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L’amour, nous le savons tous, est cette chose si complexe et fragile qui émerveille et peut s’envoler dans un coup de vent. Vivre en couple n’est pas une mince affaire, il faut savoir faire persister la flamme, survivre au quotidien ainsi qu’aux tempêtes, et résister au charme et au mystère de l’inconnu. La pièce de théâtre Une vie pour deux expose ces milles et unes difficultés tout en y faisant l’éloge de l’amour. Adapté du roman de Marie Cardinal, cette œuvre touchante et audacieusement dramatique pose un regard franc sur toutes les difficultés d’un couple. D’ailleurs, ce couple qu’on nous présente ici est fortement inspiré de la relation de Jean-Pierre Ronfard et Marie Cardinal, dont le roman était lui-même inspiré d’un récit déjà vécu par ceux-ci. C’est leur fille, Alice Ronfard, qui lança ce projet de transposer le roman en pièce de théâtre. Avec l’aide d’Évelyne de la Chenelière pour travailler le texte, Alice Ronfard mit en scène une pièce de théâtre forte en émotions, qui rend un puissant hommage aux questionnements, aux désirs de changement et à l’amour de ses parents.
La représentation à laquelle j’ai assistée se tenait le 20 février, à la salle Philippe-Fillion du Centre des arts de Shawinigan. La pièce mettait en scène les comédiens Jean-François Casabonne, dans le rôle de Jean, Violette Chauveau, dans le rôle de Simone, et enfin, Rachel Graton qui interprétait Marry. Nous étions transportés dans l’histoire de Jean et Simone, un vieux couple d’artistes des années 1950, qui s’aiment depuis de nombreuses années et qui ont bâti une famille ensemble. Ces deux amoureux décident de partir en vacances en Irlande avec l’envie cachée de raviver la flamme de leur amour que le quotidien a fini par user. Alors qu’il fait une promenade en solitaire sur la plage, Jean découvre le corps mort d’une femme. Ce curieux personnage sans vie devient alors omniprésent et s’immisce entre eux. En effet, le couple est troublé par cette découverte et par le mystère qui règne sur cette inconnue, et finit par lui inventer une vie. C’est ainsi que le fantôme de la jeune femme entraîne Simone et Jean dans une mer tumultueuse où les souvenirs, craintes, regrets et fantasmes des amoureux reviennent à la surface.
La dramaturge et comédienne, Évelyne de la Chenelière, transforme avec beaucoup de talent, le roman de Marie Cardinal en texte théâtral émouvant, dense, poétique et dramatique. Effectivement, l’écriture très poétique prend une place particulièrement importante dans l’œuvre, alors que la mise en scène est très épurée. Il y a beaucoup de répétitions, d’images qui déferlent de la bouche des personnages, voire de l’abstraction, ainsi que de longs monologues. Par contre, il faut dire que ce texte très riche et complexe, qui abrite beaucoup de sous-entendus, peut être bien difficile d’approche. Plusieurs en sont totalement déboussolés et perdent le sens du récit. Mais, quand on réfléchit bien, cette complexité du texte nous révèle, par le fait même, toute la complexité de l’amour ainsi que des questionnements des personnages.
L’esthétisme de la pièce est, quant à lui, tout le contraire de la complexité du texte. C’est dans un décor, des éclairages et des costumes forts simples, voire minimalistes, mais très bien pensés, que l’on voit évoluer le récit. En effet, le travail de Gabriel Tsampalieros au décor, Caroline Ross aux éclairages, Ginette Noiseaux aux costumes, ainsi que Jacques-Lee Pelletier au maquillage, est très réfléchi, mais tout en subtilité. Le décor est constitué de quelques chaises et de ce qu’on pourrait qualifier de grande table massive qui occupe la majeure partie de la scène, en plein centre. Ce grand module qui semble fait de ciment, fait à la fois penser à une table, à un cercueil, une tombe, un lit… Une chose est certaine, c’est que tout semble tourner autour de cet élément. La morte est très souvent située sur le dessus de ce module, parfois couchée au centre, le corps semblant semi-enfoui, comme si elle se trouvait dans un cercueil. À l’arrière-plan se trouve une sorte de long panneau rectangulaire séparé en plusieurs carrés, accroché au mur. Des images de paysages marins y sont projetées, rappelant le contexte du voyage en Irlande ainsi que la découverte du corps sur la plage. Par ailleurs, les éclairages sont également très dépouillés : ils sont utilisés très simplement, mais avec signification. De ce fait, c’est par les couleurs des éclairages qu’on joue avec la symbolique du récit. On oppose constamment, les couleurs froides et les couleurs chaudes, en utilisant le bleu et l’orangé tout au long de la pièce. Ce contraste de couleurs variant selon ce qui se produit, les émotions du couple et les interventions de la morte, sépare parfois les personnages et les unis à d’autres moments.
Quant au jeu des interprètes, il est particulièrement remarquable. La maladie dégénérative de Simone est interprétée avec beaucoup d’agilité. On assiste, tout au long du récit, à la dégénération lente, mais terrible, de la capacité à s’exprimer de la femme, qui a pourtant tant de choses encore à dire. Le monologue final de cette dernière, qui met en scène ses dernières paroles, est bouleversant. De plus, l’interprétation de Violette Chauveau (Simone) et celle de Jean-François Casabonne (Jean) sont particulièrement impressionnantes par leurs contrastes fréquents entre la tendresse et la colère, l’humour et la douleur, etc. Rachel Graton est également très talentueuse dans son rôle de Marry. Son jeu est très acrobatique et difficile physiquement, puisqu’elle représente beaucoup, avec son corps, sa mortalité et sa vitalité à la fois. Elle se place très souvent dans des positions étranges de façon lente, puis y reste figée plusieurs minutes. Cette gestuelle très esthétisée accentue beaucoup l’aspect fantomatique et mystérieux du personnage.
Enfin, cette pièce de théâtre poignante, produite par Espace Go, fait chavirer celui qui veut bien laisser la vague l’emporter. Mais, attention, il faut vraiment être consentent, sinon vous vous noierez dans l’incompréhension. Il serait alors dommage, car vous passeriez à côté d’une histoire très touchante où deux êtres sont déchirés par des sujets tels la liberté, la famille, la révolution, la jalousie, la mort, le féminisme, sans oublier l’amour, au cœur de tous les questionnements. Cet amour qui se veut un combat féroce, mais qui survit contre vents et marées, même si la mort est tout au bout.
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WOW! ta critique est super bonne. J’ai vu la pièce et avec ce texte, je peux tout revoir et comprendre ce que je comprenais peu. Avec ce que tu as écrit en détail, on peut voir que tu as pris beaucoup de notes pour faire cette critique. De plus, même si tu n’as pas suivi le cours de journalisme, j’y retrouve plusieurs critères pour faire une excellente critique. Tu as un grand talent!
Tu as su à merveille mettre des mots sur les émotions qui émanent de la pièce. Ton vocabulaire enrichi et sensible est remarquable, et ça donne beaucoup de crédibilité à ta critique. Tes descriptions sont pointues et traduisent bien l’ambiance qui régnait sur la scène. Chapeau!
Très bonne critique qui reflète bien la subtilité de la pièce, le style est recherché et bien à toi!
Wow! Tout simplement excellent. J’ai bien aimé avec quelle aisance tu joues avec les mots. Tout coule facilement et l’on en apprend beaucoup sur la pièce. Encore une fois bravo!
Après un peu plus d’un an, je revis la pièce presque comme si j’y étais. Tu es très précise et c’est un don, le don d’amener les gens où tu veux. J’ai beau chercher et je ne trouve pas du tout quoi apporter de plus à ta critique. Tu as tout dit, rien de moins!
Tu as écrit un beau texte quoiqu’un peu long. Cependant, ton écriture est assez fluide pour l’oublier. J’aime l’idée que tu as eue de mentionner la complexité du texte en la comparant avec la simplicité du reste. Tu as fait un travail assidu et cela se ressent dans la variété des éléments mentionnés. En bref, bon travail.
On se retrouve parfaitement dans le texte! J’ai été stupéfaite par tes choix de mots. J’ai été voir cette pièce aussi, et plus j’avançais dans ta critique, plus j’étais capable de revisualiser la pièce et ce qui s’y passait. C’est très bien écrit, bravo!
Beau texte! J’aime bien les mots que tu emploies et tes tournures de phrases qui rappellent parfois la poésie. C’est très fluide… mais long un petit peu aussi. Parfois, on a l’impression de manquer d’air et de se noyer sous tes mots, mais le tout est bien écrit tout de même! Merci pour cette critique très informative!
Très bien écrit. Ayant vu la pièce, tu décris très bien l’ambiance ressentie des spectateurs. Tu nuances bien le fait que certains pourraient si perdre mais qu’en portant attention aux textes, la pièce prend tout son sens.