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Il y a 10 ans déjà, aujourd’hui le 26 juin 2070, que la grande ville de Québec reflète un château inanimé. Le fameux château Frontenac, ce célèbre hôtel, qui comportait tant d’aller-retour des touristes autant que des hommes d’affaires, est devenu un hôtel pour fantôme. C’est une journée comme les autres pour Ozma qui vient tout juste de terminer son petit-déjeuner. Celui-ci est constitué d’une boîte de conserve contenant des pois plutôt salés qui baignent dans une sauce épaisse. L’homme de grande taille au crâne qui reflète la lumière et à la barbe longue se dirige vers l’énorme carré constitué de plus petits carrés qui est dessiné sur le sol de l’entrée du château. Il trace la lettre x sur l’un des carrés qui indique le chiffre 26. Au bout d’un certain temps, le soleil fait son apparition lorsque les flèches de la grande horloge pointent le chiffre 12 et le chiffre 6. Ozma est un lève-tôt, il aime apprécier chaque petit moment avant que les aiguilles de l’horloge indiquent six heures du matin. Ozma enfile donc sa combinaison et son masque pour se protéger de la chaleur extrême qui va le frapper sous peu et il rentre immédiatement afin d’éviter un grave danger. Son visage est si terne et épuisé par l’envergure de ses tourments.
Il y a 10 ans et quelques jours, Ozma vivait une vie beaucoup plus rose qu’aujourd’hui. Il était un entraîneur pour les robots de compagnie, il adorait ce travail, mais pas autant qu’il adorait ses deux filles, Esmé et Kaïna. Depuis la mort de leur mère, ses deux filles s’étaient énormément rapprochées de leur papa chéri. Papa pouvait apprendre plusieurs techniques de robotique à Esmé qui rêvait de suivre les traces de son père lorsqu’elle aurait terminé ses études à l’école secondaire. Papa pouvait également donner des leçons de piano à la petite Kaïna qui détestait faire ses devoirs et qui rêvait de faire aller ses doigts sur les touches noires et blanches devant des millions de gens sur une grande scène. Malheureusement, il y a 10 ans déjà que tous ces rêves se sont envolés en fumée… Le 24 juin 2060, jour de la Fête nationale du Québec, Ozma et ses deux filles finalisaient leurs bagages à l’aide de leur robot domestique nommé Kyo. Kyo répondait instantanément aux ordres de ses maîtres. Il faisait surtout des allers-retours du rez-de-chaussée au grand toit de la maison transparente pour déposer les bagages dans l’automobile volant. Au moment où la famille d’Ozma fut prête à décoller, celui-ci ordonna au véhicule de se rendre au château Frontenac et chaque membre de la famille prit leurs doses quotidiennes d’oxygène liquide. La petite famille avait prévu un long weekend festif dans la ville de Québec afin de festoyer la fête nationale du pays. Deux heures et demie après leur départ, ils sont arrivés devant les grandes portes du château pour aller déposer leurs bagages. Par la suite, ils se sont dirigés sur les Plaines d’Abraham où ils ont assisté à une grande fête.
À vingt heures quarante-deux, précisément, le soleil, qui normalement s’abaisse, s’est mis à devenir brûlant et cette chaleur se fit ressentir par tous les festivaliers. Plusieurs devinrent rouges comme si leur sang avait pris le dessus sur la couleur de leur peau, d’autres crièrent comme des enfants qui viennent de perdre leur mère, d’autres avaient si peur qu’ils étaient immobiles comme une statue de béton, d’autres pleuraient sans cesse et couraient dans tous les sens pour fuir et il y avait Ozma. Ozma qui ne prononçait aucun mot, qui prenait le temps de respirer, afin que son corps survive à cette catastrophe, et qui s’assurait que ses filles fassent de même. Il dit à ses filles « Regardez papa et ne le quitter pas des yeux. Nous allons nous tenir la main et quitter ces lieux le plus vite possible, mais il faut rester calme et être patient. ». Cet homme sut rester calme grâce à sa grand-mère, qui avait vécu de grandes crises et qui lui avait répété sans cesse que le seul moyen de se sortir d’une crise était de rester calme, de respirer par le nez et de s’assurer que ses proches sont en sécurité. Il décidait donc de suivre le discours qui avait traversé ses pensées pendant tant d’années.
Les deux mains d’Ozma étaient chacune prises par la main d’une de ses filles et ses jambes défilaient autour des gens qui suffoquaient par cette dose de chaleur qui était attendue par tous les habitants de ce monde, mais pas aujourd’hui et pas aussi brutalement. Cela faisait plusieurs années que le monde entier était au courant que notre planète vivrait un réchauffement climatique immense. Chaque jour, les enjeux climatiques de la planète se multipliaient. Les habitants de ce monde démontraient un manque d’autonomie et peu d’amour envers leur demeure. La planète allait mourir un jour et elle leur arracherait d’un seul coup, tout l’amour et la chaleur qu’ils ressentaient pour la transformer en une chaleur extérieure qui allait brûler la vie de chacun en un claquement de doigts. La petite famille qui souhaitait seulement fêter leur pays de la façon qu’il se doit, avait eu une surprise que personne ne souhaite recevoir, une surprise empoisonnée qui allait sans doute coûter la vie de chacun. Ozma se retrouvait devant une pyramide humaine beaucoup moins amusante que celle qu’on peut apercevoir dans les fêtes d’enfant. Ces gens étaient tombés les uns sur les autres vu la chaleur extrême qu’ils avaient subie et ils étaient sous le point de rendre leur dernier souffle. Il aurait bien tenté de leur porter secours, mais lorsqu’on se retrouve dans une situation comme la sienne et que la vie des êtres les plus chers à nos yeux et notre propre vie sont mises en jeu, on n’a pas le temps pour les autres, on devient égoïste et tout ce qui compte, c’est la survie des membres qui portent notre sang. Ozma n’avait qu’une seule option, c’était d’escalader tous ces gens qui étaient empilés les uns sur les autres. Ce n’était pas dans ses valeurs de piétiner des personnes aussi vulnérables, mais lorsqu’il vit le teint de Kaïna et d’Esmé qui devenait de plus en plus rouge comme le vin qu’il avait consommé quelques heures plus tôt, il escalada ceux-ci sans hésitation.
Après quelques minutes, la petite famille était sur le point d’atteindre l’entrée de leur hôtel. Cependant, Esmé avait un mal immense à respirer. Ozma la questionna concernant la dose d’oxygène qu’elle devait prendre ce matin comme tous les jours afin de survivre le plus longtemps possible à une éventualité catastrophique comme celle qui s’est produit le 24 juin 2060. Esmé lui répondit à bout de souffle « Ce n’est… pas… la première fois… que je fais semblant… d’ingérer… la dose… d’oxygène quotidienne. ». L’homme devint mort de peur à l’idée que sa fille ne survivrait sans doute pas à cette crise.
Il y a quelques années, un vieil ami d’Ozma lui avait rendu visite, au laboratoire de robotique, afin de l’informer qu’il avait découvert un remède qui pourrait permettre de survivre plus longtemps face à une crise climatique. Depuis ce jour, Ozma possède plusieurs flacons d’oxygène liquide que son vieil ami lui avait remis et il en consomme chaque jour.
Esmé avait le souffle court et les paupières qui tombent. Ozma tenta la réanimation cardiovasculaire, mais la jeune fille donna son dernier souffle. L’homme a l’allure d’un guerrier se mit à pleurer comme un enfant échoué par terre jusqu’au moment où il vit le visage pétrifié de la jeune Kaïna. À ce moment-là, il reprit son allure de guerrier, il embarqua la petite sur son dos et il se mit à courir jusqu’au château. À l’intérieur du château Frontenac, on pouvait enfin respirer pleinement de l’air climatisé. L’homme borda la petite Kaïna au lit et s’enferma dans la salle de bain pour prendre une douche chaude. Il se mit à pleurer, pleurer et pleurer encore. Il pleurait tellement qu’il ne savait même plus si c’était l’eau de la douche ou ses larmes qui humidifiaient son corps. Il avait honte de ne pas avoir assumé son rôle de père au niveau de la gestion des doses d’oxygène quotidienne d’Esmé. Il lui faisait confiance, il se disait qu’elle était assez grande pour comprendre l’envergure horrible qu’une dose oubliée pouvait engendrer. Ozma ferma la douche et resta en petite boule sur lui-même, durant un long moment, tellement long qu’il s’endormit ainsi.
Le 25 juin 2060, Ozma et Kaïna ont vécues une journée lourde en émotions. On leur a annoncé, à la réception de l’hôtel, qu’ils étaient les seuls occupants à être revenu à leur chambre le soir du réchauffement climatique immense. Le personnel de l’hôtel avait reçu un appel téléphonique, la veille, qui les avait avisés de ne pas sortir du bâtiment vu l’envergure de la crise qui se déroulait à l’extérieur. Au moment où Ozma assimila le message que la réceptionniste venait de lui transmettre, il ressentit un sentiment de peur intense. Le genre de sentiment qu’on peut ressentir qu’une seule fois dans sa vie. Le genre de sentiment qui nous fait perdre tous nos repères, car il réalisa qu’il était sur le point de signer un contrat avec la mort sans le vouloir. L’homme devait sortir à l’extérieur afin de se calmer, mais lorsqu’il franchit les grandes portes de l’hôtel, il vit une ville abandonnée qui avait de grandes ressemblances avec celles qu’il avait déjà vu auparavant dans des films de type apocalyptique. Ozma parcouru les trottoirs de la ville, durant des heures, mais il vit que des êtres qui avaient rejoint un autre monde, un monde qui était sur le point de venir le chercher lui aussi. Et au même moment, la petite Kaïna qui suivait son papa, depuis tout ce temps, l’interpella « Papa, papa! Regarde. Un papillon. ». L’homme se retourna, mais la petite était déjà parti à toute vitesse poursuivre ce joli papillon, qu’elle n’eut même pas le temps d’attraper puisqu’un char d’assaut, qui roulait aussi vite qu’un éclair, la percuta.
Aujourd’hui, le 26 juin 2070, la ville de Québec est aussi lugubre qu’il y a 10 ans. Après avoir enfilé sa combinaison et son masque qui lui permettait de survivre, même s’il n’en avait pas tellement envie, Ozma se dirige vers les Plaines d’Abraham où il avait enterré ses deux filles. Il dépose des fleurs sauvages comme il avait l’habitude de le faire, à chaque jour, afin de bien commencer sa journée. Ensuite, il alla saluer les tombes de tous les gens qu’ils avaient croisé sur son passage, depuis la mort de ses deux filles dont l’homme qu’il considérait comme un frère, durant sept ans. Cet homme c’était celui qui avait mis fin au jour de Kaïna, celui qui l’avait percuté avec son char d’assaut. Cet homme se nommait Jacko et il était comme un frère pour Ozma puisqu’il avait su être fidèle à celui-ci, durant tous les combats qu’ils eurent à traverser ensemble. Jacko prônait le respect et c’était un homme de cœur. C’est pourquoi, qu’après trois ans à côtoyer Jacko, Ozma se mit à entretenir des liens d’amitié avec cet homme, sans pardonner l’acte fatal qu’il avait commis bien sûr. De plus, Jacko était un homme très utile dans un monde devenu apocalyptique puisqu’il possédait toujours son appareil de communication afin de communiquer avec les gens de l’armée canadienne dont il faisait partie. Le 22 mars 2066, l’armée canadienne ne comptait plus que deux membres dont Jacko. C’est ce jour-là, qu’Ozma appris qu’il ne restait plus aucun signe de vie humaine sur la terre et qu’ils n’étaient plus que trois dont lui-même, Jacko et l’homme de l’armé. Le soldat canadien avait pu constater, après plusieurs calculs, que le soleil l’atteindrait en premier et par la suite ce serait au tour de Jacko et Ozma. Ce jour-là, le soldat mourut. Un an et quelques jours plus tard, c’était le tour de Jacko.
Aujourd’hui, le 26 juin 2070, trois ans après la mort de Jacko, Ozma fait sa ballade habituelle sur le bord du Fleuve St-Laurent. Soudain, il entend une voix rauque qui lui dit « Bonjour, toi. ». Il se retourne immédiatement et il voit un ours brun qui semble docile contrairement aux ours qu’ils avaient vu auparavant. Il fixe l’animal, durant quelques minutes, jusqu’à ce que celui-ci ouvre la bouche et dit « Bonjour, je me nomme Paka. ». Ozma ne doute pas de ce qu’il vient d’entendre, il a bel et bien vu et entendu un ours lui adresser la parole. L’ours brun s’avance plus près et lui dit « C’est une sacré belle journée, aujourd’hui, mon ami! » et l’homme lui répond « Ah oui! Une sacré belle journée. ». Quelques minutes plus tard, trois lièvres arrivèrent. L’un d’eux dit « Enfin un homme qui ose s’adresser aux animaux. ». Le deuxième dit « C’est un homme qui se sent seul d’après moi. ». Le dernier dit « Très bien dit mon frère! Seuls les hommes qui se sentent seuls restent autant longtemps à parler avec nous. ». Ozma fait un tour dans ses pensées, pendant un instant, il réalise que c’est vrai qu’il se sent seul, cela faisait trois ans qu’il n’avait pas parler à personne. Après plusieurs heures, l’homme continue toujours à discuter avec cet ours et ces trois gentils lièvres. De là-haut, du point où le soleil est si brutal, on peut apercevoir un homme à la barbe longue, étendue par terre, les yeux ternis, parlant seul comme s’il était en train de devenir fou.
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