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Les gagnants de la deuxième édition du concours d’écriture du programme Arts, lettres et communications : 1e rangée (avant), de gauche à droite: Gaëlle Vandal, Frédérique Bacon, Jasmine Carpentier, Élizabeth Hayes. Sur la 2e rangée (arrière), de gauche à droite : Bryan Perreault, président d’honneur, Simon Racine, Thomas Harnois, Alexandrine L’Heureux, Jade Frappier, Paul Dallaire, responsable du concours ALC.
TEXTES DES GAGNANT.E.S DU CONCOURS D’ÉCRITURE ALC 2016-17
CATÉGORIE SECONDAIRE 3
PREMIER PRIX:
| Commentaire du jury:
Il s’agit ici d’un texte d’une grande maturité intellectuelle et d’une sensibilité remarquable, doté d’un style limpide et original. Le sujet des ateliers de misère et de cette pauvreté pathétique où l’enfance côtoie la souffrance et la mort si familièrement est traité avec une sincérité déconcertante. |
JASMINE CARPENTIER
École secondaire Des Chutes; enseignante: Danielle Héroux
L’euphorie finale
Ne vous attendez pas à un merveilleux conte de fée où les enfants aux joues roses gambadent dans les champs en fredonnant. Cette histoire est glauque. Elle nous transporte là où l’on ne veut pas aller. Elle nous impose le destin tragique de ces enfants exploités et ignorés.
Je me suis encore réveillé grelotant cette nuit. Le mince drap taché me servant à la fois de lit et de couverture laisse passer le froid poignant du ciment et les courants d’air provenant des fissures dans les murs. Je suis frêle, si maigre qu’un gros coup de vent m’emporterait dans les nuages. Peut-être serait-ce mieux ainsi, mieux que cette vie. Je vais rejoindre mes frères et sœurs pour tenter de trouver un peu de chaleur corporelle. Je me blottis contre le petit dernier. Mais je remarque qu’il est frigorifié et que ses petits membres sont paralysés. Le vent l’a emporté, a emporté son âme. Je l’envie presque. Ne sachant quoi faire du haut de mes sept ans, j’ignore cette vue funeste et vais m’étendre plus loin, espérant sombrer dans le sommeil éternel à mon tour pour ne pas avoir à affronter la journée.
Je suis réveillé par le chahut sordide que produisent mes semblables. Ma vieille mère sanglote sur la délicate enveloppe qui, autrefois, contenait mon frère. Malgré tout, je dois aller travailler. Je dédie une dernière pensée à mon frère et prends la route qui me mènera à l’empire des ténèbres, trois kilomètres plus loin. Pendant environ dix heures d’agonie, je couds. Des chandails en grande partie. De jolis morceaux de tissus que vous payerez une petite fortune, uniquement pour bien paraître et démontrer aux autres que vous avez de l’argent, car sur un petit coin de votre chandail, un petit logo y sera apposé. Par moi. Par mes doigts mutilés.
Je crois que je n’ai pas mangé depuis deux ou trois jours, je ne me souviens pas. Sur le chemin du retour, je sens mes organes crier à l’aide, réclamant de l’énergie. Je repense à mon frère, à sa peau si blanche, si froide et à ses yeux vides de vie restés ouverts sur le néant. J’ai la bouche si sèche, les os si fragiles et la tête qui tourne. Je me remémore ma journée, je repasse toute ma petite vie dans ma tête. Je me rappelle vaguement de l’homme qui est responsable de mon existence. La dernière chose dont je me souviens, c’est sa grosse main empoignant le cou de ma mère, mon frère tentant vainement de s’interposer. Puis je ne sais pas ce qui s’est passé par la suite, je me suis sauvé dans le champ d’à côté. Cette soirée-là, je l’ai passée couché dans les herbes à admirer les étoiles. J’ai fait un vœu et une promesse.
Je ne vois plus où je vais. Je m’assois sous un grand saule pour me reposer quelques instants. Je me mets soudainement à rigoler, comme ça, pour aucune raison. Je me sens bien, léger, libéré. Je lève les yeux vers mes amies, les étoiles, elles sont si jolies. Je m’envole… j’ai tenu ma promesse, je vais les rejoindre.
DEUXIÈME PRIX:
| Commentaire du jury :
Richesse du vocabulaire, originalité de la narration, subtilité et finesse dans le style et la psychologie des personnages caractérisent ce récit terrible (à force d’être plausible) où la mort et le deuil viennent perturber le quotidien des plus banal d’une famille. |
FRÉDÉRIQUE BACON
École secondaire Paul-Le-Jeune; enseignante: Hélène Blais
L’AVARIE DU COEUR
Je n’avais jamais pensé que cette voyante de pacotille, campée au fond de cette ruelle, pourrait me dire un tant soit peu la vérité. Oui, j’avais espéré. Je voulais croire qu’elle saurait me prédire mon avenir, en fait, qu’elle allait voir quelque chose.
***
Quand je ferme les yeux, je peux encore entendre le fracas des vagues contre le bitume. Si je canalise mes souvenirs, je sens l’odeur du sel et le frottement des grains de sable sous mes pieds. J’aime me dire que lorsque tout cela sera terminé, c’est à cet endroit que je serai. Blottie dans une couverture, les yeux au loin sans tout cet amas d’infamie pesant sur mes épaules.
– Adèla, les papiers sont signés, tu peux retourner chez toi.
J’ouvre mes paupières et observe l’infirmière stoïquement. Dépérir chez moi ou dans ce lit d’hôpital revient à finir l’histoire de la même façon.
– Tes parents t’ont apporté des vêtements, je te les ai posés dans la salle de bain. Change-toi et puis va les rejoindre à l’accueil.
Je lui adresse un hochement de tête pour lui faire comprendre que je l’ai entendue. Elle quitte la petite chambre pour me laisser seule. Depuis les événements passés, je me sens livrée à moi-même peu importe si je suis entourée ou non.
Je pose difficilement mes pieds nus sur le sol. Le plancher est glacé sous mes pas. Je vais à la salle d’eau et attrape les habits posés sur la baignoire. Je souris amusée en voyant qu’ils ont bien pris soin de retirer tout objet me permettant de récidiver. Ils n’ont aucun souci à se faire, j’ai compris le message. La mort elle-même ne veut pas de moi.
***
– Même à l’hôpital, tu trouves une façon de faire ton égocentrique, lâche sèchement ma mère.
Je me paralyse face à mes parents et glisse mon regard vers le sol. Je ne possède pas les forces pour affronter ma génitrice.
– Laisse-la tranquille, Judith, c’est tout de même ta fille, proclame mon père.
– Elle a perdu ce statut à la seconde où Iris a poussé son dernier souffle, crache-t-elle avant de se diriger vers la sortie.
Mon cœur se serre à l’évocation du prénom de ma sœur, je me mords la lèvre pour ne pas éclater en sanglots. Je concède le droit à ma mère de m’en vouloir. Comment pourrait-elle me pardonner quand moi-même je n’y arrive pas.
– Ça lui passera, ma puce, ne lui en veux pas, rassérène mon père.
Je hausse les épaules et emboite le pas vers les portes. Si ma mère trouve du réconfort à me traiter ainsi, j’aurai alors l’utilité de servir à quelque chose.
***
– Adèla, Adèla vient avec moi.
– Arrête Iris, tu ne vois pas que je fais mes devoirs? Va jouer ailleurs!
– Mais je ne suis pas capable de… tente-t-elle de m’expliquer.
– Ce devoir est très important, j’ai besoin de me concentrer, laisse-moi.
– Mais maman veut pas que je…
Je ne la laisse pas finir : « C’est la dernière fois que je te le dis. »
Ma petite sœur me regarde du haut de ses quatre ans les yeux humectés de larmes. Je tourne la tête dans l’autre sens et balaie ses agissements d’enfant du revers de la main. Si je l’ignore, elle finira par partir.
Lorsque le calme revient, je me tourne pour constater qu’elle a bien quitté la pièce. Je me remets au travail, mais me fais couper cette fois-ci par un bruit sourd. Je recule brutalement ma chaise puis cours jusqu’au salon.
Je suis foudroyée par une vision d’horreur. Sous mon regard égoïste est vautrée la dépouille de ma petite sœur ensevelie sous la grande bibliothèque. Elle gît au milieu de tous ces livres. À son côté est posée sa poupée, celle que mon père lui avait confisquée hier et qu’il avait placé au sommet de l’étagère.
Je toise la scène sans savoir comment réagir… à la forme qu’a pris son crâne, je sais pertinemment qu’il n’y a plus rien à faire. Inerte, je laisse dévaler des perles salées sur mes pommettes.
***
Le torrent de larmes sur mes joues me réveille. Je m’assois dans mon lit et ramène mes membres contre moi. Ma mère a toujours averti ma petite sœur de ne pas grimper dans la bibliothèque. Je l’ai poussée à faire le contraire seulement parce que je ne voulais pas prendre de pause.
J’ai envoyé son âme innocente vers les cieux.
En ce moment, seule dans mon lit, le visage baigné de larmes, je sais que je ne vais jamais réussir à passer au-dessus de mes actes. Les blessures qu’elle a prises sur son corps se sont dessinées sur mon cœur.
TROISIÈME PRIX:
| Commentaire du jury :
Avec habileté, ce texte propose un voyage dans l’espace et dans le temps, et une immersion irrésistible dans l’univers viril et martial des samuraïs. L’originalité du texte vient entre autres du fait que le rude combat et la rigueur du code moral n’éludent pas la beauté du paysage. |
SIMON RACINE
École secondaire Du Rocher; enseignante: Nancy Leblanc
Duel sous les cerisiers
Sur la somptueuse île d’Okinawa au Japon, le shogun conversait d’une quête d’une importance capitale avec son plus valeureux guerrier, Hônoyori Shizukima. Il lui expliqua qu’un samouraï du nom de Hyutsuo Kagetsubi avait allègrement trahi les siens et qu’il avait subtilisé des documents d’une importance primordiale sur des tactiques de guerre. Le shogun lui confia qu’il serait en charge d’aller débusquer et éliminer le traître qui, selon des éclaireurs, s’était réfugié dans une forêt de cerisiers au nord du domaine. Aussitôt, Hônoyori quitta la demeure du shogun en s’emparant de ses sabres qu’ils avaient laissés près du seuil de la porte et se rendit aux écuries. Arrivé là, il enfourcha son étalon et partit à grand galop vers le nord.
Après une chevauchée effrénée, Hônoyori arriva à destination. Le samouraï sauta de son destrier et pénétra dans la charmante forêt où des cerisiers fleurissaient en donnant un majestueux spectacle digne d’une beauté sans défaut. Émerveillé devant tant de perfection, Hônoyori fit l’erreur de baisser sa garde et posa le pied dans un piège. Le guerrier se retrouva pendu par les pieds au bout d’une corde. Complètement ahuri, ce dernier s’empressa de dégainer son sabre et trancha le lien d’un coup net: l’atterrissage fut brutal et douloureux. Le sabreur se releva péniblement et scruta les alentours dans l’espoir de trouver l’inigrat ayant installé ce vicieux piège. Ce fut sans surprise qu’il aperçut le samouraï renégat Hyutsuo Kagetsubi marcher dans sa direction. C’était lui qui avait mis le piège en place. Après quelques instants où les deux hommes d’arme se jaugeaient, le traître s’élança le premier en dégainant son sabre le plus allongé. Hônoyori dévia plutôt aisément l’assaut et répliqua avec une contre offensive particulièrement bien exécutée. Hyutsuo parvint tant bien que mal à parer la réponse de sa fougue et riposta abruptement. Par la suite, les lames des deux talentueux combattants s’entrechoquèrent créant ainsi une danse mortelle aussi incroyable que funeste. Après de longues hostilités, l’intensité et l’ardeur du combat avaient mené les deux sabreurs près d’un paisible petit ruisseau. Les deux virtuoses se mirent alors à contempler la beauté du lieu en s’accordant une pause très brève. Promptement, Hônoyori reprit l’offensive en projetant la pointe de sa longue lame en direction du cœur de Hyutsuo. Le traître riposta en bloquant la lame adverse avec sa garde et recula de six pas pour examiner la façon dont il allait revenir à la charge.
Après quelques instants, Hyutsuo dénicha une alternative au fond de son esprit… il choisit de projeter un couteau en direction de son adversaire. Hônoyori reçut le la lame de lancer en plein fouet et tituba légèrement. Le guerrier comprit alors que Hyutsuo avait dérogé au code d’honneur des samouraïs en usant d’armes de lancer. Cet homme était maintenant déshonoré et Hônoyori devait en finir vite. Hyutsuo se rua en direction de son ennemi et tenta une feinte. Hônoyori ne lui laissa pas le temps d’attaquer et lança un coup au torse en décrivant avec sa lame un arc de cercle couvrant un large espace dans le but d’évincer une éventuelle tentative de fuite. L’arc fut fructueux et Hônoyorii réussit à taillader sans faute le ventre de son adversaire. Sévèrement blessé, Hyutsuo scruta avec effroi l’emplacement où la lame l’avait charcuté et s’inclina légèrement pour laisser à Hônoyori le privilège de le terrasser dignement. Dans ses derniers instants, Hyutsuo éprouva une profonde joie, car il allait trépasser paisiblement. Il ajouta : « Ma dextérité ne peut surpasser la tienne, Hônoyori tu es décidément le plus talentueux samouraï avec qui il m’ait été donné de croiser le fer. »
– Puisse ton âme rejoindre la résidence des dieux malgré ton insubordination, rétorqua Hônoyori avant d’abréger les souffrances du guerrier déchu. La besogne terminée, Hônoyori retira le couteau toujours enfoncé dans sa chair et appliqua un bandage de fortune fait avec le tissu de son accoutrement. Par la suite, il récupéra les documents de bataille que le renégat avait dérobés.
Le samouraï se rendit au village avoisinant la forêt de cerisiers et trouva deux fossoyeurs renommés pour leur respect des dépouilles. Il leur confia la tâche de faire une sépulture au samouraï qu’il était parvenu à vaincre. Après leur avoir remis quelques yens, les travailleurs de la morgue s’y rendirent de suite. Exténué, Hônoyori se rendit à l’auberge la plus proche pour manger un peu car, avant chaque duel, les samouraïs se devaient de respecter un jeûne qui parfois se révélait très pénible particulièrement après de longues heures de conflit acharné. Après une soupe, quelques tasses de saké pour savourer son triomphe et une conversation avec une ravissante geisha, Hônoyori quitta les lieux pour informer son shogun du succès de sa quête. En cours de route, il eut une pensée commémorative pour le sabreur qu’il avait surpassé.
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