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Les relations humaines sont au cœur même de nos vies. Elles sont cette chose complexe et fascinante qui se crée d’elle-même sans qu’on comprenne comment ou pourquoi, ou, qui, au contraire, est façonnée par une volonté de la voir apparaître. Bien souvent, c’est la nature qui s’en charge, qui nous impose cette toile d’union avant même qu’on ne naisse. Les liens familiaux, les amours, les amitiés sont des exemples de relations qui unissent avec force les humains, et qui peuvent pourtant facilement se désagréger. Mais, ces liens, que signifient-ils? Sont-ils tangibles? Peuvent-ils être indestructibles? Peut-on être unis et séparés à la fois? Toute cette ambigüité, l’auteure québécoise Catherine Leroux l’explore dans son plus récent roman intitulé Le mur mitoyen. Cette œuvre littéraire paru en septembre 2013, aux éditions Alto, est le deuxième ouvrage de la trentenaire. Avec La marche en forêt, son premier roman, Catherine Leroux s’était retrouvée finaliste au Prix des libraires du Québec. La grande humanité qui retentissait de ce livre avait conquis le public et la critique. Un peu plus de deux ans après, elle nous revient en force avec Le mur mitoyen, qui a remporté le Prix France-Québec.
Cette humanité dont regorgeait La marche en forêt, est toujours bien présente dans cette œuvre-ci, mais d’une façon différente. Cette fois-ci, l’auteure nous fait voyager à travers quatre histoires, voire quatre «duos», dont l’intrigue et les personnages diffèrent totalement. Pourtant, malgré leur parallélisme, elles se rejoignent toutes d’un lien percutant. Nous sommes d’abord transportés dans le récit de Madeleine, vivant seule, à Grande-Anse, au Nouveau-Brunswick. Cette dernière, dont le mari est décédé il y a de cela neuf ans, parle constamment seule tout en attendant, sans grand espoir, le retour de son fils. Depuis ses dix-sept ans, Édouard est sur la route, quelque part au Canada ou aux États-Unis, va savoir. Dans sa fuite de quelque chose qui reste flou, il ne donne aucun signe de vie à sa mère, mis à part la visite de certains voyageurs qu’il a rencontrés et à qui il a donné l’adresse de Madeleine. Or, un jour, se retrouvant atteint d’une maladie grave nécessitant de façon urgente une greffe de poumon, Édouard se voit contraint de retourner chez sa mère afin de lui demander son aide. C’est alors que survient brusquement une révélation qui les percutera de plein fouet : il n’y a aucune parenté génétique entre Madeleine et Édouard. Nous voyageons ensuite dans l’union d’Ariel et Marie, un couple marié qui ont tous les deux été adoptés. L’un est un politicien de gauche fédéraliste, provenant d’une famille juive, l’autre, indépendantiste, vient d’une famille typiquement québécoise et gère une ONG. Une grande nouvelle concernant ce qui les unit réellement, viendra menacer leur relation, à leur tour. Par la suite, c’est en Californie que nous rencontrons Simon et Carmen, frère et sœur. Ils n’ont jamais connu leur père. Tracassés par ce mystère sans réponse qui pèse lourd sur leurs épaules, ils s’empressent d’essayer d’extirpé le secret de la bouche de leur mère malade, qui pourrait mourir à tout moment, en emportant ces réponses avec elle. Pourtant, le peu qu’ils finiront par apprendre aurait peut-être dut rester inconnu. Puis, enfin, c’est dans une histoire plus courte que vient se souder, d’une certaine façon, toutes les autres. Nous terminons tous ces voyages, en Georgie, avec Angie et Monette, deux sœurs. Un évènement tragique se produit et voilà que la conscience de la souffrance et de la mort fait surface.
Ainsi, tous ces récits font le portrait de bouleversements terribles qui surviennent sans aucun avertissement et viennent férocement mettre en péril des relations humaines. Un roman qui abrite autant d’histoires et de personnages qui ne se croisent que dans leur symbolique, peut très bien faire peur à un lecteur potentiel, en lui donnant l’impression qu’il s’y perdra sans rien n’y comprendre. Pourtant, je vous confirme que cette œuvre littéraire, pour le moins audacieuse, est malgré tout très cohésive. Il faut dire que Catherine Leroux a un talent évident pour construire une structure narrative avec habileté, ce qui permet au fil conducteur de se révéler assez aisément tout en nous percutant. Parfois, il faut lire entre les lignes et prendre un léger recul afin de mieux cerner les liens, mais nous sommes bien guidés. Par ailleurs, le genre stylistique de l’écrivaine est particulièrement intéressant, je dirais même que sa plus grande force se trouve là. Elle a une manière bien particulière de projeter des images puissantes, qui nous imprègnent, à l’aide de mots. Effectivement, elle donne beaucoup d’importance à la psychologie des personnages ainsi qu’à leur imaginaire, mais plutôt que d’y aller avec de longues explications, elle exprime cela à l’aide de ces images. Même ce qui objet, matériel, décor semble respirer, être vivant et avoir une âme. Son écriture est à la fois délicate et précise. Son aspect poétique, par exemple, est bien présent, sans apporter un trop grand flou aux récits. On peut également retrouver beaucoup de métaphores, sans que celles-ci soient trop envahissantes. De plus, la grande humanité qui ressortait de son premier roman, est toujours présente dans Le mur mitoyen où une belle sensibilité est exprimée dans chacun des personnages. Par contre, je dois avouer que certaines situations peuvent sembler beaucoup trop invraisemblables quant à l’intensité de leur drame. Pourtant, l’auteure nous assure que toutes ces histoires sont inspirées de faits réels. Reste tout de même que ces tragédies quelque peu excessives réussissent à nous intriguer et nous troubler, ce qui est positif en soi.
Bref, ce livre est certainement à ajouté à la liste de vos prochaines lectures. Il explore tout en délicatesse des récits pourtant graves et sérieux, qui vous intrigueront et vous ferons certes réfléchir sur la famille, la génétique, l’amour, les liens, le destin, l’improbable, et j’en passe. Le mur mitoyen c’est à la fois ce qui nous rapproche et nous sépare. C’est une possession partagée, un point en commun qui tranche pourtant l’union en deux. C’est un questionnement sur l’identité personnelle qui est pourtant forgée par les autres. Le mur mitoyen, au fond, c’est le magnifique paradoxe des relations humaines.
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