Rêver en couleurs… une nouvelle de Huamy Perreault

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Dimanche 10 mars

Cher journal, aujourd’hui j’ai décidé de débuter une conversation avec moi-même au travers de tes pages que tu me fournis. Je me sens incompris dans le monde réel et je préfère être dans mon monde imaginaire. Tout me semble tellement compliqué. J’ai l’impression de venir d’une autre planète ou tout simplement d’être débile dans la tête.

J’ai souvent entendu dire qu’écrire ce qu’on ressentait aidait à nous comprendre, mais malheureusement je n’ai pas l’impression qu’écrire va pouvoir changer grand-chose. Je n’ai pas eu une enfance comme les autres et je suis loin d’avoir une vie « normale ».

Alors débutons,

bonjour cher journal! je m’appelle Lukas, je suis né dans une maison remplie d’enfants, d’une mère encore inconnue à ce jour et d’un père psychopathe. J’ai grandi avec plusieurs enfants qui changeaient à toutes les semaines. Jusqu’au jour où j’ai été acheté. Non, je ne me suis pas trompé, je voulais vraiment dire acheté et non adopté. Pour expliquer mon enfance anormale, je dois commencer par spécifier que mes parents   « adoptifs » voulaient absolument avoir un garçon et que mon père ne kidnappait que des jeunes filles qu’il gardait jusqu’à temps qu’elles atteignent la majorité pour pouvoir les vendre ou encore pour les prostituer lui-même. Il a toujours été un bon manipulateur, car malgré qu’il y eût plusieurs hommes d’affaires qui venaient à notre demeure pour des réunions, personne ne s’est jamais douté de rien. Dans toutes les femmes que mon père a emprisonnées, je suis le seul à être de sa chair. Tout ça pour dire que mon père m’a fait passer pour un garçon et mes parents ont tellement voulu que j’en sois un que mon cerveau s’est conditionné à penser que j’en étais un.

J’ai commencé à réaliser que j’avais quelque chose d’anormal lorsque je me suis changé dans le vestiaire avec mes amis avant un cours d’éducation physique. C’est à ce moment que j’ai remarqué qu’ils avaient quelque chose de plus que moi. Voilà, comment à l’âge de 8 ans, j’ai questionné mes parents pour essayer de comprendre ce que j’étais. Bien-sûr ils ont patiné à essayer de trouver une raison logique, car ils n’ont pas voulu me dire la vérité. Toutefois, c’est dans mes rêves répétitifs que j’ai commencé à comprendre la réalité. Je rêvais que j’étais violé et battu, j’étais un esclave de tous les désirs de mon père.

Assez parlé de mon passé et embarquons dans ma vie de tous les jours. J’étudie en littérature et mon rêve c’est de devenir professeur de littérature au Cégep. Puisque de nos jours, il est si important de se qualifier par notre sexualité, je tiens à écrire que je me considère comme étant un homme, même si j’ai un sexe féminin. Toutefois, je ne me considère pas comme étant transgenre. Pour moi, je suis un homme et je vais aimer la personne que mon cœur décidera. Je me fous de son sexe et encore plus de son physique, je veux aimer pour aimer. Enfin, bref, ce détail n’est peut-être pas important à écrire dans ce contexte de journal, mais ça me fait du bien à moi-même de l’écrire. J’ai décidé d’écrire la plupart de mes rêves qui deviennent de plus en plus fréquents et répétitifs pour essayer d’en comprendre le sens.

Jeudi 14 mars

Beau matin cher journal, cette nuit j’ai rêvé que je me réveillais dans une pièce complètement verte. J’étais dans un lit vert entouré de murs verts. La disposition de la pièce me donnait l’impression d’être dans un camp de concentration. Autour de moi, il y avait plein d’autres lits de cette même couleur, mais seulement quelques personnes se sont réveillées en même temps que moi. Il y avait un vielle homme, une jeune fille et une femme dans la cinquantaine. Je suis sorti du lit et j’ai fait la même chose que je fais dans tous mes rêves, pour savoir si je rêve : j’ai compté mes doigts. J’en avais neuf. Je savais que je rêvais. Je n’arrivais pas à voir à travers la fenêtre de cette chambre verte c’est comme si tout avait été teinté avec des verres givrés verts qui donnent l’impression d’avoir trop bu. J’essayais d’avancer et de parler aux gens qui m’entouraient, mais personne ne me répondait; c’est comme si j’étais invisible. Cependant, je me sentais rassuré de voir que ceux qui s’étaient réveillés en même temps que moi semblaient subir le même phénomène.

Mercredi 20 mars

Comme à l’habitude, je me réveillais dans mon rêve, mais cette fois j’étais dans mon appartement, tout semblait être à sa place. Mais, j’avais l’impression que mes yeux avaient un filtre rosé et que tout semblait être plus magique et féérique. Je me suis levé du lit blanc rosé et je me suis dirigé vers la fenêtre lorsque j’ai regardé dehors il y avait une lumière aveuglante qui m’a frappé les yeux et lorsque j’ai enfin pu apercevoir des ombres, j’ai remarqué que tout était plus beau, plus vivant, plus gai. J’avais l’impression qu’il s’agissait d’une aurore boréale plus rose que rose qui survolait l’entièreté du ciel. Je me suis perdu dans ce rose splendide et je suis resté là à l’admirer durant des heures qui m’ont paru être une fraction de seconde. Après cette éternité, j’ai oublié que j’étais dans un rêve. Je suis donc allé me promener pour scruter le ciel, toujours rose intense, et j’ai passé une journée comme les autres : je suis allé à l’école, j’ai fait du ménage, j’ai fait à manger et j’ai mangé. La seule différence c’est que je me sentais plus léger comme si tout le stress et le poids que j’avais sur les épaules s’étaient désintégrés dans un nuage de poussière rose.  Avant d’aller me coucher, j’ai écrit un poème dans mon rêve et je suis assez surpris de m’en rappeler aussi bien:

Petit et faible tu te déploies par l’entremise de tes ailes

Ignorant ou malfaisant le vent finira par tourner

Rester fort, ne pas lâcher

Est-ce une connerie ou une prophétie

Essayer, se lancer, croire, se planter, recommencer, s’en sortir

Jour après jour, tant d’efforts pour des résultats éphémères

Nouveaux mots, nouvelles langues

Nouveaux défis, nouvelles passions

Nouvelles rencontres, nouvelles vies

Se fier sur les autres au lieu de se fier sur soi

Vivre pour lui au lieu de vivre pour soi

Vivre pour qui, pourquoi?

As-tu vécu

Je ne crois pas?

As-tu essayé? J’en doute fort.

Est-ce trop tard?

Où suis-je ?

Rose, bleu, mauve, blanc

Pastelle ou aquarelle?

Je ne suis qu’une couleur parmi tant d’autres

qui essaie d’exister sans jamais vraiment vivre

Serait-ce la fin ou le commencement

Suis cette ombre là-bas et elle te dira.

J’ignore sa vraie signification, mais je sais qu’il est important. Je pense tout de même qu’il s’agit d’un poème qui a été influencé par la beauté du ciel que j’ai vu. Cependant, lorsque je me suis couché dans mon rêve, avant de me réveiller pour de vrai, j’ai vu une ombre passer devant mon lit. C’était une ombre imposante, mais pas effrayante. Elle était devant mon lit et elle me regardait. J’arrivais seulement à voir ses yeux. Ils étaient d’un vert flamboyant on aurait pu les comparer à deux grosses limes qui me fixaient. Je ne pourrais dire si cette âme était gentille ou méchante, mais je sais qu’elle ne m’a pas fait mal. Rendu à l’école, le prof nous a remis un livre à lire pour la semaine prochaine et aussi bizarre que ça peut l’être ce livre traitait des messages cachés dans les rêves. Je pense vraiment que mes rêves veulent me parler.

Jeudi 28 mars

J’ai passé une horrible nuit. Ça m’a pris une éternité pour m’endormir, mais ce n’est pas ça qui m’a empêché de rêver. Quoique j’aurais préféré ne pas rêver. Dans mon rêve je me réveillais et j’étais dans une pièce complètement blanche, mais ma couverture était d’un orange citrouille. L’ambiance était lourde, je me sentais hyper anxieux. Je n’arrivais pas à me concentrer et j’avais du mal à respirer. J’ai décidé de me lever. Lorsque j’ai mis les pieds par terre j’ai compris où je me trouvais. J’étais dans ma maison d’enfance. Pour la première fois de ma vie, j’ai osé descendre au sous-sol. Lorsque je suis arrivé en bas, j’ai vu une table de bois, des outils, des médicaments et un grillage comme s’il y avait une prison. J’ai décidé de m’en approcher et à l’intérieur il y avait des femmes, à peine vêtues d’uniformes orange, attachées par le cou à l’aide de chaines métalliques. Je reconnaissais plus de la moitié des visages. Pris de panique, j’ai reculé d’un pas, mais mon vrai père se trouvait justement à cet endroit précis et il me prit par la gorge. C’est à ce moment que je me suis réveillé pour vrai en panique dans mon lit.

Encore une fois, je me suis dit que ce rêve n’était pas arrivé jusqu’à moi pour rien. J’ai donc commencé à faire plusieurs recherches sur mon père et sur les endroits dont je me rappelais dans mes souvenirs. J’ai fouillé des tonnes et des tonnes de sites, de journaux et de papiers, mais c’est seulement en comparant les disparitions d’enfants que j’ai réussi à trouver quelque chose d’intéressant. Malheureusement, je dois fouiller encore un peu.

Samedi 6 avril

J’ai vécu un rêve bleu, tout était bleu marine, bleu azur et bleu turquoise. J’avais l’impression d’être dans mon univers à moi! Tout était comme je l’avais imaginé, c’était parfait et je m’y sentais si bien. J’avais une énorme villa sur le bord de l’eau. Je pouvais donc contempler la beauté du bleu de la mer de mon balcon. Tous mes meubles étaient dans différents tons de bleu. J’avais une magnifique collection de voitures bleues : Audi, Jeep, Ferrari, Lambo, etc. J’avais l’impression d’être le plus heureux. Je suis allé me promener sur la plage et je suis allé nager. Le soleil était chaud et réconfortant, mais le bleu du ciel cachait sa brillance. Je me sentais tellement bien, c’est comme si le stress du temps avait disparu. Le réveil a donc été difficile et un peu déprimant. La journée qui a suivi ce rêve paradisiaque m’a donné l’impression que j’avais raté ma vie et que je passais à côté de tout. Une vraie remise en question s’est mise en place dans ma tête. Toute ma journée s’est passée au ralenti, mais ma soirée a tout de même été consacrée à mes recherches pour retrouver la maison de mon père.

Jeudi 11 avril

J’ai eu une longue nuit de sommeil, je pense que j’en avais besoin. J’ai fait plusieurs rêves, mais la plupart me semblent encore flous comme si je ne devais pas m’en rappeler. Cependant, j’ai l’impression d’avoir revécu plusieurs événements majeurs de mon existence: mon adoption, mon premier baiser, la découverte de mon sexe, ma première relation, etc, comme si j’avais besoin de régler des conflits ou tout simplement de corriger des erreurs du passé comme des gens que j’aurais déçus ou blessés Ce que je trouve bizarre c’est que ma journée m’a semblé être un complet déjà vu comme si j’étais encore dans mon rêve, mais totalement conscient. J’ai revu des vieilles connaissances et j’ai réglé de nombreux conflits tout en réparant quelques erreurs. J’ai revu ma première petite amie et nous avons réussi à reparler de nos chicanes qu’on avait eues. J’ai croisé un de mes plus vieux amis avec qui j’étais en chicane à cause d’un mec qu’on aimait tous les deux. Je ne sais pas pourquoi c’est arrivé, mais je me sens vraiment plus léger. J’ai aussi trouvé plusieurs renseignements sur mon père. Je pense avoir une bonne piste; j’ai donc décidé d’en parler avec des personnes ressources. Nous nous sommes assis et nous avons parlé de ce que j’avais trouvé et de ce que je me souvenais de mon enfance. J’ai affirmé avoir été adopté et ils ont été obligés d’appeler mes parents puisque dans ce cas, ils étaient vus comme des complices. Après avoir reçu un appel qui les obligeaient à se rendre au poste, ils ont dû expliquer leur version des faits. Ils ont dû expliquer leur lien avec mon père et les raisons pour lesquelles ils n’ont rien dit. Je sais que ça a dû être dur pour eux, mais leurs informations vont être d’une grande aide pour les policiers et plusieurs femmes et enfants seront sauvés. Heureusement pour mes parents, les policiers ont jugé qu’ils avaient agi par la légitime défense. Donc, ils sont reconnus non coupables.

Lundi 22 avril

Aujourd’hui est une journée extrêmement difficile. Pour la première fois depuis que j’ai été adopté, je vais revoir mon père. Les policiers ont travaillé vraiment fort avec toutes les informations qu’on a pu leur offrir. Ça leur a pris moins d’une semaine pour trouver suffisamment de preuves pour l’obliger à venir au poste. Ils vont lui faire un interrogatoire avant de l’emmener dans une cellule, pour mieux comprendre ses actes. Je ne vais pas lui parler, mais je vais l’entendre avouer.

*Éclipse*

Je viens de revenir du commissariat et je me sens moins anéanti que je ne le croyais. Je me sens libre et soulagé, j’ai enfin des réponses à toutes les questions que je me suis répétées depuis des années. Je souhaite qu’il puisse recevoir les traitements nécessaires pour se soigner. Il a une maladie mentale et maintenant il est entre bonnes mains. Je pense que nous avons fait notre possible du moins c’est ce que je me dis quand je pense que tous ces enfants vont retrouver leurs parents dans les jours à venir.

Mercredi 1er mai

Hier, j’ai eu une grosse journée et je n’avais pas l’impression d’avoir rêvé, mais cette nuit quelque chose de formidable s’est produit. J’ai rêvé que je me soulevais dans les airs comme si j’étais une feuille de papier qui se faisait bercer par le vent. Je me sentais léger et j’avais l’impression que mon cœur était un ballon d’hélium qui demandais juste à sortir pour pouvoir s’accrocher aux nuages. Je me sentais bien jusqu’au moment où j’ai eu l’impression de tomber dans le vide. J’ai essayé de m’agripper, mais je n’y arrivais pas. Je descendais trop vite et il n’y avait rien autour de moi. Je criais, mais rien ne sortait quand tout à coup je me suis fait avaler par une énorme lumière jaune qui m’a ébloui. C’est à ce moment que je me suis réveillé dans mon lit. J’ai tenté d’ouvrir mes yeux, mais j’ai revu la même lumière jaune qui me chassait jusqu’ici.

Ébloui par la beauté de l’apesanteur

Épanoui par la lune si visitée

On ne doit pas oublier l’essentiel

Mission accomplie, s’abandonner, se retrouver

Douceur, bonheur, trop court

Douleur, bon cœur trop naïf

Perdu dans le vide

Accroché au néant

Ramer, ramer, ramer

Courir, courir, courir

S’accrocher, se battre, se relever

Encore et encore

Plus de force, qu’un soupir

Un souffle, une main, un regard, un sourire

N’est-ce pas ce que je vaux?

J’ai réussi, la quête est réalisée

Mais moi dans tout ça

Où vais-je?

Qu’ai-je changé?

Une lueur d’espoir, un essai, un recommencement

Peut-être trop tard, mais jamais de trop

Avant cet au revoir qui nous apporte ailleurs.

 

 

 

 

 

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