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Peut-on concilier le théâtre italien de 1756 avec l’humour québécois d’aujourd’hui? Si l’on ne croit pas cela possible, prenons par exemple Il Campiello, une pièce de théâtre, initialement écrite par Carlo Goldoni et revue par un metteur en scène de Shawinigan, Serge Denoncourt. Avec dix personnages, avec des accessoires et avec un décor imposant, ce Shawiniganais d’origine aura trouvé l’équilibre entre le message et l’humour pour cette commedia dell’arte.
Dans un campiello, défini au début de la pièce comme étant une petite cour intérieure dans le cœur d’un petit quartier à Venise, plusieurs familles semblent loger depuis longtemps. Ce sont tous sans exception des personnages typés comme le veut le théâtre italien de Goldoni. Trois vieilles femmes ont chacune leurs caractéristiques. L’une se bouge le derrière et sort sa langue continuellement, une autre est sourde d’oreille et met son décolleté en valeur et la dernière a un humour assez québécois. Elles sont les mères de trois enfants. Un garçon qui parle sur le bout de la langue et qui semble être un enfant (Zorzetto), une jeune femme de 18 ans (Lucietta) ayant au cœur de ses pensées sa vie sexuelle et une fille très timide et attachée à la jupe de sa mère (Agnesina). Une autre famille loge dans l’une des maisons qui entourent le campiello : un homme grincheux et sa nièce (Gasparina), qui se croient nobles et trop bien pour les autres. Ces quatre familles loufoques ont toutes des mobiles pour se détester mutuellement, mais le motif principal reste le mariage des trois jeunes filles. Les deux mères des filles sont rivales, elles veulent chacune d’elles marier leur fille avant l’autre afin qu’ensuite, elles puissent se marier à leur tour.
Les personnages masculins entrent aussi en ligne de compte. Celui qui est fiancé à Lucietta, qui est joué par François-Xavier Dufour, est un homme violent qui préfère être vu comme un célibataire pour pouvoir vendre des rubans plus facilement aux femmes. Le seul jeune garçon habitant le campiello, Zorzetto, souhaite, deux ans plus tard, marier Agnesina qui ose à peine le regarder. C’est à Venise lors du carnaval que tout cela se produit. Ce qui bouleverse leur situation est l’entrée d’un homme étranger qui se faufile dans leur vie en logeant à l’auberge située dans ce même quartier. Les femmes les plus vieilles sont prêtes à tout pour qu’il marie leur fille.
La situation des familles ne se passent pas dans un contexte de richesse. Effectivement, si Denoncourt a voulu faire rire les spectateurs d’Il Campiello, il a réussi, mais on peut se rendre compte facilement que ses intentions sont plus profondes. Lorsque l’on pense à Venise, on pense souvent aux gondoles, à la beauté du paysage. Dans ce contexte-ci, les gens sont pauvres et ils ne trouvent que la querelle, le jeu et le mariage pour arrêter de penser à leur malheur, à leurs défaites personnelles. La saleté et la vulgarité font partie de leur quotidien. La pièce ne faisait que commencer et Zorzetto (le plus jeune des hommes) urine dans leur fontaine. L’une des vieilles femmes utilise «l’eau» de cette même fontaine pour se laver, et ce, quelques instants après. Pour ce qui est du reste du décor, il est imposant par sa grandeur. En effet, des fenêtres étaient présentes au deuxième étage, où les femmes sortaient leur visage pour discuter. Les murs étaient délabrés, mais malgré que cet environnement soit malpropre, on trouve cela drôle et amusant.
Si les personnages que Denoncourt a mis en scène ne ressemblent pas à ceux du Québec actuel, ils ressemblent à ceux de la commedia dell’arte, non seulement par leur caractère hyperbolique, mais par le rappel du masque par leur maquillage et par leurs costumes extravagants, accentués quelques fois par des accessoires. Les femmes portent des robes sales et bouffantes tandis que les hommes ont des vêtements abimés et déchirés, mais qui sont tout de même de l’époque représentée. Les accessoires jouent un rôle important pour un des personnages : la nièce du vieil homme grincheux. À chaque fois qu’elle fait une apparition par sa fenêtre elle porte un chapeau différent et, à son mariage, son chapeau doit bien faire le quart de la scène en longueur. Bien sûr, l’extravagance de ces personnages apporte son lot d’humour. Il va sans dire que les répliques étaient toutes aussi bien réussies que l’aspect visuel de cette pièce de théâtre. Le mystérieux personnage ne parle pas la même langue que les quatre familles logeant à cet endroit. L’une des vieilles femmes a même dit qu’elle connaissait des mots en italien en énumérant des termes comme Osso Buco et pizza all dressed. Bien sûr, cela fait partie du répertoire des blagues que seuls des Québécois auraient trouvées comiques. En plus, la sexualité y joue un grand rôle. Une des vieilles femmes, imitant une fellation avec son balai, regarde le personnage inconnu (Il Cavaliere) afin de l’inviter à entrer chez elle. Les fiancés (Lucietta et Anzoletto) s’embrassent à pleine bouche sur scène, ce qui pousse les limites de bienséance d’autrefois. Il y a même un long baiser entre deux hommes (Zorzetto et Anzoletto) qui veulent s’excuser après l’une de leurs nombreuses querelles.
Toutefois, contre toute attente, des couples sont formés dont deux sont mariés. Lucietta et Anzoletto se marient les premiers même si, dans ce couple, l’homme bat la femme. Sa jalousie ne fera que mener son couple vers la déchéance. Puis, à la fin de la pièce, Il Cavaliere et Gasparina se marient, mais pas par amour. Les deux sont avides d’argent. En souhaitant tous deux que l’autre soit riche, ils se promettent l’un à l’autre. On peut bien se douter que l’argent les séparera un jour. Puis, Zorzetto et Agnesina sont promis à se marier deux ans plus tard. La jeune fille ne voudra probablement jamais lui donner sa main, ce qui voue leur relation à l’échec.
En conclusion, même si le thème du mariage et de la querelle sont récurrents dans cette pièce, l’humour et l’intention de Serge Denoncourt concernant l’importance du contexte des personnages demeurent cruciaux et rendent cette pièce étonnante. Le mariage entre l’humour québécois et Il Campiello de Carlo Goldoni aura très certainement été tenace jusqu’à ce que la mort de la tournée les sépare.
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