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Quatre petits bouts de pain, des ténèbres à la joie, Magda Hollander-Lafon
Paris, Éditions Albin Michel, 2012, 154 p.
Critique de Lexanne Bélair
Une méditation à couper le souffle !
Magda Hollander-Lafon est née en Hongrie en 1928. Elle est avant tout une juive baptisée, une psychologue pour enfant et écrivaine. À l’âge de seize ans, elle a été déportée à Auschwitz-Birkenau là où toute sa famille a péri. Les horreurs qu’elle a vécues nous sont racontées dans son livre où elle transmet un message de bonté.
Son œuvre fut d’ailleurs reconnue en France par la magnificence de son témoignage et elle a reçu le Prix du Livre de Spiritualité Panorama en 2012. Magda Hollander-Lafon a fait une nouvelle édition de son roman à partir de deux livres qu’elle a faits dans le passé, dont Chemins du temps 1977 et Souffle sur la braise en 1993. Quatre petits bouts de pain est un témoignage historique du vécu de cette femme ayant traversé tant de misère et ayant eu la force de les surmonter. Elle se remémore la terrible horreur de la Shoah (l’extermination des juifs par l’Allemagne nazie).
L’histoire est un résumé des mémoires traumatisantes de Magda Hollander-Lafon lorsqu’elle a été déportée à seize ans à Birkenau. Elle nous plonge dans l’enfer où le travail forcé l’épuise, où la faiblesse de tous est guettée par les bourreaux et elle partage sa souffrance, ses émotions et malgré tout sa force de surmonter ses obstacles. Elle est une des survivantes de ce désastre frôlée si souvent par le désir de la mort. Elle a rencontré des gens mourant qui lui ont redonné espoir lors de ses plus grandes faiblesses: « À Birkenau, une mourante m’a fait signe : ouvrant sa main qui contenait quatre petits bouts de pain moisi, d’une voix à peine audible, elle m’a dit : « Prends. Tu es jeune, tu dois vivre pour témoigner de ce qui se passe ici. Tu dois le dire pour que cela n’arrive plus jamais dans le monde. » (p.73) Elle a aussi côtoyé des bourreaux cruels et insensibles: « J’ai mis trente ans à pouvoir évoquer le visage d’Edwige. Elle était chaque jour la tentation du désespoir. » (p.37) Des gens souffrant oubliant ce qu’ils sont se sont opposés à elle : « Une fois les conventions sociales rompues, pour un morceau de pain, nous ne nous connaissons plus : nous écrasons notre semblable sans scrupule. » (p.31) Un gentil gardien malgré son apparence brusque sera son ami: « Il sort de son sac une paire de galoches dont il me chausse. Avec ce geste gratuit, il me rend la vie, et risque en même temps la sienne. Mon bon gardien est devenu, durant quatre mois, l’ami caché, attentif, compatissant. » (p.45)
Les lieux varient beaucoup dans son roman, Madga n’est jamais restée à la même place pendant plus d’un an, elle a beaucoup voyagé, marché, transposée dans des endroits tels que les camps, lieu de désinfection, les réserves à Francfort-sur-le-Main, à Zillertal, à Ravensbruck, dans la forêt de Bischofferode, etc. Cela nous permet de suivre ses déplacements et de nous imaginer les lieux par les forêts, les déserts, etc. Les thèmes importants de son roman reposent sur le comportement humain, la vie et la mort, l’espoir et Dieu. Le comportement humain parce que l’être humain peut devenir animal, sauvage, cruel envers ses proches, insensibles, autant qu’il peut être amical, sensible, aidant, gentil, etc. Magda parle de plusieurs facettes de l’être humain sans le dénigrer tout en se questionnant sur celui-ci et la vie : « Si les nazis ont pu imaginer l’inimaginable, l’assassinat méthodique de tout un peuple, ne pouvons-nous pas à notre tour imaginer un autre inimaginable, un monde plus humain, plus solidaire au service de l’humanité ? Si nous étions en paix en nous-mêmes, ferions-nous la guerre contre les autres ? » (p.99) La vie et la mort expriment ses sentiments de terrible souffrance par l’épuisement des travaux, la faim et la soif, le découragement par les insultes des bourreaux et le désespoir: «Tout était prévu pour créer cette vie désespérante ; on cultivait avec soin autour de nous et en nous la peur, l’incertitude, le mensonge, pour nous faire basculer dans la folie ou la mort. » (p.50) L’espoir est tout ce qui restait pour elle, ce qui l’a maintenait en vie et cela grâce à des gens qui s’entraidaient entre eux pour maintenir cet espoir et transmettre un message au futur : « J’entends encore la voix chaude d’une camarade qui était là depuis cinq ans et nous disait : « Ayez confiance dans la vie. Chassons le désespoir. Cultivons l’amitié entre nous. Ne perdons pas courage. Il nous faut survivre. Il nous faut des témoins. » (p.51) Dieu fait partie de son cheminement à travers la misère et son message primordial de son roman. Magda s’est ouverte à dieu et cela lui a permis de transmettre la valeur de bonté, de paix en chacun de nous et de l’amour en acceptant tout de la vie : « En labourant mon passé, mes origines, j’ai compris que naître à soi passe par le pardon à soi. Nous ne sommes pas tendres avec nous-mêmes. Combien de fois je me surprends à me maltraiter, et à maltraiter les autres ! » (p.111)
Le style de ce roman est particulier puisque ce sont des mémoires de Magda. Son livre est divisé en deux parties précédées d’un avant-propos et d’une notice historique, il ressemble un peu à un journal intime. La première partie s’intitule « Les chemins du temps » et la seconde, « Des ténèbres à la joie » qui se caractérise plus par l’éveil de l’individu à la spiritualité. Cela permet d’émettre une belle connexion entre le lecteur et celle-ci en l’accueillant dans l’intimité de ses mémoires. D’ailleurs, cela nous permet de la suivre graduellement sans nous perdre. Le narrateur est au « je », car elle remémore ses souvenirs et nous donne l’impression qu’elle est présente et nous le raconte. La nature des descriptions est réaliste et concrète. Sur certaines pages, elle nous transmet son vécu de façon poétique, ce qui exprime son côté créatif, mais aussi l’émotion intense de ce moment.
Magda Hollander-Lafon a vécu dans l’enfer et la souffrance et elle tient à la paix dans le monde. Son but était d’éveiller autrui vers un chemin plus spirituel de la vie, vers le bonheur, vers l’amour envers soi et les autres et de faire comprendre que malgré nos différences, malgré les gens malveillants, nous sommes tous unis.
C’est un livre extrêmement touchant qui nous fait comprendre que le monde ne doit pas vivre dans l’indifférence, on doit se respecter et s’accueillir tous dans l’amour. Le message est précis et Magda Hollander-Lafon nous en persuade à travers l’évolution de ses mémoires racontant les atrocités commises lors de la Shoah. Ayant survécu et ayant eu la force et le courage d’écrire son vécu, elle nous incite encore plus à partager son message aux autres. D’ailleurs, c’est son vécu et les gens qui sont morts devant ses yeux qui l’ont poussée à faire un appel à la vie. Ses poésies deviennent d’intenses émotions qui nous transpercent. Ses souffrantes épreuves, décrites réalistement, contrôlées par des hommes ayant oublié le sens de la vie, sont insupportables, car on sait que c’est encore le cas aujourd’hui. Comme elle le dit dans son livre, l’homme peut être aimable, mais peut aussi se transformer en un animal effroyable.
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