le vide, une valise pour l’empêcher de tomber. Puis, à la fin, comme pour confirmer la finalité de la vie et des souvenirs, elles se transforment toutes en pierres tombales.
De plus, Jean-Sébastien Ouellette a su ajouter une certaine fluidité à la pièce en se servant intelligemment des costumes et du décor. Il a aussi su diriger le regard des spectateurs à des endroits précis de la scène de manière à ce que certains personnages puissent subtilement, grâce à leurs vêtements, se transformer en une autre personne. Par contre, le Théâtre I.N.K. aurait peut-être dû prévoir plus de comédiens pour jouer les rôles secondaires, car cela enlevait un peu de réalisme à la pièce qui, à certains moments, présentait des aspects très réels. Quelle surprise lorsque de l’eau s’est subitement mise à couler du robinet! Et il était dommage de voir le personnage de Mubaris (Sébastien René), un jeune garçon de neuf ans, se transformer en vieillard. Cela donnait moins de crédibilité au jeune personnage joué par un adulte. On peut toutefois concéder que cette astuce, qui a la fâcheuse tendance de rendre la pièce irréaliste, vient amplifier généreusement son côté poétique et lyrique.
Par ailleurs, le jeu des acteurs était juste et plus particulièrement celui de Sophie Desmarais dans le rôle de la petite Mika. Toutes les émotions passaient par elle. Le message se transmettait par ses paroles et ses gestes. D’ailleurs, lors du mariage de Gulnara (Annie Ranger), tous les personnages fêtent. Tout le monde rit, tout le monde chante et tout le monde danse gaiement, sauf Mika, qui a dû acheter la robe de mariée de sa sœur en vendant son corps à un vieux commerçant plutôt arnaqueur. À cet instant, un sentiment étrange a envahi le cœur des gens dans la salle. Rien ne concordait avec ce qui se passait sur la scène. La joie de la mariée et de la famille mêlée à l’anéantissement de Mika était insupportable. C’est donc un grand exploit pour la jeune actrice qui a su faire passer les émotions antagonistes de son personnage devant ceux d’une dizaine d’autres comédiens.
Finalement, Isabelle Hubert et Jean-Sébastien Ouellette ont su admirablement créer une pièce où l’aspect humain est central. La robe de Gulnara est un récit qui se passe loin de nous, mais les valeurs qui y sont partagées sont pourtant les mêmes. Pas besoin d’avoir vécu pendant des années dans un miteux wagon de train pour comprendre que La robe de Gulnara est avant tout l’espoir d’un peuple, l’espoir d’un lendemain meilleur bâti sur les vestiges d’un présent incertain.
Suivez-nousPartager