Madame Jones

Suivez-nousFacebookby featherSuivez-nous
PartagerFacebooktwitterpinterestlinkedintumblrby featherPartager

Ça fait sept ans que j’habite à la résidence Soleil, honnêtement, je ne me souviens même plus pourquoi j’ai décidé de venir ici! La résidence Soleil, ironiquement, ne rayonne pas beaucoup, c’est ennuyant. Les murs sont beiges. Tous les murs sont beiges et, pour tout vous dire, je n’aime pas le beige. En plus, il y trop de gens et j’aime bien être seule. Plein de vieux, plein d’infirmières et quelques visiteurs. Je n’aime pas les microbes. Et beaucoup de gens, c’est beaucoup de germes! Je les déteste, elles me font peur ces maudites petites bêtes invisibles qui se retrouvent partout. Certains disent que cette phobie est même devenue obsessionnelle, moi je dis que je fais le nécessaire pour garder mon environnement propre. Étant donné ces circonstances « germineuses », je dois mettre une serviette partout où je m’assois et je garde une collection de bouteilles de désinfectant à vaporiser dans le premier tiroir de ma commode, je possède tous les parfums de la marque! Les journées sont longues et monotones à la résidence Soleil. Les après-midi se ressemblent, même si madame Tremblay vient nous divertir une fois par semaine. Parfois je regarde la télévision, mais elle commence, elle aussi, à m’ennuyer. Les journées sont grises et les soirées sont tout aussi pénibles, heureusement que le personnel est poli et dévoué. Je passe la soie dentaire dans mon dentier à tous les soirs pour garder le meilleur sourire de la résidence, bien sûr. Je fais le ménage de ma chambre comme passe temps, j’adore quand tout est propre et ordonné. Du fait même, je connais la disposition de tout ce qu’il y a dans ma chambre, jusqu’au moindre détail, chaque chose a sa place et j’aime que cela soit ainsi. Mais aujourd’hui, quelque chose ne fonctionne pas. Quand je me suis réveillée ce matin, mes lunettes n’étaient pas au bon emplacement. Je les place pourtant toujours sur le coin gauche de ma table de chevet, place stratégique, puisque c’est le coin le plus facile à atteindre avec mon bras lorsque je suis couchée. Ce matin, elles étaient sur le côté droit de ma table de chevet, alors que mon bras ne peut pas s’y rendre. C’est étrange. Ça fait quelques fois, ces derniers temps, que je remarque que mes objets ne sont pas à leur place habituelle. J’imagine qu’il ne faut pas en faire tout en plat, mais je trouve quand même cela bizarre.

Ce midi, j’ai décidé de manger dans ma chambre, le réfectoire m’ennuie et mon rituel de désinfection est bien trop laborieux pour moi aujourd’hui, je n’en ai pas le courage. C’est Édouard qui apporte mon dîner. Je l’aime bien, c’est un gentil jeune homme, un bon infirmier et il me fait rire. Il a un air familier qui me réconforte.

-Alors madame Jones, comment allez-vous?

Je lui réponds en souriant.

-Ça va assez bien. Et vous Édouard, ça va?

-…Euh…Oui, Oui toujours Madame Jones, ça va toujours bien. Je vous dépose votre repas ici? Ça vous va? Aujourd’hui c’est du saumon, on dit que c’est excellent pour la mémoire, servi avec une purée de pommes de terre et accompagné d’haricots verts. Et pour terminer, une petite salade de fruits frais.

-Oui parfait, merci! Par contre, il faut que je vous avoue quelque chose Édouard. Je soupçonne quelqu’un d’être venu fouiller dans mes affaires, ça fait quelques fois que je les retrouve au mauvais endroit et vous connaissez pourtant ma discipline à ce sujet, je ne laisse jamais rien traîner, tout est toujours rangé à sa place.

– Prenez-vous encore votre médication Madame Jones?

– J’oublie parfois de prendre mes médicaments, mais cela n’arrive pas assez souvent pour avoir des conséquences et, d’ailleurs, je suis persuadée que cela n’a rien à voir avec ce qui m’arrive. Je connais exactement la disposition de tout le contenu de ma chambre et je vous dis, quelque chose de louche se passe ici! Croyez-moi, on touche à mes affaires, un point c’est tout, je ne suis quand même pas folle!

– Et bien … euh… Écoutez je sais que vous êtes une dame très ordonnée, mais c’est possible que vous ayez tout simplement rangé par distraction vos affaires ailleurs, non? Vous savez cela arrive régulièrement, il n’y a pas de quoi s’en faire outre mesure. Ne vous en faites pas avec ça, je suis certain que ce n’est rien. Bon appétit!

Il est gentil ce petit Édouard, mais il me connait mal, je ne déplace jamais mes objets de leur place désignée. Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours eu cette discipline de mettre les choses où elles vont et je ne vois pas pourquoi cela changerait aujourd’hui.

Je lave soigneusement mes mains et je prends mes ustensiles personnels, bien évidemment, pour manger mon diner. Tout était très bon, mais la salade de fruit ne m’a pas plu. Je place ensuite mon cabaret exactement où il doit être mis pour être ramassé, comme à chaque fois que je mange dans ma chambre.

Tiens, tiens, ma plante n’a pas bonne mine. Elle n’a pas l’air de bien aller. Elle est toute séchée. Comment est-ce possible? Je l’ai arrosée pas plus tard qu’hier et elle était parfaitement élégante et d’un vert foncé éclatant de santé. Il se passe décidemment quelque chose de pas net. Si cette vieille folle a osé verser du poison dans ma plante, je porte plainte à la direction pour qu’on l’expulse de l’établissement! Dès que je vois Édouard, je lui en parle.

Quelques temps plus tard…

Catastrophe! Non seulement mon livre est par terre, il y a des traces de doigts sur mon miroir, mais en plus, ma brosse à cheveux a disparu, quelqu’un l’a prise, c’est certain. Et cela me fâche au plus haut point. Ah! Je sais! C’est sûrement cette Agathe, cette vieille sénile qui rode tout le temps autour de ma chambre! Ça fait trois ans qu’elle est ici Agathe, toujours avec son air suspicieux à guetter les moindres mouvements des pensionnaires, toujours à la recherche de je-ne-sais-quoi. Elle me regarde avec cet air bizarre depuis notre petit incident. Elle est extrêmement rancunière pourtant ce n’était qu’une petite querelle sur…c’est quand…bien…je ne sais plus…mais ce n’était pas important! Ou, en tout cas, pas très important. Elle me joue des tours c’est certain! Je ne serais pas surprise qu’Agathe teste mes limites. Là, c’est fini. J’en ai assez, il faut que j’en parle à quelqu’un. Ah! Voilà un infirmier qui vient vers moi.

-Infirmier! Il y a quelqu’un qui entre régulièrement dans ma chambre pour déplacer et pour voler mes choses, c’est scandaleux, c’est inacceptable! Et je sais de qui il s’agit, elle s’en ai même prise à ma belle plante verte! C’est cette maudite Agathe qui fait…

-Ma…

– Laissez-moi finir monsieur! Cette Agathe…

– Mam…

– Écoutez-moi! Je vous dis que cette femme fouille dans mes affaires!

– MAMAN! MAMAN! Calme-toi, il n’y a personne qui te vole!

– … Maman? Je n’ai pas d’enfant mon jeune homme, de quoi parlez-vous? Vous avez dû vous tromper de chambre. Appelez-moi Édouard l’infirmier en sortant d’ici.

– Mais c’est moi Édouard maman, l’infirmier qui s’occupe de toi s’appelle Philippe et il me mentionne souvent, d’ailleurs, que tu l’appelles par mon nom. Personne ne joue dans tes affaires, personne ne t’a rien volé. C’est ta mémoire qui te joue des tours. Ce sont des choses qui arrivent à ton âge, mais tu ne dois pas t’en faire.

– Hein? Mais qu’est-ce que vous dites? Cela n’est pas possible! Vous me perturbez…Mais… Je… Je suis un peu confuse maintenant…

– Ne t’inquiète pas, on va bien prendre soin de toi ici. Arrête de te faire des histoires, ce n’est pas bon pour toi.

– Ah… bon… peut-être bien que vous avez raison… Mais n’oubliez pas d’appeler Édouard en sortant! Merci, jeune homme.

Suivez-nousFacebookby featherSuivez-nous
PartagerFacebooktwitterpinterestlinkedintumblrby featherPartager

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *