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La première affaire que vous dites quand vous entrez là, c’est soit « hmmm, ça sent bon! » ou ben « Hein! Y’en a du stock ici! » Pis moi je vous regarde, pis j’essaye de faire un beau sourire parce que ça fait juste cinquante fois que j’entends ça depuis le début de mon shift.
J’vous dirai pas mon nom, ni le nom de l’endroit où j’travaille, parce que c’est des affaires personnelles, ça. Tout c’que vous avez besoin de savoir, c’est que je travaille debout pendant huit heures de temps dans des souliers inconfortables du Walmart, pis je suis obligée de m’attacher les cheveux pour travailler. C’est tellement laid, mon uniforme est vraiment pas le type de chandail avec lequel tu t’attaches les cheveux! Pis c’est pas tous les jours que tes cheveux sont beaux quand tu les attache. En tous cas, c’est évident que c’est pas une fille qui a fait le design de ma chemise…
En tous cas… Vous autres, vous trouvez que ça sent bon les épices, ça sent bon le thé, le café, les maudits jujubes en gélatine… NON! Non, ça sent pas bon! Les épices ça pique dans l’nez, savez-vous à quel point ça revole, d’la cannelle en poudre!? Ah, pis l’ail! Oublie ça, t’en échappe rien qu’un peu sur tes culottes, pis tu sens ça jusqu’à fin de ton shift! En plus, ça tache. Pis en passant, le café ça donne mal à tête. Ça sent toute la même affaire, pis c’est même pas si bon que ça pour la santé, la caféine. C’est pas vraiment une bonne habitude. En tous cas, j’vous aurai avertis! Le thé c’est correct, c’est vrai que ça sent bon. Sauf celui au gingembre, j’ai toujours un haut le cœur quand j’le sens. Mais en tous cas, c’est bon pour la santé, ça, je vous l’accorde! Ah, pis les jujubes… c’est vraiment graisseux, hein? Tout ce gras-là après, c’est dans votre corps. C’est pas vraiment sain. En tous cas… moi, personnellement, la gélatine ça me lève le cœur.
Bref, le pire dans ma job, c’est pas ça. Avez-vous des jobs étudiantes? Si oui, vous savez à quel point c’est pas facile, travailler dans le public.
– « Travaillez-vous ici? »
– « Non! Je trouvais l’uniforme tellement beau, que j’ai demandé à la fille à la caisse si j’pouvais en avoir un. »
Non, même si j’aimerais ça, je réponds jamais ça aux clients. Je dis juste « ben oui » en me retenant pour pas faire une face qui dit « me semble que c’est évident! » Au début, je cherchais à comprendre… c’est tu juste pas assez clair? Mon uniforme as-tu l’air d’être du linge normal? En tous cas, si oui, j’aurais vraiment pas de goût… mais après mure réflexion, j’ai fini par me dire que le monde savait juste pas comment m’aborder. Mais t’sais… un petit « s’cuse? », ça marche aussi, j’vais me retourner pour te servir un sourire forcé.
Mais c’pas ça le pire. C’est quand t’essaies de scanner un article, mais pour une raison x, le maudit code barre y pogne pas.
– « Hein! Ça scanne pas, ça doit être gratuit! »
– « … »
Vous remarquerez qu’à ça, je sais juste pas quoi répondre. La joke est tellement vieille… que c’en est plus une. Chaque fois que quelqu’un me dit ça, j’me demande si cette personne dit vraiment ça à chaque fois que la caissière a de la misère à scanner une canne de pois chiches. Pis je sais pas si c’est juste moi… mais il me semble que personne a jamais ri cette joke là…? J’veux dire, j’ai jamais vu une caissière s’esclaffer en se tenant les deux côtes quand un client l’a sortie. Dans la même catégorie, j’ai déjà travaillé dans une épicerie, pis j’étais obligée de demander aux clients :
– « Avez-vous quelque chose en-dessous de votre panier? »
Pis eux, tout fiers, de me répondre :
– « Ben oui! Des roulettes! »
Sérieux? SÉRIEUX? Pis là, ils éclataient de rire comme s’ils devraient aller faire l’école de l’humour. T’sais… moi je trouve ça correct le sarcasme, dans la vie, étant moi-même une personne très sarcastique… mais ça, c’est juste vraiment laid comme tentative d’humour sarcastique. Faudrait vraiment que j’aille quelque chose de pas développé comme il le faut dans le cerveau pour pas savoir qu’en dessous d’un panier, y’a des roulettes. Parce que c’est le but d’un panier : ça roule. En tous cas, j’pourrais en parler pendant des heures, mais les paniers d’épicerie c’est pas vraiment mon sujet préféré.
J’comprends pas non plus comment ça se fait que quand un client voit un employé se promener dans le magasin avec son portefeuille, il comprenne pas qu’il est probablement en pause, en quête d’un dîner ou de quoi du genre, pis qu’il a vraiment pas envie de se faire poser 56 000 questions.
Une autre affaire qui me fait rire, c’est quand un client trouve pas c’qu’il veut, pis qu’il te dit :
– « J’vais aller ailleurs, debord! »
J’voudrais pas faire de peine à personne… mais bien souvent, l’employé s’en fout. Quand on est payé à l’heure, c’est pas une facture de moins qui va nous enlever 10$ sur notre paye.
Par exemple, la chose la plus insultante qu’on peut vivre en travaillant dans le public comme job étudiante, c’est de se faire regarder de haut. Bon… ce genre de personnes-là, on les rencontre moins souvent que ceux qui nous considèrent comme des êtres humains qui ont juste besoin d’argent pour mettre du gaz dans notre yaris neuve ou payer notre livre de philo qu’on ouvrira jamais, mais y’en a. Ils arrivent à ta caisse en lançant leurs articles sur le comptoir sans même répondre à ton sympathique « Bonjour! », pis le seul moment où ils détournent leur attention de leur nouveau iPhone, ils te dévisagent comme si t’allais passer le restant de tes jours à pitonner sur une caisse, debout toute la journée sur un tapis en caoutchouc de basse gamme qui te donne des chocs quand tu touches au stainless de ton comptoir tout sale. C’est correct, tu peux être une personne importante dans la vie… mais c’est impossible que tu sois jamais passé par le stade de la job étudiante poche qui t’empêche de finir tes travaux de fin de session à temps.
En tous cas. Faut que je retourne travailler, j’étais en train de faire semblant de vérifier si on avait un article en stock pour un client.
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