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La jeune demoiselle entra dans la salle d’interrogation avec des vêtements ensanglantés.
Astrid Laurent, 15 ans, j’habite au 1890 rue Théodore à Montréal…
- Commencez… Dis l’homme assis en face d’elle.
Ça puait, c’était dégueu, mais j’avais l’impression de ne rien ressentir., la sensation collante et tiède sur mes mains. J’entends Oskar qui pleure, mais c’est loin dans mes oreilles. La pièce tourne autour de moi, je ne vois plus rien. Je ne sens rien, je ne sais plus rien. Dit-elle en regardant ses mains et en se mordillant les lèvres.
- Pouvez-vous nous raconter depuis le début de la journée s’il vous plait ? Dis le policier en la regardant d’un air neutre et froid.
Okay…
Il faisait beau ce matin, mon cadran venait de sonner, il était déjà six heures moins le quart. Je ne suis pas quelqu’un du matin, je ne le serai jamais. Je suis entrée dans la chambre d’Oskar. On entendait les ronflements bruyants de Pierre. Pierre c’est mon beau-père, le père d’Oskar, le chum de ma mère. C’est celui qu’elle a réussi à garder le plus longtemps.
Ses relations ne durent jamais vraiment plus que trois semaines. Bon qu’est-ce que je disais, ah oui, je suis entrée dans la chambre de mon petit frère, il était endormi dans son petit lit en forme de voiture de course. On ne se ressemble pas vraiment, je suis rousse, il a les cheveux blonds, j’ai les yeux verts et lui bruns. Il n’a que 4 ans, mais il fait déjà presque ma taille, je fais 1 m 50 et lui 1 m 10. Malgré tout c’est celui que j’aime le plus au monde, il est celui qui me permet de vivre. Je l’aime vraiment… un petit sourire se laissa entrevoir au coin de ses lèvres.
Je viens dans sa chambre tous les matins, parce que c’est moi qui m’en occupe. Ma mère aime bien raconter à quel point sa vie de mère la comble et à quel point elle aime s’occuper de nous, mais ce n’est pas vrai. Elle m’a eu quand elle n’avait que 15 ans c’est-à-dire l’âge que je viens d’avoir. Elle m’en a toujours voulu, je me dis souvent qu’elle aurait dû me donner en adoption, ou même avoir avorté…
Je n’ai pas eu une enfance facile, ma mère croit que frapper c’est la meilleure façon d’éduquer. Elle encourageait même mes « Pères » à le faire. Vous avez bien compris, mes pères, j’en ai eu à peu près treize. Chaque fois qu’elle avait un nouveau chum, il venait habituellement habiter avec nous tout de suite, je devais l’appeler papa. Si je ne le faisais pas, je me faisais frapper. Je me souviens de quelques-uns qui ne me frappaient pas, ils avaient d’autres intentions avec moi. Plus malsaine, j’aurais préféré la fessée. Toute trace d’émotion avait maintenant quitté son visage, on aurait dit qu’elle lisait un livre, mais sans vraiment comprendre son contenu.
Désolée je me suis perdue. Donc, comme je disais, ce matin-là je venais d’entrer dans la chambre d’Oskar. Il dormait. Je me suis doucement penchée au-dessus de lui pour le réveiller, pour que nous puissions nous préparer à partir. Dans la cuisine, je nous ai fait des céréales, parfois j’aimerais nous préparer quelque chose de mieux, mais nous n’avons pas beaucoup de temps le matin. Je dois l’amener à son école avant de me rendre à la mienne et je suis à vélo.
Nous avons mangé nos céréales, nous nous sommes habillés et j’ai dû me battre avec Oskar pour qu’il mette ses bottes, il s’est fâché me criant qu’il voulait mettre ses souliers bleus, et que ses bottes, elles étaient rouges et pas bleues. Les cris ont réveillé Pierre qui est sorti, nu et encore saoul, de sa chambre en me lançant des bêtises, j’ai appris à l’ignorer avec le temps, mais cette journée-là, les insultes me frappaient en pleine face comme si c’était la première fois que je les entendais. Si on portait attention, on pouvait voir que derrière ses yeux vitreux se cachait de la tristesse.
Nous avons fini par partir pour l’école. Je suis arrivée en retard et j’ai raté un examen important, je me sentais de moins en moins bien, j’avais juste envie de tout quitter, de disparaître. Je ne pouvais pas le faire évidemment, je devais être là pour Oskar. La journée à l’école a été vraiment difficile, je ne suis pas une fille populaire, je n’ai pas d’amis. Quand je suis entrée dans la classe, les gens murmuraient et riaient. Ce n’est pas grand-chose, mais ça me rendait triste. J’ai toujours voulu être aimée des autres, j’essaie toujours de plaire, mais ça ne fonctionne pas vraiment.
J’ai l’impression que c’est pour ça qu’Oskar est si important pour moi, il m’aime. Malgré mes défauts, je suis la personne qu’il aime le plus au monde. Je vais le protéger et je ferai tout ce que je peux pour qu’il ne souffre pas comme moi. J’attendais d’avoir 18 ans, pour partir avec lui, loin de cette merde qui me servait de vie. Les seuls moments où un sourire se laissait entrevoir sur son visage étaient les moments où elle parlait de son frère.
Est-ce que j’ai mentionné que c’était mon anniversaire ? Je viens d’avoir 15 ans, ce n’est pas une date qui est vraiment importante, mais ça me rapprochait de plus en plus avec le moment où j’aurais pu partir. En disant ses mots, elle regarda les inspecteurs droit dans les yeux pour la première fois depuis le début de l’interrogatoire.
Je suis toujours plus émotive quand c’est ma fête. Je ne sais pas pourquoi. Elle rebaissa les yeux vers ses mains instinctivement.
Donc quand mes cours ont fini, je suis repartie à vélo pour aller chercher mon frère à son école. C’est ce que je fais tous les jours, mais aujourd’hui quelque chose n’allait pas. L’éducatrice d’Oskar m’a dit que son père était venu le chercher. Il venait seulement le chercher quand il était en Cr… Je veux dire quand il était très en colère après ma mère. Comme s’il essayait de prouver qu’il était un bon père…
Il n’est pas un bon père, il n’est qu’un moins que rien. Je me suis dépêchée à rentrer, j’avais un mauvais pressentiment. J’avais une boule dans mon ventre et j’avais envie de pleurer. Dès que j’ai franchi la porte, l’odeur du tabac de l’alcool et une autre odeur plus métallique que je n’arrivais pas à identifier m’ont attaqué le nez. Elle se frotta le nez, parce qu’elle se remémorait l’odeur infecte.
J’ai vomi. Ce n’était vraiment pas agréable comme odeur. Je me suis mis à appeler ma mère, c’est là que tout devient un peu intense… Je suis allée dans le salon, c’est là que j’ai vu ma mère, son visage était plein de sang, je suis allée la voir et elle était toute dure et froide… pis elle sentait mauvais, j’ai presque vomi encore… Je n’ai pas compris tout de suite qu’elle était morte… Il y avait des bouts de vitre autour d’elle, c’est là que j’ai vu la bouteille de vin cassée… je l’ai prise, je ne sais pas pourquoi… Elle avait dit ses mots avec les yeux rivés dans le vide, sans émotion.
Je me suis mise à crier le nom de mon frère, il m’a répondu presque tout de suite, il pleurait. Je suis allée le rejoindre, il était avec Pierre. Le chum de ma mère était avec lui, il était plein de sang. Je lui ai demandé ce qui s’était passé, il ne me répondait pas. J’ai voulu aller prendre Oskar dans mes bras parce qu’il pleurait, mais il m’a poussé et je suis tombée. Je me suis mise à crier sur lui, c’est là qu’il m’a dit que ma mère était morte. Que c’était sa faute à elle si elle était morte. Il m’a dit que maintenant tout le monde devait mourir aussi parce qu’il ne voulait pas aller en prison… Je n’allais pas le laisser faire du mal à Oskar, vous comprenez. Je ne pouvais juste pas. Des larmes se sont mises à couler sur ses joues, elle les toucha, elle-même surprise par ce relent d’émotion.
Je m’en foutais de mourir, mais je ne pouvais pas le laisser faire mal à mon frère. C’est là que je me suis souvenue que j’avais la bouteille cassée dans ma main… Je n’ai pas réfléchi, je me suis lancée sur lui et j’ai enfoncé la bouteille dans sa gorge. Je ne me souviens pas trop de ce qui s’est passé ensuite… Il faisait des bruits bizarres, après y avoir pensé un peu, il devait se noyer dans son sang… il méritait juste ça. Elle pensait ce qu’elle disait, ses larmes avaient déjà disparu.
C’est là que j’ai pris Oskar qui pleurait et que je suis sortie de la maison, la voisine nous a vus et elle a appelé la police… c’est pas mal ça… C’est moi qui ai tué mon beau père…
Les inspecteurs se regardèrent et soupirèrent. Ils remercièrent la jeune femme et quittèrent la salle sans un mot. Laissant Astrid seule, elle avait peur, peur de ne plus jamais revoir Oskar, peur qu’ils soient séparés.
Heureusement, ce n’est pas ce qui arriva, les gestes qu’Astrid avait posés étaient évidemment de la légitime défense. Elle n’aurait aucune charge contre elle. Astrid ne le savait pas, mais elle avait de la famille autre que sa mère. Sa tante, la petite sœur de sa mère, allait les prendre sous son aile. Contrairement à sa mère, sa tante avait une belle maison, un bon emploi, et elle était mariée depuis plusieurs années avec un homme gentil et compréhensif. Astrid et Oskar n’oublieront probablement jamais ce qui s’était passé cette journée-là, mais maintenant ils auront une vraie chance dans la vie. Une chance de devenir ce qu’ils ont le potentiel d’être.
FIN
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