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Au théâtre, le quatrième mur représente une barrière imaginaire placée sur le devant de la scène qui permet de séparer les spectateurs des acteurs. En effet, lors d’un spectacle, le public est, selon la procédure habituelle, un simple témoin qui ne fait qu’observer les actions qui se succèdent devant lui, ce qui signifie qu’il ne peut en aucun cas intervenir pour changer le cours de l’histoire présentée. Les acteurs, de leur côté, tentent de livrer leur performance en prétendant que l’auditoire est inexistant. Pour la première fois, cette notion théâtrale a été abordée par le critique et philosophe Denis Diderot dans son essai De la poésie dramatique paru en 1758[1]. Au XIXe siècle, avec l’arrivée du courant réaliste, celle-ci est devenue une réelle convention dans le monde artistique[2]. Cependant, les règles instaurées par cette clôture illusoire peuvent être enfreintes. Que ce soit au théâtre, dans les films, dans les séries télévisées, dans les dessins animés, dans les bandes dessinées ou même dans les jeux vidéo, il arrive que les personnages brisent le fameux quatrième mur dans le but de s’adresser directement à l’audience.
Mettre en valeur ce concept abstrait digne du théâtre
Dans une salle de spectacle, plus précisément sur scène, les acteurs qui présentent leur pièce sont déjà situés entre trois véritables murs. En effet, nous pouvons en retrouver un de chaque côté de l’espace scénique et un à l’arrière de celui-ci. Le quatrième mur est alors le dernier morceau du casse-tête qui sert à isoler les comédiens dans une pièce qui les empêche de communiquer avec le public. Afin que la séparation entre les artistes et les spectateurs soit respectée, les interprètes doivent suivre une procédure précise. Tout d’abord, ceux-ci ont la permission de discuter uniquement entre eux. Ensuite, les acteurs doivent demeurer dans leur espace de jeu. Finalement, ils ne doivent jamais regarder directement les membres de l’assistance dans les yeux.
Pourquoi voudrions-nous briser le quatrième mur?
Parfois, rompre cette barrière imaginée de toutes pièces pour aborder les spectateurs peut s’avérer désastreux dans le contexte d’un récit réaliste. Par conséquent, dans une situation où l’intensité est à son apogée et que les interprètes qui présentent l’histoire sont totalement imprégnés de leur rôle, transgresser le mur allégorique viendrait anéantir la magie du moment qui a réussi à habiter le public grâce à la crédibilité des événements racontés. En d’autres mots, cet acte nocif à la réussite de la pièce de théâtre ou du film ramène en tout point l’audience à sa banale réalité. En revanche, dans un contexte où l’histoire représentée emploie un ton plus léger et humoristique, briser le quatrième mur donne l’occasion aux spectateurs de voir les divers défis qui se présentent dans la vie des personnages sous un autre angle intéressant. Ainsi, s’adresser directement à l’audience en effectuant un aparté au théâtre ou en regardant la caméra au cinéma permet de créer un lien avec elle, de l’intégrer dans le feu de l’action ou même de partager des informations que les autres comédiens ne possèdent pas[3].
Une technique de métafiction employée dans différentes réalisations artistiques et culturelles
Nombreuses sont les œuvres autres que les pièces de théâtre à passer outre aux règlements imposés par la notion du quatrième mur. De fait, plusieurs exemples démontrent que la frontière séparant les personnages fictifs des spectateurs a fréquemment été traversée.
Au cinéma, par l’entremise de la caméra, la rupture de la façade imaginaire se produit dans le long-métrage High Fidelity, une comédie sortie en 2000 et réalisée par Stephen Frears. Ainsi, le personnage principal Rob Gordon, incarné par John Cusack, s’adresse souvent aux spectateurs afin de leur partager son histoire ainsi que ses états d’âme. De plus, dans l’œuvre cinématographique Fight Club sortie en 1999 et réalisée par David Fincher, le narrateur, joué par Edward Norton, s’adresse au public de façon régulière. Nous pouvons particulièrement le constater dans la scène où le protagoniste explique à l’audience ce que Tyler Durden, interpété par Brad Pitt, fait pour gagner sa vie. Le quatrième mur est aussi brisé dans le film de science-fiction Deadpool. Sorti en 2016 et réalisé par Tim Miller, il met en vedette l’acteur Ryan Reynolds dans le rôle du super-héros du même nom que le titre de l’œuvre. En effet, tout au long de la production cinématographique, le personnage principal effectue des commentaires sur le scénario, fait des références à la culture populaire et entame des discussions avec les spectateurs[4].
Dans les séries télévisées, le procédé de métafiction existe aussi. Par conséquent, dans la série américaine House of Cards diffusée de 2013 à 2018 sur Netflix, Frank Underwood, interprété par Kevin Spacey, s’adresse fréquemment à la caméra afin de critiquer et d’expliquer les situations auxquelles il fait face. En raison des commentaires qu’il émet et des clins d’œil qu’il effectue, il incite son public à devenir son véritable complice[5]. Aussi, dans la série jeunesse Ramdam mise en ondes de 2001 à 2008 à Télé-Québec, les jeunes acteurs s’adressent souvent aux spectateurs lors des discussions avec les autres personnages pour leur expliquer ce qu’ils ressentaient face à la problématique à laquelle ils étaient confrontés.
Dans les bandes dessinées, nous pouvons aussi constater que les personnages fictifs tentent de communiquer avec leurs lecteurs. Par exemple, dans l’œuvre visuelle Garfield créée par Jim Davis en 1978, le personnage principal, qui est un gros chat orange portant le nom de la bande dessinée, parle aux lecteurs durant les situations comiques. De plus, dans la bande dessinée Achille Talon créée par Greg en 1963, le protagoniste portant le nom du titre de son histoire est conscient qu’il est un personnage et qu’il est le héros de ses aventures.
En conclusion
Le quatrième mur est une notion que nous pouvons retrouver au sein de nombreuses créations artistiques. Afin d’apporter un ton différent à l’histoire racontée, certaines œuvres vont briser cette barrière imaginaire. Que ce soit pour créer un lien avec le public, pour partager des informations que les autres acteurs ne connaissent pas, pour intégrer l’audience dans les événements qui se déroulent devant elle, pour ajouter des précisions ou même pour commenter des situations, les raisons pour traverser la frontière qui sépare les spectateurs des acteurs sont multiples. Jusqu’à quelles limites les interprètes sont-ils prêts à traverser le quatrième mur? Jusqu’à quel point les spectateurs sont déterminés à se prêter au jeu des comédiens? Dans quel contexte un public est-il à l’aise ou non de s’introduire dans le déroulement de l’intrigue instaurée? Finalement, cette technique de métafiction est-elle vraiment appréciée de l’auditoire?
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[1] Christian BIET, Hélène KUNTZ, « THÉÂTRE OCCIDENTAL – La dramaturgie », Encyclopædia Universalis [en ligne], https://universalis-shawinigan.proxy.collecto.ca/encyclopedie/theatre-occidental-la-dramaturgie/ (Page consultée le 2 avril 2020)
[2] Louise VIGEANT, « Visages du réalisme à travers l’histoire du théâtre », Jeu no° 85 (1997), p. 56-64
[3] « Le quatrième mur », Caucus (30 juin 2016), https://www.caucus.fr/le-quatrieme-mur/ (Page consultée le 2 avril 2020)
[4] Pierre DE BAUDOUIN, « Les cinq fois où Deadpool a cassé le quatrième mur », Canal plus (20 février 2019), https://goodgame.canalplus.com/articles/cine-serie/les-cinq-fois-ou-deadpool-a-casse-le-quatrieme-mur (Page consultée le 2 avril 2020)
[5] Sarah BEAULIEU, « Underwood brise le quatrième mur », Métafictions (7 mars 2016), http://metafictions.fr/underwood-brise-le-quatrieme-mur/ (Page consultée le 2 avril 2020)
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