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L’histoire d’Anne Frank est bien sûr très connue. Elle a fait le tour du monde et est devenue une sorte d’emblème de toutes les victimes innocentes du mouvement nazi. Aujourd’hui, malgré cette grande popularité et la vieillesse de l’œuvre, celle-ci est toujours très pertinente, puisqu’elle dénonce et illustre la grande absurdité du racisme, malheureusement toujours présent à notre époque. Pourtant, comment est-il possible de continuer à raconter ce récit, sans copier tout ce qui a déjà été fait? L’auteur et dramaturge Eric-Emmanuel Schmitt ainsi que la metteure en scène Lorraine Pintal ont réussi à relever ce défi de taille avec la création de la pièce de théâtre Le Journal d’Anne Frank. Sous la plume de Schmitt, le récit tourne autour du père d’Anne Frank, Otto Frank, celui, grâce à qui, les écrits de sa fille ont été publiés. Il nous faire revivre les deux années dans lesquelles la famille Frank ainsi qu’une autre famille ont vécus la guerre, cachés dans l’Annexe, avant de se faire dénoncés.
C’est le 13 mars à la Salle Philippe-Fillion du Centre des arts de Shawinigan que j’ai pu assister à cette pièce de théâtre, dans une salle presque complète. La pièce débute en 1945, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Nous sommes alors dans une gare d’Amsterdam, où le père d’Anne Frank (Paul Doucet), allait à tous les jours en espérant voir ses deux filles descendre du train et se précipiter dans ses bras. Or, la nouvelle finit par le frapper en plein visage : Margott (Kasia Malinowska) et Anne (Mylène St-Sauveur) sont décédées du typhus dans les camps de concentration nazi. Sa femme aussi y est morte. Le seul survivant de la famille se fait alors remettre le journal intime de sa fille Anne par sa secrétaire Miep Gies (Sophie Prégent), qui l’avait récupéré après la capture de la famille par les nazis. C’est ainsi qu’Otto revit, une page à la fois, en faisant des sauts dans le temps, les souvenirs de ses années de clandestinités, tout en apprenant à connaître davantage sa défunte fille. Nous revivons donc avec lui des moments tragiques, angoissants, remplis de tristesses, mais où l’humour prend bien souvent une place importante, avec l’espièglerie fascinante d’Anne.
Le travail de la metteure en scène Lorraine Pintal est sans contredis impressionnant. L’idée de faire côtoyer deux périodes différentes, soit celle de l’occupation nazie entre 1942 et 1944, et celle de l’après guerre, après 1945, n’était pas une tâche facile. Mais, grâce au décor fait de deux étages, le va-et-vient entre les deux périodes se fait facilement. L’étage supérieur représente les souvenirs d’Anne, donc les années où les deux familles étaient confinées dans l’Annexe, pendant la guerre, et l’étage inférieur représente l’après guerre, donc la gare où Otto attend ses filles, puis son bureau dans lequel il découvre les écrits d’Anne. Ainsi, la transition entre ces différentes périodes, qui ne se suivent pas chronologiquement, fonctionne très bien. De plus, ce qui est également très intéressant dans la mise en scène de la pièce, c’est l’utilisation de projections d’images et de vidéos. Effectivement, à plusieurs reprises, des images d’archive de la Deuxième Guerre mondiale, en noir et blanc, sont projetées à l’arrière-plan de la scène. Parfois, ces images de scènes de guerre ou de camps, par exemple, sont également projetées sur un rideau transparent au devant de la scène, ce qui apporte un effet de superposition. De plus, cela crée, en voyant les personnages derrière, une certaine représentation du sentiment de confinement et du destin tragique qui guette ces Juifs innocents. Les vidéos sont souvent très poignants, comme celui, projeté sur le rideau transparent, où l’on voit Hitler faire son salut nazi, et qu’Anne, sur la scène, semble sous l’emprise de ce dernier. Enfin, cette utilisation d’archives visuelles permet aussi de rendre davantage fluide la transition entre les époques ainsi que de rappeler le caractère documentaire et historique du récit d’Anne Frank, et ainsi, son aspect bel et bien réel, puisque, ne l’oublions pas, il s’agit d’un fait vécu.
Lorraine Pintal a également rassemblé une grande et brillante distribution formée, entre autres, de Paul Doucet, Sophie Prégent, Mylène St-Sauveur, Marie-Hélène Thibault et Marie-France Lambert. Mylène St-Sauveur, dans le rôle d’Anne Frank, est particulièrement remarquable. Cette dernière qu’on connaît pour ses nombreux rôles télévisuels et cinématographiques, est à sa première apparition sur scène, et on peut très bien dire que c’est une réussite. En effet, Mylène interprète Anne avec beaucoup de justesse. Elle incarne très bien toute l’innocence et la lucidité, les craintes et l’espoir, sans oublier la vitalité et le sens de l’humour de l’adolescente que l’on voit peu à peu devenir une femme. Par contre, le jeu des comédiens peut sembler parfois légèrement trop théâtral, par la qualité de langue, l’accent, l’articulation, etc, et l’on perd un peu le caractère véridique de l’histoire.
Bref, cette pièce de théâtre est à voir assurément. Même si vous faites partie de tous ces gens qui connaissent très bien le récit d’Anne Frank, c’est d’un autre œil que vous le redécouvrirez. La réaction très chaleureuse du public suite à la représentation au Centre des arts, le 13 mai, est certainement un gage de la qualité de cette pièce de théâtre qui raconte une histoire si terrible, en y apportant pourtant une certaine légèreté ainsi que de l’optimisme envers l’humanité.
Distribution : Sébastien Dodge, Paul Doucet, Benoît Drouin-Germain, Jacques Girard, Marie-France Lambert, Kasia Malinowska, Sophie Prégent, Mylène St-Sauveur, Marie-Hélène Thibault, Frédérick Bouffard, Charles-Alexandre Dubé
Concepteurs : Turbine Studio (co-conception et réalisation des projections vidéo), Erwann Bernard (éclairages et co-conception des projections vidéo), Colin Gagné (conception et effets sonores), Jorane (musique), Danièle Lévesque (scénographie), Jacques-Lee Pelletier (maquillage), Marc Sénécal (costumes), Bethzaida Thomas (assistance à la mise en scène et régie)
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