Un coeur étrange… une histoire d’Arianne Magny

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C’était un soir d’hiver d’une tristesse inouïe, où le ciel crachait à profusion ses flocons de neige lourds et mouillés qui dansaient fébrilement avec le vent. La rue Saint-Jean s’était transformée en patinoire mortelle. Chaque pas était d’une telle instabilité que si le corps chutait, il ne pouvait se relever. Pourtant, elle, elle était là, au centre de ce déluge, sans même comprendre pourquoi. Elle essayait de marcher, du mieux qu’elle le pouvait, sans connaître l’endroit où elle était, ni celui vers où elle se dirigeait. Mais, elle était décidée à s’y rendre et sentait, au plus profond de ses entrailles, un étrange désir de vengeance. La source de ce sentiment lui était aussi inconnue que le reste. C’était la confusion totale, le flou existentiel. Cependant, quelque chose la guidait, comme si elle était prisonnière d’un corps étranger et que son âme s’était mélangée à celle d’un autre. Elle chassa cette impression insolite de sa pensée lorsqu’elle vit son reflet dans la vitrine d’une boutique. Elle y reconnut ce visage délicat auquel la jeunesse donnait des traits de naïveté et que le froid avait teinté d’un rouge vif. Puis, elle distingua ces grands yeux verts, et cette longue chevelure noire, trempée par la neige, qui virevoltait de tout côté. Il n’y avait pas de doute à avoir, ce corps était le sien. Elle se dît qu’il arrivait à tout le monde d’avoir des blancs de mémoire, et elle reprit son chemin, se laissant entraîner par instinct. Son corps détrempé, s’arrêta net devant un bâtiment qui lui semblait familier. C’était une petite maison traditionnelle, faite de pierres grises, avec trois petites lucarnes et une toiture métallique. Située à quelques pas du Vieux-Séminaire de Québec, elle était particulièrement jolie, mais malgré tout, elle ne pouvait s’empêcher de la regarder avec dédain. Brusquement, sa main se referma, formant un poing menaçant. Elle cogna, mais personne ne vint. Elle ouvrit la porte, qui n’était pas barrée, dans un claquement violent. Ses pieds s’enchainèrent dans l’escalier en prenant soin de bien faire résonner leur pesanteur. Son cœur battait à tout rompre et continuait d’accélérer la cadence. Elle savait qu’il était là, accompagné. Derrière la porte de la chambre à couché, elle les découvrit. Ils étaient nus, et couraient dans tous les recoins de la pièce, croyant qu’il était encore possible de cacher la vérité. Le regard avide et la peau froide comme un glacier, elle regardait cette scène, qui avait des traits de déjà vu. L’homme qu’elle avait aimé, déboussolé,  balbutia :

–       Aline! Je… que… que fais-tu là?

–       Je guéris les blessures, répondit-elle, d’un ton confiant.

Il la regarda, complètement confus, ne comprenant rien. Elle se dirigea vers une commode blanche, aux poignées dorées, sur laquelle il y avait un grand cadre noir, avec une photo à l’intérieur. Elle le prit et l’observa avec un regard glacial. Sur la photo, elle était dans les bras de cet idiot, et elle souriait, naïvement. Elle ne pouvait plus endurer le mépris et la haine qu’elle avait maintenant pour lui, il fallait expulser. Elle lança, de toutes ses forces, le cadre sur le mur, effleurant au passage l’homme, sidéré. Tout à coup, il ne semblait plus vouloir se faire pardonner. Elle reconnut la méchanceté dans ses yeux, celle qui apparaissait lorsqu’il la transformait en souffre-douleur. Il se mit devant elle, et dit :

–       N’essaie pas de gagner contre moi.

–       Je n’essaie pas, je vais gagner.

Stupéfait, il la prit par les épaules et la secoua.

–       Tu es en train de devenir folle.

–       Arrête, cria-t-elle

–       Tu sais très bien que tu ne peux rien contre moi.

Elle le repoussa.

–       Avant je ne pouvais rien par naïveté. Tu m’as souvent réduite en miettes, et maintenant il est temps de recoller les morceaux.

–       Tu dis n’importe quoi, dit-il, à court d’idée, mais surtout ayant perdu courage.

–       Bientôt tu comprendras que je suis très sérieuse.

Son adversaire devenait de plus en plus craintif. Jamais elle ne l’avait vu ainsi. Aline avait échangé les rôles, et désormais, c’est elle qui gagnerait. Elle sortit, machinalement de la poche de son pantalon, un pistolet, dont elle ignorait la présence jusque là. L’homme devint complètement terrassé, la bouche ouverte et les yeux tétanisés. Quant à sa compagne, elle tremblait de peur, les mains sur les yeux, à moitié cachée sous le lit. Aline dirigea tranquillement son arme vers l’homme. Elle était elle-même apeurée de ce qu’elle tenait dans ses mains. Mais, elle devait effacer les blessures de son cœur, pour qu’il puisse reprendre vie sainement. Personne ne parlait, personne ne bougeait, et tous étaient figés par la peur. Elle s’assura de bien aligner le pistolet et elle ferma les yeux. Le silence fut brisé lorsqu’elle appuya sur la gâchette, libérant ce son brutal : celui de la mort, mais surtout, celui de la vitalité. Puis, soudainement, tout autour d’elle disparut dans un brouillard étourdissant. Elle eut l’impression d’être avalée par un grand trou noir, lorsque ses yeux s’ouvrirent dans un soubresaut. Mireille était là, dans son lit, dans sa chambre, dans sa maison. Elle se précipita dans la salle de bain, ouvrit la lumière, et regarda dans le miroir. Tout était en place, ses cheveux blonds en broussailles, ses yeux pers, son petit nez pointu et ses taches de rousseur. C’était bien elle, dans son vrai corps. Chaque nuit, ces rêves étranges se poursuivaient. C’était comme si, dès qu’elle tombait dans les bras de Morphée, elle prenait le corps d’une autre femme, avec qui elle partageait l’âme. C’était pire qu’être atteint d’un dédoublement de la personnalité, elle vivait à travers des mémoires qui n’étaient pas les siennes, à moitié convaincue que c’était bel et bien sa vie. Un jour, épuisée de rêver ainsi sans jamais pouvoir se reposer en paix, elle voulut comprendre ce que cela signifiait. Elle fit toutes les bibliothèques du Grand Montréal et examina des centaines de livres pour trouver des réponses, sans succès. Puis, un mardi de novembre particulièrement froid, elle se rendit à l’hôpital, où elle devait aller fréquemment puisqu’elle était greffée du cœur. Dans la salle d’attente, elle réfléchit. Tout à coup, elle crut enfin comprendre. Lorsqu’elle fut appelée, elle se rendit, le pas incertain. La cardiologue l’accueillit avec un grand sourire, ce qui l’apaisa. Elle s’assit sur la chaise et la docteure lui dit :

–       Bonjour! Dites-moi, comment allez-vous?

–       Plutôt bien, répondit-elle, en pensant que si au moins elle pouvait réellement dormir, elle irait bien mieux.

–       Quelque chose ne va pas?

–       Je suis simplement épuisée.

–       Je dois vous dire, j’ai rarement vu un cas comme le vôtre,  Mireille!

–       Pourquoi? demanda-t-elle, surprise.

–        Vous savez, jamais aucun des patients à qui j’ai greffé un cœur, n’a aussi bien réagi. Votre corps n’a toujours pas rejeté l’organe et tout fonctionne à merveille.

Elle était contente, mais elle ne pensait qu’à cela, et devait savoir. Malgré la peur, elle demanda :

–       Est-il possible de savoir qui était le donneur?

–       Je vais vérifier, mais je ne pourrai vous dire que son prénom.

–       Merci.

Après avoir fouillé une éternité dans de nombreux papiers, Docteure Drouin trouva enfin l’identité du donneur. Mireille, se tenait fermement sur sa chaise, comme pour éviter une chute brutale. Son prénom résonna à la fois comme un soulagement et un cauchemar. Aline, son nom était Aline. Cette femme, qui était la source de la survie de Mireille, survivait à son tour dans les souvenirs imprégnés de son cœur. À chaque nuit, Aline reprenait contrôle des rêves de la greffée. De ses quarante-deux années de vie, elle revivait chaque bonheur de son cœur, et vengeait ses blessures profondes afin de recoller tous les morceaux du cœur légué.

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5 thoughts on “Un coeur étrange… une histoire d’Arianne Magny”

  • J’ai beaucoup aimée cette histoire ! Le rythme est excellent , les dialogues ont tous leur place. J’ai beaucoup appréciée l’idée de vérifier que c’est bien son corps qui agit et de découvrir qu’en fait c’était un rêve!

  • Wow! C’est une histoire intriguante qui sème le doute du début jusqu’à la fin. Elle est très bien écrite et très intéressante, ce qui garde le lecteur accroché. J’aime bien le lien que tu as fait entre un donneur et celui qui reçoit le don d’organe. Ton texte est très original et est écrit dans des mots faciles à comprendre pour tout le monde. Bravo excellent texte!

  • J’ai trouvé cette histoire très mystérieuse et la fin était très surprenante. Je me posais beaucoup de questions tout au long du récit : était-ce un rêve? Peut-être un rêve sur les vies antérieures? Le dénouement m’a vraiment surprise. C’était une histoire pleine d’intrigue avec une fin totalement inattendue.

  • J’adore l’ambiance, surtout à la fin! La description des faits est tellement étonnante que j’en ai eu des frissons! Le texte nous amène dans plusieurs états, est bien construit et les événements s’enchainent bien. Il est facile de se repèrer et les deux personnages principaux sont faciles à s’imaginer. Bravo!

  • J’aime croire que les corps et les esprits, les âmes, peuvent s’échanger une énergie subtile… Histoire très intéressante et bien écrite!

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