Pourquoi la bande dessinée?

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          La bande dessinée est un art qui me passionne profondément depuis maintenant dix ans. Un art considéré par beaucoup comme « mineur », ou faisant partie de la culture trash, ou bien destiné aux enfants uniquement, n’ayant aucune valeur intellectuelle ou presque. M’est donc venu le questionnement qui figure tout en haut de ce court essai: pourquoi la bande dessinée?

D’abord, définissons ce qu’est une bande dessinée exactement. La bande dessinée est un art qui consiste à enchaîner plusieurs dessins afin de – dans la majorité des cas – former une trame narrative. Le dessin est très souvent accompagné de texte, bien que ce ne soit pas une obligation. Voilà.

J’ai longtemps considéré la bande dessinée comme faisant partie de la littérature. Je me rends compte aujourd’hui que bien que ce n’est pas totalement faux, ce n’est pas totalement vrai non plus. La bande dessinée en elle-même n’est pas un produit littéraire, mais contient une part de littérature. Il s’agit là du texte uniquement; le dessin, lui, appartient tout simplement au monde du dessin. L’aspect intéressant de la bande dessinée est qu’il effectue une fusion entre les deux.

C’est exactement la même chose pour le cinéma; il allie images en mouvement et texte, et bien que celui-ci soit souvent oral, il est tout aussi littéraire que le texte de bande dessinée. Je sens que plusieurs seront en désaccord sur ce point, alors je me permets d’extrapoler un peu. La littérature est toute œuvre artistique qui utilise l’écriture comme matériau. Une discussion n’est pas littéraire, mais une correspondance par lettres peut l’être, car elle est écrite et n’occupe pas seulement un moment précis dans le temps. Ensuite, qu’est-ce que l’écriture exactement? Il y a, bien sûr, la façon « classique » d’écrire, en écrivant les mots sur papier pour qu’ils puissent être transmis visuellement, mais j’ai la conviction qu’il y a de nombreuses autres façons d’écrire, par exemple, en enregistrant un texte voulu pour qu’il puisse être écouté par la suite. C’est là que le cinéma contient de la littérature; les dialogues, la narration ou les intertitres pour ce qui est du cinéma muet sont littéraires. Ils sont écrits, n’occupent pas une place particulière dans le temps et se conservent. Là, le cinéma se différencie du théâtre; une pièce de théâtre ne fait pas partie de la littérature, car tout ce qu’elle est est éphémère. Par contre, elle récite un texte qui, lui, est très souvent littéraire car écrit. Donc, assister à une pièce de théâtre est un acte de consommation littéraire indirect, même si l’on ne se trouve jamais en face d’une oeuvre littéraire en tant que tel.

Revenons maintenant à ce qui nous intéresse vraiment. Nous disions donc que la bande dessinée nage entre deux mondes, celui du dessin et celui de la littérature. Avant de continuer, posons-nous la question suivante: quelle différence y a-t-il entre le texte et le dessin? L’interrogation peut sembler quelque peu idiote, mais au fond, les deux partagent énormément de similitude. Ils sont l’écriture de quelque chose, utilisent tous deux sensiblement les mêmes médiums, et servent à représenter par le trait quelque émotion, histoire, ou autre communication. La différence est celle-ci: le dessin présente une image, tandis que le texte en évoque une.

Et malheureusement, à cause de cette différence, lorsqu’ils sont mis ensemble dans la bande dessinée, le dessin et la littérature perdent tous les deux de leur richesse. Le principal atout d’un texte seul est qu’il est fortement participatif. Comme tout est seulement évoqué, le lecteur doit faire appel à sa propre expérience, ses propres connaissances et son propre niveau intellectuel pour comprendre ce qu’il lit. Il imagine presqu’autant de contenu que ce qui lui est donné, et une relation émetteur-récepteur forte et intéressante prend place. Avec la bande dessinée, une majeure partie de ce qui est suggéré est perdue, et l’aspect littéraire de l’oeuvre perd de sa beauté. Pour le dessin, le désavantage est moindre, car il est plus essentiel à la bande dessinée que le texte. Néanmoins, il est tellement supporté par un contexte et des explications que le plaisir de réfléchir sur l’intention du dessinateur s’efface un peu.

Donc, si la bande dessinée allie deux arts pour diminuer leur richesse, la question initiale revient: pourquoi? Eh bien, parce que même si elle fait perdre des aspects intéressants du dessin et de la littérature, elle en crée de nouveaux. Par exemple, dans un récit de fiction se déroulant dans un monde imaginaire, elle permet de supprimer les descriptions grossières pour les remplacer par des détails subtils dans le dessin – je pense ici, entre autres, à l’excellent Watchmen de Moore et Gibbons. Elle permet une lecture parfois plus rapide et fluide qu’elle le serait dans un roman, aussi. Et également, pour des œuvres plus poétiques, elle permet d’allier une jolie prose à une poésie visuelle pour faire naître des œuvres qui auraient été impensables il y a un siècle, un siècle et demi.

Il y a d’autres avantages à la bande dessinée, mais allons directement au plus important à mes yeux. Les arts visuels (peinture, sculpture, architecture, et tout le reste) sont probablement les plus marquants de tous les temps. C’est que la vue est le sens le plus important chez l’humain: c’est par elle qu’il perçoit le mieux l’environnement dans lequel il se trouve. Ainsi donc, lorsqu’il tente de le représenter, de quelle façon pense-t-il le faire en premier? Par le dessin. Il y a des arts pour tous les autres sens, mais comme on voit avant d’entendre (l’ouïe vient néanmoins en second; remarquez que la musique possède aussi une grande importance dans l’histoire de l’art), de toucher, de goûter ou de sentir, dessiner est l’acte artistique le plus primitif, premier et naturel.

La musique, comme dit plus tôt, est l’art de l’ouïe; pour le goûter, il y a la gastronomie; pour l’odorat, le parfum; et je ne connais malheureusement pas de formes d’art qui se concentrent sur le toucher. Probablement à cause de l’étrange proximité que cela impliquerait avec le récepteur. Mais bref! Si on peut associer tous les arts à des sens précis, la littérature est l’art de quoi?

C’est ce qui est fantastique avec la littérature: elle n’appartient à aucun sens, mais peut tous les évoquer. C’est l’art de l’esprit, l’art de la conscience, qui joue avec des codes abstraits pour créer du concret à l’infini. Comme je crois que nous pourrions tous – ou presque – nous entendre pour dire que la conscience est l’aspect qui caractérise le plus l’être humain, nous pourrions dire que la littérature a quelque chose de bien spécial par rapport aux autres arts.

Voici donc ce qu’est la bande dessinée: la fusion de l’art de la vue, notre sens principal, et de celui de la conscience, cet aspect de nous qui nous rend humains. La bande dessinée a donc, oui, quelque chose de naïf et enfantin, mais pas dans le sens Mickey Mouse du terme; dans le sens de primitif, premier, originel. Elle combine notre façon la plus naturelle de représenter le monde à ce qui nous raffine et nous distingue. Elle est une sorte de schématisation absolue de ce que nous sommes, avec ses forces et ses faiblesses.

Pourquoi la bande dessinée? Voilà pourquoi.

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2 thoughts on “Pourquoi la bande dessinée?”

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