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Les flocons blancs tombaient du ciel par milliers, ils recouvraient le sol, un immense tapis blanc à perte de vue. Un autre Noël blanc pour les Québécois. Les maisons du petit village Saint-Antoine semblaient réchauffer et illuminer le froid de décembre en cette soirée paisible.
De la fenêtre de sa chambre, le petit Eliot, âgé de douze ans, observait sa voisine qui semblait étrangement seule en ce jour de réjouissance. Il se demandait ce qu’Anna, en cette veille de Noël, pouvait bien faire seule dans son salon, à fixer son sapin. Selon lui, personne ne devrait être seul à ce moment de l’année, mais là c’était Anna, la petite brunette aux yeux bleus qui passait son temps à parler et à coller tout le monde. Tout le monde la trouvait agaçante, ou plutôt Eliot… À vrai dire, depuis toujours, Anna ne cessait de l’embêter, à l’école elle ne cessait de lui parler de tout et de n’importe quoi, elle lui tapait l’épaule pendant les cours afin d’attirer son attention, mais elle ne faisait que l’agacer. Un jour, durant le cours de sœur Faustine, Anna, qui était assis au pupitre de derrière, s’était penchée pour encore une fois taper l’épaule d’Eliot. Aussitôt qu’elle eut touché son épaule, Eliot s’était retourné vivement en lui disant qu’il ne voulait plus qu’elle le dérange, qu’il en avait assez, mais au moment où il avait terminé de dire ce qu’il pensait, sœur Faustine lui donna un coup de règle. Après cette honte, il n’éprouva qu’un profond mépris pour Anna et celle-ci n’avait plus osé lui adresser la parole.
Cela faisait déjà un mois qu’Anna ne lui avait pas seulement souri et Eliot ne savait pourquoi, mais elle ne semblait plus la même, elle ne parlait presque plus à personne et restait dans son coin. Par contre il n’aurait jamais pensé qu’elle puisse passer le 24 décembre seule. À ce moment précis, pendant que ces parents se disputaient pour la mille et unième fois de l’autre côté de la porte de sa chambre, Eliot éprouvait une solitude immense et une peine pour Anna, il n’avait qu’une envie, aller la voir. Après tout, c’était sa faute si Anna n’était pas heureuse en ce temps des fêtes. Il se tourna vers la porte de sa chambre en songeant si vraiment il oserait laisser ses parents seuls pour aller voir la petite voisine. Sans y penser une seconde de plus, il prit son manteau, l’enfila et mit sa tuque, il sortit de sa chambre d’un pas assuré. Il passa devant ses parents qui se disputaient toujours sans se soucier de leur fils unique et posa sa main sur la poigné de la porte d’entrée; à son contact, sa confiance et sa détermination s’envolèrent d’un coup. Allait-il le regretter? Était-ce vraiment une bonne idée d’aller voir Anna? Et pourquoi se sentait-il aussi mal de ce qu’il avait fait alors que depuis le début, c’était ce qu’il voulait, c’est-à-dire la paix. Il devait réparer ce qu’il avait fait. En jetant un dernier regard vers ses parents et sans plus y penser il sortit dans le doux froid de décembre.
Les lumières qui recouvraient le sapin la faisaient presque sourire, elle qui était si triste et perdue. Comment cela pouvait-il arriver un 24 décembre? N’était-ce pas le moment de l’année où tout le monde méritait d’être heureux? Il faut croire qu’Anna ne faisait pas partie de cette majorité. Elle pensait à tous les moments heureux et les moments de bonheur qui s’envolaient. Elle ne put retenir la larme qui coula de son œil et qui fit un sillon sur sa joue. Elle fut brusquement tirée de ses pensées lorsqu’un coup fut frappé à la porte. Mais qui pouvait bien venir à onze heures du soir un 24 décembre? Peut-être sa mère qui rentrait de l’hôpital et qui avait les bras trop chargés? Évidemment cela ne pouvait être qu’elle. Elle quitta le salon péniblement et eut toutes les misères du monde à se rendre à la porte. Elle ouvrit la porte lentement et fut bouche bée en apercevant la personne qui était sous le porche. C’était Eliot son voisin qu’elle trouvait plutôt mignon et qu’elle appréciait jusqu’au fameux moment dans la classe où il l’avait ridiculisée et à la fois blessée devant tous leurs camarades de classe. Depuis ce fâcheux évènement, elle n’osait plus seulement sourire à Eliot; après tout, elle en avait assez qu’il la prenne pour acquise et qu’il la considère comme une personne à portée de main lorsque l’occasion se présentait. Elle n’avait jamais su qu’Eliot la voyait comme un pot de colle, elle croyait qu’Eliot la taquinait et qu’il faisait des blagues, elle aimait le petit Eliot, elle le regardait à travers la fenêtre de sa chambre tous les soirs et elle aimait cet Eliot-là. Celui qui semblait passionné par les étoiles (celles qu’il observait tous les soirs à travers son télescope), qui aimait lire des bandes-dessinées de super-héros et qui dansait sur la musique populaire. Prise d’un excès de colère, Anna lui ferma la porte au nez et courut au salon en laissant les larmes couler lentement le long de ses joues. Elle était seule, aucun cadeau ne reposait en dessous du sapin et Eliot ne l’avait jamais seulement appréciée. Accroupie sur le divan, la tête cachée entre les bras, Anna ne cessait de pleurer. Elle n’aurait su dire le temps qu’elle avait passé à pleurer dans cette position, mais elle resta ainsi jusqu’à ce que les larmes se soient arrêtées de couler. Elle leva lentement la tête et elle fut surprise de voir Eliot face à elle qui la regardait avec tristesse. Ils se regardaient les yeux dans les yeux, ils communiquaient comme jamais auparavant, à travers leurs regards et leurs sentiments. Puis sans un mot, Eliot s’assit à côté d’Anna et il se souvint pourquoi Anna était seule, elle lui avait dit une fois en classe quand elle l’avait dérangé. Son père était tombé malade et ni sa mère et ni elle ne savaient s’il s’en sortirait. Eliot s’en voulut terriblement d’avoir pu traiter Anna de cette manière, il ne voulait pas la laisser seule, pas en cette soirée. Il décida à ce moment, puisque tous deux étaient malheureux, de rester avec elle et de lui donner un petit cadeau pour ce Noël 1970, il se pencha vers elle et posa ses lèvres sur la jolie joue d’Anna.
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